Au Mozambique, quand la branche du manguier a cédé et la vie d'Isabel basculé

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Par Nicolas DELAUNAY - Begaja (Mozambique) (AFP)
Publié le 27 mars 2019 - 14:24
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Des sinistrées du cyclone Idai rentrent dans leur village ravagé de Begaja, au Mozambique, le 26 mars 2019, après être allées chercher de quoi se nourrir
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© Yasuyoshi CHIBA / AFP
Des sinistrées du cyclone Idai rentrent dans leur village ravagé de Begaja, au Mozambique, le 26 mars 2019, après être allées chercher de quoi se nourrir
© Yasuyoshi CHIBA / AFP

Ils étaient douze accrochés à la branche d'un manguier: voisins, belle-mère, neveu, mère... "Mais au bout de deux jours, elle a cassé", se rappelle Isabel Bernard, qui a survécu par miracle aux inondations meurtrières au Mozambique.

"Nous sommes tombés à l'eau et j'ai perdu de vue mon fils", poursuit la jeune femme, l’œil hagard. "Je regardais partout mais je ne savais pas où il était, j'étais terrifiée".

Cheveux tirés comme ses traits, elle doit puiser dans ses maigres réserves pour raconter son calvaire, ce jour de la mi-mars quand la rivière Buzi, à quelques kilomètres de son village de Begaja (centre), est sortie précipitamment de son lit.

Prise de court, la jeune paysanne de 20 ans se réfugie sur un manguier, avec son enfant unique, Zacharia, 3 ans.

Là ils se retrouvent bloqués, sans nourriture ni eau potable, alors que sous leurs pieds, la rivière en furie charrie animaux et cadavres. Quand la branche cède sous le poids des rescapés, Isabel et Zacharia Bernard sont emportés par le courant.

Tant bien que mal, elle parvient à s'extraire de l'eau d'un ocre épais, la couleur de la terre déplacée par la rivière. Elle se hisse sur un autre arbre. Sans son fils.

"J'y suis restée trois jours, le temps que l'eau redescende."

"Je n'avais plus mon fils, je ne savais pas quoi faire, c'était horrible, j'étais totalement impuissante", murmure la jeune femme vêtue d'un T-shirt noir décousu sur une jupe orangée.

La décrue amorcée, Isabel Bernard peut enfin descendre de son arbre. C'est l'heure des bilans.

- Corps décomposé -

Son neveu de 7 ans et sa nièce de 8 ans, qui se trouvaient sur la branche qui a cassé, sont décédés. Son fils est introuvable.

Jusqu'à ce qu'un tout petit corps soit découvert dans un champ de maïs à quelques kilomètres de là. Il est en partie décomposé mais reconnaissable. Il s'agit de Zacharia.

Il sera enterré là-même où il a été retrouvé.

Au total, "sur les douze personnes qui se trouvaient sur la branche, sept sont mortes" noyées, résume Isabel Bernard.

Une dizaine de jours après le drame, la végétation accrochée dans les branches des arbres, jusqu'à 4 mètres du sol, témoigne de la violence des inondations.

Le panneau "Begaja", au bout d'une piste boueuse, a résisté comme par miracle, mais le village d'un millier d'habitants a été rayé de la carte. "L'eau a tout détruit", explique Zacharia Remedio, professeur à l'école primaire.

En bas, "l'école est le seul bâtiment qui tient encore debout, parce qu'il est en béton". En haut, "il y a aussi quelques maisons en bois et la petite église qui ont été épargnées."

Les poteaux électriques sont à terre. Seuls quelques pieux en bois plantés dans le sol témoignent de la présence passée de maisons. Entre 10 et 15 habitants de Begaja, situé à quelque 90 kilomètres à l'ouest de Beira, ont péri.

Dans le pays, le bilan des intempéries dépasse les 450 morts.

Isabel Bernard et près de 200 autres sinistrés vivent désormais dans l'église au toit de chaume.

Parmi eux, Maracame Mandava, qui s'appuie sur un bâton de canne à sucre. Il a survécu en se réfugiant sur le toit de l'école. Sa mère a subi le même sort que le petit Zacharia.

"Elle avait grimpé sur un arbre, mais c'est une personne âgée. Après deux jours sans manger, elle a fait un malaise et est tombée à l'eau", explique-t-il. "Quelques jours plus tard, on a retrouvé son corps dans un champ à quelques kilomètres."

Les rescapés passent leur journée à glaner les quelques épis de maïs qu'ils peuvent encore sauver. "On a faim, on a soif", peste Mandeco Massicini. "Certains d'entre nous voudraient reconstruire, mais tout a été emporté, les matériaux, les outils, les cordes."

Isabel Bernard, elle, ne peut pas imaginer une seule seconde retourner dans la partie basse du village où elle habitait. "J'ai peur qu'il se passe de nouveau la même chose."

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