Kosovo : Kurti, le rebelle qui se rêve Premier ministre

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Par Ismet HAJDARI et Nicolas GAUDICHET - Pristina (AFP)
Publié le 26 novembre 2018 - 07:45
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Albin Kurti, leader de Vetevendosje (Autodétermination, gauche nationaliste), lors d'une interview avec l'AFP, le 2 octobre 2018 à Pristina, au Kosovo
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© Armend NIMANI / AFP
Albin Kurti, leader de Vetevendosje (Autodétermination, gauche nationaliste), lors d'une interview avec l'AFP, le 2 octobre 2018 à Pristina, au Kosovo
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Il prônait l'émeute et le nationalisme révolutionnaire, aspergeait il y a peu le Parlement de gaz lacrymogène. Albin Kurti porte cravate, se dit social-démocrate et se rêve Premier ministre du Kosovo.

L'ancien leader étudiant emprisonné par Slobodan Milosevic, devenu député et premier opposant au président Hashim Thaçi, a réuni il y a deux mois un des plus importants rassemblements de la décennie à Pristina.

Cette fois, la démonstration de force de Vetevendosje (Autodétermination, gauche nationaliste) s'est déroulée dans le calme, en cohérence avec la nouvelle stratégie de son leader qui espère le pouvoir à portée de main.

Ses partisans entendaient dire non "au marchandage du territoire national" par Hashim Thaçi soupçonné d'envisager d'échanger des territoires avec la Serbie contre une reconnaissance du Kosovo par Belgrade, ce que l'intéressé dément. L'opposition espère déstabiliser suffisamment un pouvoir divisé sur ce sujet, pour provoquer des élections anticipées.

Si ce scrutin se tenait rapidement comme beaucoup le pensent, Vetevendosje serait bien placé pour "garder le statut de premier parti" du Kosovo et Albin Kurti pourrait "réaliser son rêve politique de devenir Premier ministre", selon l'analyste politique Ramush Tahiri. Mais pour l'atteindre, il devra former une coalition, "s'armer de sagesse plutôt que de violence", et "devenir un homme politique moderne", poursuit-il.

- "Grande Albanie" -

A 43 ans, Albin Kurti s'y voit déjà: "Je serais juste. Ni fort, ni faible". Il s'emploie à gommer son image de boutefeu, de héraut enflammé d'une union du Kosovo avec l'Albanie, idée qui inquiète des Occidentaux au rôle prédominant dans la vie politique locale.

Pour les Serbes, son projet reste celui d'une "grande Albanie", inacceptable. "Si Kurti pense vraiment ce qu'il propose, alors il ne peut être une alternative", car cela en ferait "le promoteur ouvert d'un conflit", s'inquiétait en juin 2017 Belgrade.

"Nous voulons le droit du Kosovo à se joindre à l'Albanie", confirme à l'AFP l'intéressé. "Mais nous ne déclencherions pas la troisième guerre balkanique pour cet objectif."

A sa manifestation, les drapeaux albanais flottaient quasi exclusivement. Ce n'était pas de son fait, dit-il. Si ses partisans préfèrent l'aigle bicéphale, c'est parce que le drapeau jaune et bleu du Kosovo est identifié comme celui d'"une élite politique corrompue" et incompétente. Lui-même n'a jamais été cité dans des affaires de corruption, un fléau au Kosovo.

L'image proposée aujourd'hui par celui qui se décrit comme "romantique mais pas chauvin", s'éloigne de celle du leader étudiant, organisateur charismatique de manifestations anti-Milosevic qui tournaient à l'émeute. Il a passé plus de deux ans dans les prisons serbes (1999-2001) avant de se muer en turbulent opposant dans un Kosovo émancipé de la tutelle de Belgrade.

En mars 2018, il incitait encore ses députés à balancer du gaz lacrymogène à l'assemblée.

- 'Superficiel et populiste' -

"Le programme de Vetevendosje est social-démocrate depuis 2013", assure-t-il. Les observateurs s'accordent à dire que le changement remonte aux législatives de 2017 terminées en tête par Vetevendosje. La route du pouvoir lui a été barrée par une alliance des partis des anciens commandants de la guérilla.

Pour Kurti, ce n'est que partie remise: le "changement est très probable". Hashim Thaçi est "un président faible dont le principal atout est la faiblesse de son Premier ministre", Ramush Haradinaj.

Le style Kurti ne plaît pas à tous les anti-Thaçi. Ex-président de Vetevendosje, Visar Ymeri, est parti fonder un parti social-démocrate, dénonçant la dérive d'un mouvement devenu "un +one man show+". A ses yeux, Albin Kurti veut devenir "le prochain Père" de la nation.

"Il se présente en social-démocrate, mais (...) son programme politique reste nationaliste", renchérit Migjen Kelmendi, analyste politique et propriétaire de la chaîne de télévision indépendante Rrokum. "Tout le monde a ce rêve de l'unification" des Albanais et "Kurti utilise ce désir, joue avec les émotions des gens", poursuit Migjen Kelmendi. A ses yeux, les militants de Vetevendosje n'ont pas changé: "Ils se tiennent juste bien..."

Avec quelques écarts, comme ce slogan du rassemblement du 29 septembre, relayé sur son compte Facebook par Albin Kurti, censé moquer l'absence de parité au cabinet: "Il n'y a pas de femme dans le gouvernement. Pas d'homme non plus..."

L'activiste devenu leader de l'opposition reste "un manipulateur superficiel et populiste", dénonce le président du Parlement, Kadri Veseli. Mais pour Afrim Berisha, 21 ans, jeune militant associatif, Albin Kurti "est la seule personne que nous n'avons jamais essayée au pouvoir".

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