Dans les mines d'émeraude, des femmes battent en brèche le machisme

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Par Florence PANOUSSIAN - Muzo (Colombie) (AFP)
Publié le 14 janvier 2018 - 09:57
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Adriana Perez (g) et d'autres femmes travaillent à la mine d'émeraudes de Muzo, le 19 décembre 2017 en Colombie
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© Luis ACOSTA / AFP
Adriana Perez (g) et d'autres femmes travaillent à la mine d'émeraudes de Muzo, le 19 décembre 2017 en Colombie
© Luis ACOSTA / AFP

Longtemps, les femmes ont été interdites dans les mines de Colombie, par superstition. Elles devaient se contenter de la quête improbable des précieuses pierres dans les déchets de terre noirâtre rejetés des galeries. Mais les temps ont changé: elles battent aujourd'hui en brèche le machisme au fond des mines.

"L'espoir de trouver des émeraudes m'a menée ici et je suis restée, avec l'illusion que le petit Jésus en dépose une dans ma pelle", se souvient Rosalba Cañon, 63 ans.

Cette femme au visage buriné par le soleil a échoué à la fin des années 1970 à Muzo (Boyaca, est), un village des Andes considéré comme la capitale mondiale du diamant vert pour la finesse de ses pierres.

A l'époque, les femmes ne pouvaient descendre dans les galeries: les mineurs les accusaient de porter malheur.

"Il se disait que lorsqu'elles entraient dans la mine, les émeraudes se cachaient", a raconté à l'AFP Maria Luisa Durance, 39 ans, chargée des oeuvres sociales de Mineria Texas Colombia (MTC), un géant du secteur, avec 800 salariés.

Alors chaque jour, depuis plus de trente ans, Rosalba chausse ses bottes de caoutchouc et rejoint des dizaines d'autres "guaqueros" (chasseurs de trésors, ndlr) qui fouillent le lit du torrent de Las Animas.

Les pierres de Muzo fascinaient déjà les civilisations précolombiennes. Pendant la conquête de l'Amérique, les Espagnols en vendaient jusqu'en Perse et au XXe siècle, des pans entiers de montagne ont été pulvérisés aux explosifs.

- La 'fièvre' des émeraudes -

La Colombie est avec la Zambie l'un des principaux producteurs d'émeraudes au monde. Elle en a exporté pour 148 millions de dollars en 2016, selon l'Agence nationale minière (ANM).

Les mines ont beau se moderniser et rejeter de moins en moins de déchets, des hommes et des femmes de tous âges s'acharnent à retourner à la pelle, puis à tamiser les tonnes de résidus vomis autrefois dans la rivière.

"C'est une fièvre", admet Rosalba qui a élevé là ses trois enfants, leur donnant "de la terre à laver pour les occuper".

Mais aujourd'hui, les guaqueros ne découvrent plus que quelques "pépites" de temps à autre. Ils survivent des avances des négociants, accumulant les dettes.

"Ils nous prêtent de l'argent et quand nous trouvons quelque chose, ils le prennent. Mais ça fait longtemps que je ne trouve rien, et ça n'a jamais été plus de 200 à 500.000 pesos (66 à 160 dollars)", déplore Blanca Buitrago, 52 ans.

En 2015, la législation a fait fi de la superstition machiste et autorisé le travail souterrain pour les femmes. Mais comme tant d'autres guaqueras, Blanca, mère de cinq enfants, est trop âgée pour décrocher un emploi légal.

- Défi -

Saida Canizales, 40 ans, est elle devenue superviseuse de sécurité chez MTC, la seule à un tel poste, aux côtés de 17 hommes, dans une entreprise qui compte 10% de femmes.

"L'incursion des femmes a été un défi (...) mais je pense l'avoir relevé!", se réjouit cette experte en surveillance électronique, qui gagnait 1,8 million de pesos (environ 600 dollars) à Bogota et a triplé son salaire.

Natte blonde nouée d'un ruban fleuri sous son casque noir, Saida descend jusqu'à 140 mètres de fond par 35 degrés et 90% d'humidité pour veiller à l'extraction des émeraudes.

Courbant la tête dans les galeries, agile sur les échelles de fer fixées aux parois, elle rejoint les mineurs qui entaillent la roche au marteau-piqueur. Jusqu'à ce que, dans l'argile noire, apparaisse le blanc d'une veine de calcite et, éventuellement, la poudre verdâtre annonciatrice des gemmes.

Elle décroche alors sa lampe frontale et éclaire le géologue qui dégage minutieusement les émeraudes au maillet et au ciseau, puis à la main. Sous l'oeil d'une caméra, il les glisse une à une dans un sachet, que Saida scelle avant de l'acheminer vers la surface.

Luis Miguel Ayala assure ne pas être gêné qu'une femme occupe le même poste que lui, voire le supervise. "Quiconque capable de manier les outils peut faire ce travail", affirme ce géologue de 23 ans, en essuyant la sueur qui dégouline dans ses yeux clairs.

- Imposer des femmes et montrer l'exemple -

Employer des femmes "a été une politique très positive", estime le PDG de MTC, Charles Burgess, 62 ans. Son groupe a acquis puis modernisé les mines de Victor Carranza, le "tsar des émeraudes" qui contrôlait le secteur jusqu'à son décès en 2013 à 77 ans.

Arguant que "les employées sont très travailleuses et honnêtes", cet ancien diplomate américain marié à une Colombienne estime toutefois que "certains postes ne sont pas adaptés (aux femmes) car très durs physiquement".

Imposer une présence féminine n'a pas été simple: lorsque l'énorme monte-charge qui dessert les galeries a été pour la première fois actionné par une femme, aucun mineur n'a voulu s'y risquer. Un ingénieur a dû montrer l'exemple.

Deux ans plus tard, une quinzaine de "malacateras" manient ces engins - des mères célibataires ou des veuves pour la plupart, victimes de la violence de ce "Far West vert".

Adriana Perez, 37 ans, a ainsi échappé à l'enfer du torrent où elle peinait depuis ses neuf ans aux côtés de ses sept frères et de ses parents.

"Ma vie a changé!", s'enthousiasme-t-elle. Avec 1,8 million de pesos, elle gagne deux fois le salaire minimum colombien et ose rêver d'un avenir meilleur pour ses deux enfants.

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