De Paris à Téhéran avec l'ayatollah Khomeiny, le témoignage de l'AFP

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Par AFP - Téhéran
Publié le 29 janvier 2019 - 12:37
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Khomeiny en janvier 1979 à Neauphle-le-Château (banlieue parisienne) où il est en exil
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© JOEL ROBINE / AFP/Archives
Khomeiny en janvier 1979 à Neauphle-le-Château (banlieue parisienne) où il est en exil
© JOEL ROBINE / AFP/Archives

Le 1er février 1979 en pleine nuit, l'ayatollah Khomeiny s'envole pour Téhéran depuis l'aéroport de Roissy, à bord d'un avion d'Air France spécialement affrété. C'est "le vol de la révolution".

Il vient de séjourner quatre mois à Neauphle-le-Château, en banlieue parisienne, après près de 14 ans d'exil en Irak.

Plusieurs proches l'accompagnent ainsi que quelque 150 journalistes, parmi lesquels un envoyé spécial de l'AFP Pierre Lambert. Voici des extraits de son récit:

De Paris à Téhéran avec l'ayatollah

TEHERAN, 1er fév 1979 (AFP) - Après plus de 14 ans d'exil et cinq heures trente minutes d'un vol sans histoire à bord d'un Boeing spécial d'Air France, baptisé par les Iraniens "l'avion du retour au pays", l'ayatollah Khomeiny a enfin retrouvé sa patrie, en ce jeudi historique pour le peuple iranien.

(...)

L'avion spécial, un Boeing 747 qui compte 349 sièges, n'avait embarqué que 200 passagers, laissant au sol à Paris un grand nombre de candidats au départ. Cela afin de pouvoir remplir à ras bord les réservoirs de kérosène, pour permettre à l'appareil de faire demi-tour sans avoir à se poser "au cas où l'affaire tournerait mal", avait précisé un responsable de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle avant le décollage.

Pour ce vol exceptionnel, a-t-on appris dans l'avion, la compagnie nationale française avait fait appel à un équipage de volontaires: un commandant de bord, un second pilote, onze stewards, quatre hôtesses. "Volontaires mais sans prime de risque", précisait l'une de ces dernières.

(...)

Monté le premier à bord d'un pas assuré malgré ses 76 ans, l'ayatollah, sa mince silhouette drapée de noir, le masque impénétrable, a tout d'abord occupé le siège A1 de la zone des premières classes.

Entouré d'une quarantaine de mollahs et de fidèles, le vieil homme à la barbe de prophète, vers qui se tournent les regards de tout un peuple, est demeuré taciturne, plongé dans ses pensées, durant la première heure du voyage.

Puis, seul avec son fils, il s'est installé au niveau supérieur dans les fauteuils du bar où il s'est très vite endormi.

(...)

Tandis que l'appareil survolait le Bosphore, Sadegh Ghotbzadeh, qui rentre en Iran après vingt ans d'exil et que l'on présente comme un futur ministre du "gouvernement révolutionnaire", a tenu au milieu de l'avion une conférence de presse improvisée.

Il a déclaré notamment: "avant de partir, l'ayatollah nous a réunis, nous ses fidèles, et il nous a dit: +ce voyage comporte des risques que je ne sous-estime pas: je peux être assassiné. Je peux être fait prisonnier. Je peux être maintenu en résidence surveillée. J'accepte ces éventualités d'un coeur léger mais je comprends parfaitement ceux qui les refusent et qui choisiraient de ne pas partir. Que chacun prenne ses responsabilités+".

Aux journalistes qui s'étonnaient de ne pas voir de femmes et d'enfants dans l'"avion du retour", le collaborateur de l'ayatollah a répondu en faisant passer un petit frisson dans le dos de ses auditeurs: "cet avion est beaucoup moins sûr que vous semblez le croire. On peut nous tirer dessus...".

M. Ghotbzadeh a ensuite annoncé qu'un "gouvernement révolutionnaire serait proclamé d'ici deux ou trois jours" et il a répété que le leader chiite se refuserait à tout dialogue avec M. Chapour Bakhtiar (le Premier ministre, ndlr) "tant que celui-ci n'aurait pas démissionné".

Il a confirmé ensuite que des distributions d'armes à la population avaient lieu actuellement dans tout le pays. "L'ordre de les utiliser n'a pas encore été donné mais l'heure approche", a-t-il dit. Il a ajouté: "certes, nos armes sont moins puissantes que celles des militaires qui rêvent de nous anéantir mais nous, nous avons la foi, nous vaincrons".

Revenant à l'ayatollah et évoquant la possibilité d'un attentat, le collaborateur du "guide suprême" a dit: "si l'on touche à un seul de ses cheveux, ce sera sanglant".

(...)

L'ayatollah, lui, sortait alors de sa somnolence. Deux heures environ avant l'arrivée à (l'aéroport de) Mehrabad, il appelait une hôtesse pour réclamer un verre d'eau et demandait: "ayez la gentillesse de m'indiquer la direction de La Mecque".

Quelques instants plus tard, le vieil homme s'abîmait dans ses prières.

Encore une demi-heure de vol et l'avion, sortant de la nuit, abordait au jour le ciel iranien, survolant des monts enneigés. Ses dévotions terminées, silencieux à son hublot, le vieil imam contemplait cette terre d'Iran si désirée, si lointaine encore pour lui il y a seulement quelques heures.

Et pour la première fois depuis l'embarquement, ceux qui l'approchaient ont pu voir un sourire illuminer son visage, d'ordinaire austère et grave, ce visage dont les journaux ont à profusion répandu l'image à travers le monde ces derniers mois.

(...)

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