Il y a 50 ans, Dubcek inventait "le socialisme à visage humain"

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Par Jan MARCHAL - Prague (AFP)
Publié le 02 janvier 2018 - 12:17
Mis à jour le 04 janvier 2018 - 17:56
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Affrontements dans le centre de Prague entre manifestants et soldats du Pacte de Varsovie, en août 1968
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© STR / AFP/Archives
Affrontements dans le centre de Prague entre manifestants et soldats du Pacte de Varsovie, en août 1968
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Il y a 50 ans, le 5 janvier 1968, Alexander Dubcek, un apparatchik pas comme les autres, fait naître à Prague un rêve aussi beau qu'éphémère d'un "socialisme à visage humain", rapidement écrasé sans pitié par les chars soviétiques.

Doté d'un sourire charmeur bien différent des visages renfrognés de ses camarades, ce Slovaque de 46 ans remplace à la tête du parti communiste de Tchécoslovaquie (KSC) le dogmatique Antonin Novotny, très impopulaire dans les milieux intellectuels à Prague et parmi les Slovaques qui réclament plus d'autonomie au sein de cet Etat binational.

Ce qui semble être dans un premier temps une querelle banale entre factions communistes lève un vent de réformes timides mais inédites dans ce pays du bloc de l'Est dominé par Moscou, et dont la frontière occidentale avec l'Autriche et la RFA fait partie du "rideau de fer".

"Dubcek est certes le symbole de ce qu'on appelle le +Printemps de Prague+ mais son rôle historique est plus compliqué", avertit l'historien Oldrich Tuma.

"Il sortait, allait à la piscine publique et se joignait aux gens simples pour assister aux matches de football et de hockey sur glace. Mais avait-il une vision politique claire? Il était communiste, avant tout, et n'a jamais voulu sortir de ce cadre", constate-t-il.

"Je l'ai toujours considéré comme un homme honnête et de caractère. Mais aussi quelqu'un d'indécis, plutôt un symbole qu'un protagoniste des événements", affirme de son côté la sociologue Jirina Siklova.

- Colère du Kremlin -

Confrontée à un fort mécontentement de la population fatiguée par les pénuries constantes, la direction remaniée du KSC avec Dubcek à sa tête procède d'abord à une refonte économique prudente, ce qui fait déjà hausser les sourcils à Moscou.

La colère des maîtres du Kremlin monte rapidement: Prague lève la censure ce qui entraîne immédiatement une libéralisation sans précédent de la presse et des activités culturelles. L'apparition d'organisations non communistes telles que le "K 231" d'anciens prisonniers politiques et le "Club des sans-partis engagés" (KAN), germes de partis d'opposition, ne se fait pas attendre.

"Soudain débâillonnés, les médias ont commencé à poser des questions et ouvrir des sujets totalement impensables encore quelque mois plus tôt. Ceci suscitait d'énormes espoirs au sein de toute la société, espoirs qui dépassaient largement les objectifs initiaux de Dubcek", analyse M. Tuma selon qui le nouveau chef du KSC s'est petit à petit retrouvé "à la traîne" des événements.

Entre le marteau d'aspirations démocratiques sans cesse croissantes des Tchèques et Slovaques et l'enclume de l'hostilité ouverte du chef du PC soviétique Léonid Brejnev soucieux de conserver le contrôle de son vassal, Dubcek espère qu'un congrès extraordinaire du KSC prévu en septembre renforce sa position.

Encouragé par les dirigeants dogmatiques de l'ex-RDA Walter Ulbricht et de la Pologne Wladyslaw Gomulka, inquiets d'entendre le mot d'ordre "La Pologne attend son Dubcek", Brejnev opte finalement pour l'intervention militaire.

- "La plus grande tragédie de ma vie" -

L'occupation de la Tchécoslovaquie, le 21 août 1968, par les unités soviétiques et celles de quatre autres pays du pacte de Varsovie (Bulgarie, Hongrie, Pologne, RDA) fait une centaine de morts rien que pendant ses premiers jours.

"Ils ont fait ça à moi, à moi qui ai consacré toute ma vie à la coopération avec l'Union soviétique. C'est la plus grande tragédie de ma vie", déplore Dubcek avant d'être arrêté, déporté à Moscou et contraint de signer un protocole humiliant sur la "normalisation de la situation".

"Le matin du 21 août 1968, je suis arrivée à la gare de Zbecno (50 km à l'ouest de Prague). Il y avait plein de monde, les gens criaient +les Russes nous occupent+ et étaient très surpris et étonnés", se souvient Jaroslava Sindlerova, alors étudiante à l'école supérieure d'économie à Prague.

"Et je leur disais: +Pourquoi cela vous étonne? Tout s'acheminait vers ça+. Dubcek était naïf. Moi, j'avais vingt ans et j'ai compris. Et lui non", martèle-t-elle.

Dubcek se voit finalement évincé en avril 1969 et réduit au silence. La nation se résigne, malgré le sacrifice de l'étudiant Jan Palach, qui s'immole par le feu dans l'espoir de réveiller les consciences. La démocratie ne reviendra à Prague qu'avec la "Révolution de velours" de 1989.

Expulsé du PC et envoyé pendant quinze ans à l'administration des forêts, Dubcek connaît alors un bref retour sur la scène politique et préside le parlement tchécoslovaque. Il meurt le 7 novembre 1992, à 70 ans, des suites d'un accident de la route.

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