Séparatisme : le projet de loi "transforme profondément la laïcité", estime le chercheur Philippe Portier

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Par AFP - Paris
Publié le 31 janvier 2021 - 09:30
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Philippe Portier photographié en février 2018 à Paris
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© JACQUES DEMARTHON / AFP/Archives
Philippe Portier photographié en février 2018 à Paris
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D'un régime de libertés des cultes à un contrôle accru de l’État, le projet de loi "séparatisme", examiné à partir de lundi à l'Assemblée nationale, constitue un tournant sécuritaire dans l'histoire de la laïcité en France, estime le chercheur Philippe Portier, auteur de "La religion dans la France contemporaine" (Armand Colin, 2021).

QUESTION: Pourquoi le débat sur la laïcité est-il aussi fort en France ?

REPONSE: "Il existe depuis longtemps dans la culture française un esprit, cultivé depuis les Lumières, qui estime que le religieux est néfaste pour l’émancipation des hommes et dangereux pour l’ordre public. Nous avons donc rejeté le religieux alors que d’autres pays, souvent protestants, ont au contraire accommodé la religion avec leurs institutions. Par ailleurs, notre longue histoire coloniale, ponctuée par la guerre d'Algérie, a contribué à nous défier de l’islam. A ce fond culturel s'est ajoutée, ces dernières décennies, la montée en puissance de l’islam radical et du terrorisme, et les attentats. Tout cela a favorisé, après 2015, la résurgence et l’amplification d’un discours de défiance vis-à-vis du religieux. Avec une surenchère au niveau de la classe politique pour essayer de gagner ce qu’elle estime être l’opinion publique qui demande plus d’ordre et de sécurité et craint l’islam. La défiance vis-à vis de l’islam nourrit le débat sur la laïcité, et marque profondément ce projet de loi.

QUESTION: En quoi ce texte fait-il évoluer la laïcité ?

REPONSE: Ce projet de loi est manifestement un tournant dans l’histoire de la régulation des cultes en France. La loi de 1905 était un régime libéral : pour ne pas braquer l’Église, encore influente, on avait accordé aux cultes la liberté d’association, de nomination, d’organisation, de communication… Le texte remet en cause toute une partie de cette législation et grignote fortement ces libertés. Comme la liberté des personnes, avec l’extension de la neutralité religieuse à des espaces autrefois libres comme les entreprises en contrat avec l’État. Le texte renforce également le contrôle sur les écoles hors contrat. Quant aux associations cultuelles - c'est le point le plus délicat du projet - elles seront désormais soumises à l’autorisation des préfets, qui pourront également suspendre rapidement des décisions de maires jugées contraires aux valeurs de l’État. La laïcité en sort profondément transformée : elle était fondée sur une intervention minimale de l’État qui là devient maximale. On passe à une "laïcité de sécurité", avec moins de libertés et une multiplication des contrôles.

QUESTION: Cette conception de la "laïcité de sécurité" est-elle partagée, et peut-elle prévaloir ?

REPONSE: La France, comme avec ce texte, a tendance à mêler politique religieuse et politique sécuritaire, une chose que les autres pays comparables ne font pas. En Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, on est également très à cheval sur la sécurité, mais ils traitent les choses à partir des (seuls) lois ou règlements de sécurité. Cette nouvelle loi risque d’ailleurs de renforcer chez les pays anglo-saxons, et chez ceux de la zone arabo-musulmane, la critique selon laquelle la France porte atteinte à la liberté religieuse, qu’on entend déjà depuis 10 ou 15 ans. En France, les partisans de la loi disent vouloir ainsi lutter contre les poches de prosélytisme religieux qui pourraient se former dans les associations ou entreprises. Mais ceux qui travaillent sur le terrain, les associations notamment, redoutent ce texte qui veut tout uniformiser alors que les problèmes ne touchent qu'une toute petite minorité, et pourraient être réglés avec les lois de sécurité en vigueur. Il faut également prendre en compte le facteur générationnel : les valeurs de tolérance et de diversité sont bien plus fortes chez les jeunes que chez les plus anciens, et on peut donc douter que les premiers défendront le gouvernement sur cette loi.

Propos recueillis par Emmanuel DUPARCQ

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