A Pékin, la police mobilisée pour empêcher une manifestation d'épargnants floués

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Par Becky Davis - Pékin (AFP)
Publié le 06 août 2018 - 19:31
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Des centaines de policiers ont patrouillé lundi dans un quartier d'affaires de Pékin pour empêcher une manifestation monstre d'épargnants victimes des très risquées plateformes de prêts en ligne entre particuliers, un secteur peu régulé.

Furieux d'avoir vu une partie de leurs économies s'évaporer et exaspérés par l'insuffisance des règles encadrant la finance sur internet, des milliers d'investisseurs avaient décidé de se réunir en masse dans la capitale pour attirer l'attention du gouvernement.

Arrivés de toute la Chine, de Canton (sud) au Xinjiang (extrême ouest), ces pétitionnaires se sont organisés via des groupes de discussion sur les réseaux sociaux, où ils partageaient leur désarroi, ont déclaré plusieurs d'entre eux à l'AFP tôt lundi dans les rues de la ville.

Selon eux, plus de 8.000 personnes étaient attendues.

Mais les autorités en ont décidé autrement : quelque 120 autocars étaient alignés jusqu'à trois kilomètres autour du siège de l'autorité chinoise de régulation bancaire (CBRC), le point de ralliement de la manifestation.

La police avait ordonné aux hôtels du quartier de refuser l'accès à tout "pétitionnaire", a dit à l'AFP M. Li, un employé du luxueux Westin.

Plusieurs groupes de "pétitionnaires" qui se sont malgré tout formés ont finalement été interpellés par les forces de sécurité dans les rues environnantes et éloignés à bord d'autocars sous escorte policière.

- Faillite du 'Cochon prospère'-

Avant d'être emmené, l'un des manifestants, un trentenaire de Shanghaï, a expliqué à l'AFP sous le couvert de l'anonymat avoir perdu les quelque 110.000 yuans (13.900 euros) qu'il avait investis sur la plateforme internet Facaizhu ("Cochon prospère").

"J'ai exposé l'affaire aux autorités partout, mais elles ne voulaient rien entendre !", soupire-t-il. "Toutes ces plateformes s'effondrent, des millions de yuans s'évaporent, pourtant le gouvernement ne régule rien".

A ses côtés, un quadragénaire confie avoir perdu 200.000 yuans. Il a voyagé debout en train sans dormir pendant dix heures. "Nous voulons que l'Etat s'intéresse à notre situation et vérifie qu'il n'y a pas eu de détournements de fonds ou de corruption", lâche-t-il.

Pour les autorités, le sujet est sensible : le secteur chinois des prêts entre particuliers (P2P), même s'il reste risqué et rongé par les fraudes, pèse quelque 195 milliards de dollars, selon Bloomberg.

Plus de 4.300 sociétés chinoises de prêts P2P ont déjà fait faillite, d'après le cabinet spécialisé Yingcan, cité par Bloomberg.

Sur le seul mois de juillet, 164 nouvelles firmes ont été identifiées comme étant des "plateformes problématiques" d'où les investisseurs ne pouvaient plus retirer leurs fonds, selon la base de données Wangdaizhijia.

Alors que ce genre de placement était "vanté dans des publicités" et encouragé par les autorités, le pétitionnaire trentenaire a découvert mi-juillet que son investissement avait entièrement fondu. Au siège shanghaïen de la plateforme, il n'a trouvé que des bureaux désertés.

"Je savais l'investissement risqué, mais finir sans plus un seul centime, ce n'est pas du risque, c'est de l'escroquerie !", fulmine-t-il, fustigeant l'inactivité de la justice.

- "Sans aucun pouvoir" -

Malgré l'impressionnant dispositif policier, l'investisseur quadragénaire se disait serein : "Je n'ai pas peur d'être arrêté. Je n'ai pas enfreint la loi, cette société est fondée sur le respect de la loi", martèle-t-il.

Un policier s'approche alors, argumentant d'un ton engageant : "Nous ne sommes pas là pour vous arrêter. Nous pouvons tous vous conduire dans un même endroit, trouver quelqu'un pour vous parler", souligne-t-il. "Arpenter les trottoirs ne vous avancera guère..."

Nombre de pétitionnaires acceptent de monter dans des autocars sans protester, a constaté une journaliste de l'AFP. Un policier explique qu'ils ont été emmenés dans la banlieue de Pékin.

Or, d'après les ONG de défense des droits de l'homme, des "prisons illégales" sont établies dans de lointains faubourgs de la capitale : des appartements ou des hôtels où des "pétitionnaires" sont retenus sous étroite surveillance avant d'être renvoyés chez eux.

"Ces affaires tombent dans un trou noir. Les gens n'obtiennent jamais la moindre réponse", relève Patrick Poon, un chercheur d'Amnesty International.

Lucide, le trentenaire avait d'emblée confié à l'AFP : "Vous venez à Pékin, mais impossible d'accéder à une porte d'entrée (des autorités) et encore moins de la franchir !".

Un compagnon quinquagénaire jette un regard alentour : "Où sont tous les gens ? Nous avons été dispersés, nous n'avons plus aucun pouvoir".

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