Pakistan : des fillettes comblées dans l'école de Malala, leurs parents inquiets

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Par Lehaz Ali - Shangla (Pakistan) (AFP)
Publié le 30 mars 2018 - 19:57
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Des élèves arrivent à l'Ecole modèle Khpal Kor à Shangla, dans la vallée de Swat, le 30 mars 2018
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© ABDUL MAJEED / AFP
Des élèves arrivent à l'Ecole modèle Khpal Kor à Shangla, dans la vallée de Swat, le 30 mars 2018
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Salle informatique, aire de jeu, bibliothèque... les 183 filles scolarisées dans une école construite par le Fonds de Malala Yousafzai lui doivent beaucoup. Leurs parents refusent toutefois d'en parler, par crainte de représailles des talibans pakistanais, qui ont manqué d'assassiner la prix Nobel en 2012.

L'école modèle Khpal Kor, ouverte il y a deux semaines à Shahpur, une ville du district de Shangla, dans lequel résidait Malala, est un symbole du changement que la jeune femme, désormais âgée de 20 ans, a impulsé dans une région profondément conservatrice.

Des dizaines de fillettes en uniforme bleu et blanc se pressent devant la lourde porte d'entrée jaune pour y recevoir une bonne éducation. Face aux hauts murs de briques entourant le bâtiment flambant neuf, haut de trois étages, des sapins recouvrent de spectaculaires montagnes.

A leur âge, dix ans plus tôt, Malala s'indignait du manque d'opportunités offertes aux filles, dans un blog pour la BBC en ourdou. Elle y dénonçait aussi le climat de peur régnant sous la férule des extrémistes.

Les talibans pakistanais ont pris en 2007 le contrôle la vallée de Swat, dont fait partie Shahpur, y multipliant les violences, décapitations, et autres attaques contre les écoles de filles. Après le déploiement de 30.000 soldats, l'armée a déclaré la zone sécurisée en juillet 2009.

Mais nombre de parents refusent encore aujourd'hui de répondre aux questions des journalistes par crainte de représailles, montrant combien la crainte des insurgés est difficile à dissiper.

- 'Pas de publicité' -

"Nous ne voulons pas de publicité autour de cette école, car s'il y en a, les extrémistes vont la viser", a déclaré l'un d'entre eux à l'AFP, sous couvert d'anonymat.

Sur la route partiellement achevée menant au bâtiment, nombre de fillettes arrivent escortées par leurs pères ou leurs frères aînés.

D'après Sajid Shah, le directeur de l'école, le Fonds Malala, qui a financé le bâtiment, prend en charge le transport, les livres, les uniformes et les frais de scolarité des 38 orphelines et des plus démunies des 183 élèves, ainsi que les salaires des professeurs.

La police a promis trois agents pour sécuriser le site. Vendredi, lors d'une visite de l'AFP, ils n'étaient pas encore arrivés.

Swat est souvent cité par les autorités pakistanaises comme une réussite sécuritaire dans la lutte contre les talibans et les groupes liés à Al-Qaïda. La région a récemment été déclarée sûre pour y recevoir des touristes.

Mais le Pakistan est souvent critiqué pour ne pas s'attaquer aux racines de l'extrémisme. La paix dans la vallée de Swat reste fragile, comme l'a démontré l'assassinat manqué de Malala en 2012, alors que l'armée en avait le contrôle.

L'adolescente et sa famille avaient alors déménagé à Mingora, la principale ville de la région. C'est là que des jihadistes avaient fait irruption dans son bus scolaire, à la sortie des classes. L'un d'eux avait demandé qui était Malala, avant de lui tirer une balle dans la tête.

La sécurité s'est améliorée "de manière significative" à Swat, estime l'analyste sécuritaire Rahimullah Yusufzai. De rares attaques, comme l'attentat suicide contre des militaires en février, qui a tué 11 soldats, montre pourtant que le péril demeure.

- "Des Malala partout" -

"Les (insurgés) ont encore leurs facilitateurs et leurs cellules dormantes là-bas", observe M. Yusufzai, interrogé par l'AFP.

L'école Khpal Kor est la meilleure de Shahpur, affirme Afshaar Alam, un étudiant en médecine, tout en y accompagnant sa petite soeur de 7 ans. Dans un premier temps, sa famille s'est pourtant opposée à ce qu'elle y aille "par crainte qu'elle ne soit visée".

Sécurité mise à part, les habitants de la zone affirment que la vie a changé pour les femmes et les filles dans cette région conservatrice, où des inondations et un tremblement de terre en 2005 ont forcé les élèves à étudier dehors, même durant de rudes hivers.

"Je remercie Malala pour ses inestimables efforts pour promouvoir l'éducation, ce que nos dirigeants n'ont pas réussi à faire", observe Farman Ullah, un vendeur, tout en amenant ses trois filles à l'école.

"Nous avons une seule Malala aujourd'hui, mais dans une décennie, nous aurons des Malala partout", espère-t-il.

Il était encore impossible de savoir vendredi si la prix Nobel de la paix, arrivée jeudi à Islamabad après plus de cinq ans d'absence, irait ou non dans la vallée de Swat durant ses quatre jours au Pakistan.

"Ne pas l'emmener dans sa ville d'origine signifie qu'ils ne sont pas confiants", remarque Rahimullah Yusufzai. Et de s'interroger : "Si le gouvernement ne peut pas assurer sa sécurité, alors qu'est ce que cela signifie ?"

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