Yoga, grâce, père saturnien : comment les écrivains sortent de dépression

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Par Hugues HONORÉ - Paris (AFP)
Publié le 27 septembre 2020 - 13:30
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L'écrivain Emmanuel Carrère, le 17 février 2016 à Paris
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© JOEL SAGET / AFP/Archives
L'écrivain Emmanuel Carrère, le 17 février 2016 à Paris
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Emmanuel Carrère est passé par les électrochocs à l'hôpital, Thibault de Montaigu par un traitement plus doux, Sarah Chiche s'en est sortie seule, brusquement. Les trois romanciers racontent une sortie de dépression, une maladie qui, finalement, ne tue pas la créativité.

Dans "Yoga", grand succès de librairie de la rentrée, Carrère revient sur son hospitalisation à Sainte-Anne en 2017. C'est violent, narré avec un niveau de détail rare chez un patient de la psychiatrie d'aujourd'hui.

Quand on est sorti de la dépression, la maladie "paraît quelque chose d'assez lointain et d'assez surmontable. C'est pour ça que j'ai essayé –-pour en garder mémoire pour moi et pour d'autres, somme toute nombreux, qui ont traversé la même épreuve-– de le raconter aussi précisément que possible", disait-il mi-septembre à la radio RTBF 1re.

Dans "La Grâce", autre titre de la rentrée littéraire, Thibault de Montaigu est plus elliptique. Il s'effondre, désemparé face à ce mal insondable, puis s'en remet, devenu croyant au passage. Le roman porte surtout sur son oncle, passé de fêtard de l'extrême à moine franciscain.

"J'en suis sorti, comme je le raconte brièvement, avec un arrêt de l'alcool, des pratiques plus saines, en allant chez la psy... J'ai eu de la chance: c'était une très bonne psy", raconte-t-il à l'AFP.

- "Pas un journal clinique" -

Dans "Saturne" enfin, où elle évoque la figure de son père et le deuil, la psychanalyste et psychologue clinicienne Sarah Chiche, qui a connu l'hôpital Sainte-Anne comme stagiaire, décrit comment le mental de la narratrice s'écroule, avant de se relever sans crier gare.

x"Le mercredi 27 avril 2005, constatant une guérison subite qu'ils n'arrivent pas à s'expliquer, les médecins décident d'interrompre les neuroleptiques, les thymorégulateurs et les antidépresseurs. Je n'en ai plus jamais repris", écrit-elle.

"Il y a pas mal de romans de la dépression mélancolique en cette rentrée". Mais "un roman, ce n'est pas un journal clinique. Il n'était pas question d'en porter témoignage", déclare-t-elle à l'AFP, interrogée dans le cadre du festival Correspondances de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence).

"Je trouve tout à fait abjects ce mépris et cette condescendance avec laquelle on traite les endeuillés. C'est-à-dire qu'on a bien le droit d'être triste, mais qu'il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps. J'ai pris le risque de raconter qu'il arrive qu'on s'effondre au point de perdre la conviction d'exister", avance-t-elle.

- "Autobiographie psychiatrique" -

Pour Thierry Delcourt, psychiatre qui a longuement travaillé sur le rapport entre créativité et souffrance psychique, la dépression pose une chape de plomb sur l'écriture qu'il est possible de soulever. "Le fond dépressif est une espèce de bouillonnement interne qui a besoin de se résoudre. Certains font de la boxe, d'autres pratiquent une forme de fuite en avant, et enfin certains écrivent".

"Il y a un moment où se ressent un besoin de dénoncer, de dire cette souffrance, et où il faut en sortir. Parfois cela s'allie avec une forme de poésie, comme chez ces écrivains", constate-t-il. "Je crois que c'est salvateur".

Carrère a trouvé, grâce à ce qu'il appelle une "autobiographie psychiatrique", un public nombreux, qu'il sensibilise aux bienfaits de la méditation. Avec lucidité: "Certaines perceptions du réel ont une plus grande teneur en vérité que d'autres, et ce ne sont pas les plus optimistes. Je pense par exemple que cette teneur en vérité est plus élevée chez Dostoïevski que chez le Dalaï-lama", considère-t-il.

L'auteur de "Yoga" et Thibault de Montaigu, dont l'oncle est aussi passé par Sainte-Anne, se sont à cette occasion découvert "les mêmes interrogations, ce même cheminement inquiet, cette recherche de transcendance", d'après ce dernier.

"La dépression, je l'ai vécue comme une purge: on se retrouve seul face à son vide intérieur. On réalise que tout ce qu'on possède, c'est cette vérité en nous. Tout l'extérieur, je peux le perdre – ma santé, ma famille, mon travail... Il me restera toujours ça", dit l'auteur de "La Grâce".

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