Suicide d'un recteur au Brésil : les méthodes de la justice en question

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Par AFP
Publié le 10 octobre 2017 - 12:53
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Photo publiée par l'Université fédérale de Santa Catarina (UFSC) montrant les funérailles du recteur
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© Jair QUINT / AFP
Photo publiée par l'Université fédérale de Santa Catarina (UFSC)
montrant les funérailles du recteur Luiz Carlos Cancellier, à Florianopolis, le 2 octobre 2017 au Brésil
© Jair QUINT / AFP

"Ils ont décrété ma mort en m'expulsant de l'Université", a accusé dans un message avant de se jeter dans le vide le recteur Luiz Carlos Cancellier, un suicide qui a relancé le débat sur les méthodes de la justice au Brésil.

Le drame s'est noué le 14 septembre, quand le recteur de la prestigieuse Université fédérale de Santa Catarina (UFSC - sud) a été placé en détention provisoire après avoir été accusé d'entraver une enquête sur des détournements de fonds.

Bien que remis en liberté 24 heures plus tard, il a été démis de ses fonctions et interdit d'entrée dans l'université par la justice.

Le recteur Cancillier, un universitaire respecté de 59 ans, a clamé son innocence mais, dans un Brésil si habitué aux scandales de corruption, comme le tentaculaire "Lavage express" autour de Petrobras, la presse a plutôt laissé entendre qu'il était coupable.

"Toute ma vie a été construite autour de l'UFSC, un événement comme celui-ci est très traumatique. J'ai vécu une humiliation totale", a-t-il déclaré au Diario Catarinense.

Il y a une semaine, le recteur a secoué l'opinion dans le riche Etat de Santa Catarina en se précipitant dans le vide du haut d'un centre commercial de Florianopolis. Avec, dans la poche de son pantalon, le message accusateur publié par son frère sur les réseaux sociaux.

- 'Abus de pouvoir' -

Pour le procureur de l'Etat, Joao dos Passos, ce sont "les dommages psychologiques", subis par M. Cancellier qui l'ont poussé à se supprimer.

Le procureur a demandé une enquête sur "la responsabilité (...) des autorités policières et judiciaires impliquées".

"Il est inacceptable que des personnes respectées voient leur honneur détruit en raison du zèle de l'appareil d'Etat, nous ne pouvons continuer à tolérer des pratiques dignes d'un Etat policier", s'est insurgée l'Association des dirigeants universitaires Andifes.

L'ordre des avocats du Brésil (OAB) a abondé. "Nous assistons à une banalisation des mesures de détention provisoire au Brésil et des interrogatoires abusifs, menés presque toujours pour le spectacle et les médias".

Le juge de la Cour suprême (STF) Gilmar Mendes s'est lui aussi inquiété: "La mort de M. Cancellier tire la sonnette d'alarme sur (...) les éventuels abus de pouvoir de la part des autorités".

Mais l'ancien juge fédéral, Luciano Godoy, a estimé pour l'AFP que la mort du recteur était un "événement relativement isolé" et qu'"il est très difficile de lier" le suicide et les accusations.

- Délations et fuites -

Depuis le déclenchement de l'enquête "Lavage express" en 2014, le Brésil vit au rythme des détentions provisoires et procédures judiciaires qui nourrissent les journaux télévisés, souvent grâce à des fuites.

La présomption d'innocence est à chaque fois plus malmenée.

Pour la plus grande enquête anticorruption jamais vue au Brésil, les juges ont eu recours abondamment aux détentions provisoires, délations récompensées et fuites vers la presse, au mépris du secret de l'instruction. Des méthodes qui font débat au sein même de l'institution judiciaire.

Le juge Sergio Moro, héraut national de la lutte anticorruption, a largement usé de ces méthodes. Sans les délations récompensées, il "n'aurait pas été possible de découvrir les réseaux de corruption", a-t-il assuré, au sujet de ces délations rétribuées par des allègements de peine, par exemple.

Des hommes politiques et chefs d'entreprise se croyant intouchables ont ainsi pris le chemin de la prison préventive, tel Marcelo Odebrecht, patron du conglomérat au coeur du scandale, des ex-ministres de gauche comme de l'actuel gouvernement de centre droit.

Une majorité ont fait des confessions, espérant sortir plus vite de prison. D'autres ont été libérés sur ordre du STF, qui a considéré qu'ils ne posaient pas de risque de fuite ni d'entrave au travail de la justice.

"La prison préventive est une mesure extrême", dit à l'AFP Luis Henrique Machado, défenseur de plusieurs accusés de "Lavage express".

"Beaucoup de ces personnes sont incarcérées dans l'espoir qu'elles vont faire des délations. C'est une torture pour l'accusé. Et dans certains cas (...) ces personnes sont si désespérées qu'elles mentent".

L'ex-juge Godoy ne croit pas que ces méthodes soient abusives mais concède que "les informations ne devraient être divulguées qu'avec le plus grand soin, afin qu'une personne non encore jugée ne soit pas considérée comme coupable par la société".

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