A Stocamine, la fin de carrière "en beauté" d'un des derniers mineurs de fond

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Par Antoine POLLEZ - Wittelsheim (France) (AFP)
Publié le 15 juillet 2021 - 23:17
Mis à jour le 17 juillet 2021 - 13:34
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Eric Pupka, l'un des derniers mineurs encore en activité en France, sur le site de Stocamine à Wittelsheim le 13 juillet 2021
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© SEBASTIEN BOZON / AFP
Eric Pupka, l'un des derniers mineurs encore en activité en France, sur le site de Stocamine à Wittelsheim le 13 juillet 2021
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C'est l'un des derniers mineurs encore en activité en France: à 57 ans, Eric Pupka descend chaque jour à 535 mètres sous terre pour préparer le confinement définitif du site de Stocamine et de ses 41.500 tonnes de déchets toxiques.

Avec 25 années d'expérience "au fond" à Wittelsheim (Haut-Rhin), ce quinquagénaire trapu s'oriente aisément dans le dédale de galeries creusées à même le sel gemme, une dizaine de kilomètres de tunnels qu'il arpente quotidiennement.

"Certains jours je marche bien une ou deux heures, facilement 10 kilomètres. Sinon je prends un véhicule pour aller voir des chantiers plus loin", confie cet agent de maîtrise à la moustache poivre et sel. "Les travaux avancent bien. Malgré les contretemps on est dans les clous du planning."

Salarié de l'entreprise MDPA (Mines de potasse d'Alsace) dont l'Etat est unique actionnaire, il participe aux travaux préparatoires de fermeture de la mine qui abrite des milliers de sacs et bidons métalliques renfermant de l'amiante, de l'arsenic ou encore des résidus d'incinération, entassés là il y a 20 ans.

Les galeries devront être scellées par des bouchons de béton de plusieurs mètres d'épaisseur.

"Ca fait bizarre de fermer le site", concède celui qui avait rejoint la mine à 19 ans pour en extraire la potasse, comme son père et son grand-père avant lui.

"Je trouve dommage que les choses n'aient pas été mieux gérées. C'était une bonne idée de mettre des déchets ici. Il reste encore beaucoup de place et ces produits nocifs, il faut bien les mettre quelque part quand on ne peut pas les valoriser".

- "Soulagement" -

C'est un incendie, survenu en 2002, qui a précipité la fin de l'exploitation de Stocamine, utilisé à moins de 15% de ses capacités de stockage. Après des années de tergiversations et le retrait de la quasi-totalité des déchets de mercure, l'Etat a finalement décidé en janvier de confiner tous les déchets restant.

"Pour moi c'est un soulagement de ne pas devoir sortir tout ça. Je ne veux pas y toucher", reconnaît ce père de famille, passionné de football. "Les retirer aurait été dangereux. Le toit tombe, le sol remonte, il y a des +big bags+ qui sont collés aux parois, il aurait fallu les décoller, c'était assez impressionnant".

La décision de l'Etat est loin de faire l'unanimité auprès des habitants et des associations écologistes, qui réclamaient l'extraction des déchets, mais Eric Pupka préfère couper court au débat. "Cette semaine il y a encore eu une manifestation. Mais ces personnes ne savent pas ce qui se passe au fond. Certains pensent qu'on prend un tonneau, on le remonte et c'est fini. Dans les faits, c'est beaucoup de travail, beaucoup de manutention et beaucoup de risques".

Alors, avec son détecteur de monoxyde de carbone autour du cou et un appareil d'auto-sauvetage doté d'une cartouche d'oxygène en bandoulière, il veille au forage de deux conduits qui permettront d'acheminer le béton jusqu'au fond, et supervise le creusement de nouvelles galeries dans lesquelles circuleront les camions-toupies.

Un travail physique, parfois mené à la seule lumière des lampes frontales mais qui reste très éloigné des conditions qu'il a connues à ses débuts.

- "Des années excellentes" -

"En 1984 on extrayait encore la potasse, c'était chaud, puissant, c'était fatiguant. Il faisait 40 à 45 degrés, on était dans le bruit et la poussière", se remémore-t-il. "Mais c'était des années excellentes. L'état d'esprit minier, c'est un truc à part. Je n'ai jamais connu ça ailleurs. On était unis".

Après la potasse, il avait contribué au creusement des cavités de Stocamine, jusqu'à l'incendie. "C'était un arrêt brutal. Il y en a qui l'ont mal vécu, encore pire que moi: il y a eu des divorces, des collègues sont devenus alcooliques, certains ont pété les plombs".

Lui a tracé un autre chemin, travaillant une quinzaine d'années pour une communauté de communes, chargé de la propreté des rues. Une "routine" dans laquelle il ne s'est jamais vraiment épanoui. Alors en 2018, quand il a eu vent de nouvelles embauches aux MDPA, il n'a pas résisté à l'appel de la mine.

"C'est vrai qu'il n'y aura bientôt plus de mineurs. Je pense qu'on sera les derniers d'ici trois ou quatre ans. Mais c'est la place que je souhaitais, je suis fier d'être revenu", savoure-t-il. "Et ce qu'on fait, c'est une première au monde. Alors je termine ma carrière en beauté!"

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