Au Pakistan, les réseaux sociaux sous intense surveillance

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Par Joris FIORITI - Islamabad (AFP)
Publié le 10 mai 2019 - 08:15
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Un homme regarde son téléphone à moto, le 22 février 2016 à Rawalpindi, au Pakistan
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© Farooq NAEEM / AFP/Archives
Un homme regarde son téléphone à moto, le 22 février 2016 à Rawalpindi, au Pakistan
© Farooq NAEEM / AFP/Archives

Menaces et arrestations pour certains, comptes ou posts restreints pour beaucoup d'autres: le Pakistan a très nettement intensifié ces dix-huit derniers mois sa campagne de censure des réseaux sociaux, accusent des opposants qui en avaient fait leur dernier espace de contestation.

Le 9 février, le journaliste Rizwan-ur-Rehman Razi a été arrêté chez lui à Lahore (est) pour mise en ligne de contenus "diffamatoires et odieux" contre l'Etat, selon un rapport de police lu par l'AFP.

Quelques jours plus tôt, il avait dénoncé les exécutions extra-judiciaires commises selon lui par les forces de sécurité, d'après une copie de ses tweets vue par l'AFP.

Libéré après deux nuits, il n'a depuis lors plus écrit un mot sur Twitter, d'où ses contenus litigieux ont disparu. Le journaliste n'a pas souhaité être interviewé par l'AFP.

Muhammad Hayat Khan Preghal a lui aussi été accusé d'avoir diffusé des "commentaires diffamatoires, humiliants et injurieux contre les institutions nationales", selon Amnesty international.

Militant du PTM, un mouvement de droits civiques très critique envers l'armée, il a passé deux mois et demi en prison, jusqu'à ce qu'Amnesty réclame la libération de ce "prisonnier d'opinion".

Relâché en septembre, M. Preghal, qui vivait aux Emirats arabes unis, a reçu l'interdiction de quitter le Pakistan. Son compte Twitter n'éreinte plus les militaires. Lui aussi a refusé de s'entretenir avec l'AFP.

"Les autorités ne cachent plus leur volonté de réduire au silence la dissidence sur internet", dénonce Rabia Mehmood, chercheuse pour Amnesty. "Alors que la censure actuelle est exceptionnellement intense, un message est constant : la critique des politiques de l'armée pakistanaise ne sera pas tolérée."

- "Intimidations" -

Mi-février, Islamabad a annoncé des mesures "d'ampleur" pour "réguler les réseaux sociaux" et contrer "les discours haineux" et extrémistes. "Les médias informels sont davantage un problème que les médias" traditionnels, avait mis en garde Fawad Chaudhry, alors ministre de l'Information.

La puissante armée, qui a dirigé le Pakistan pendant près de la moitié de son histoire, a reconnu en juin 2018 "avoir la capacité de surveiller les réseaux sociaux".

Son porte-parole, le général Asif Ghafoor, avait ensuite montré, lors d'une conférence télévisée, des photos de dizaines d'individus, dont des journalistes et des militants des droits humains, en les présentant comme "anti-Etat".

Quatre d'entre eux, tous journalistes de renom, font depuis l'objet d'une enquête, accusés d'avoir mis en oeuvre une "campagne ciblée sur les réseaux sociaux", selon une source sécuritaire. Il leur est reproché d'avoir publié pendant une visite du prince héritier Mohammed ben Salmane à Islamabad des photos du journaliste saoudien assassiné Jamal Khashoggi.

"Connus pour être virulents sur les réseaux sociaux, (...) le seul endroit où ils peuvent s'exprimer librement", ils font l'objet de "harcèlement", a récemment regretté Reporters sans frontières.

Parallèlement, les médias traditionnels subissent des "méthodes d'intimidations" croissantes, qui les poussent à l'"auto-censure", déplore le Comité de protection des journalistes, une ONG.

"L'Etat contrôle les médias. Les réseaux sociaux sont la dernière frontière à conquérir", accuse l'éditorialiste Gul Bukhari, brièvement kidnappée en juin par des inconnus en civil.

- Requêtes gouvernementales -

Le Pakistan s'est ainsi distingué par un bond de ses demandes d'intervention auprès de Facebook et Twitter, selon les derniers rapports de "transparence" des deux géants.

Le pays est celui où Facebook affirme avoir restreint le plus de données illégales (2.203) au monde au premier semestre 2018, soit sept fois plus qu'au semestre précédent. Ces contenus - à l'exception de 87 cas - avaient été signalés par Islamabad car "ils violaient prétendument les lois locales", selon Facebook.

De janvier à juin 2018, le Pakistan a également été le deuxième pays au monde pour le nombre de comptes Twitter visés par des demandes de retrait (3.004), la plupart émanant des autorités, a indiqué à l'AFP le site de micro-blogging, en précisant n'en avoir satisfaite aucune. Là encore, ce chiffre a plus que quadruplé par rapport au semestre précédent (674).

L'Autorité des télécommunications du Pakistan (PTA), à l'origine de la plupart de ces requêtes, n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP. De son côté, le général Asif Ghafoor a déclaré que l'armée n'avait "pas envoyé la moindre plainte à Twitter".

Cette hausse de la "censure gouvernementale" s'explique par la campagne électorale qui était alors en cours pour les législatives de juillet 2018, selon des observateurs interrogés par l'AFP.

Armée et justice sont soupçonnées d'avoir oeuvré en faveur d'Imran Khan, élu au détriment du camp de l'ex-Premier ministre Nawaz Sharif.

"Sous Nawaz Sharif, le gouvernement essayait de résister", commente le journaliste Murtaza Solangi, mais après sa destitution en juillet 2017 les autorités sont devenues "plus coopératives" avec les militaires.

- Ciblage -

Shahzad Ahmad, directeur de l'ONG Bytes for all, spécialisée dans la sécurité numérique, note un ciblage des leaders d'opinion.

Les victimes sont des "membres du PTM, du PML-N (le parti de M. Sharif), des journalistes, des blogueurs ou des (militants) séparatistes", énumère-t-il.

Pour Annie Zaman, auteure de rapports sur la cybercensure au Pakistan, un tel ciblage est rendu possible par une loi de 2016 sur la cybercriminalité qui réprime les propos "attentatoires à la gloire de l'islam, ou à l'intégrité, la sécurité et la défense du Pakistan". Les contrevenants risquent jusqu'à 14 ans de prison.

"Parce que cette loi est vague, elle a donné plus d'espace aux autorités pour censurer le net", pointe-t-elle.

La loi de 2016 a récemment été invoquée pour accuser de "cyberterrorisme" le journaliste Shahzeb Jillani. Il se voit reprocher l'emploi d'"un langage sarcastique (...) et diffamatoire" contre l'armée, selon l'acte d'enquête.

Twitter a de son côté averti des dizaines d'internautes que leurs posts "violaient les lois pakistanaises". Sur 31 destinataires d'un même email retrouvés par l'AFP, 20 étaient Pakistanais et critiques des autorités. Les 11 autres, étrangers, tweetaient des contenus jugés islamophobes ou blasphématoires par Islamabad.

Jillian York, experte de l'ONG américaine Electronic Frontier Foundation (EFF), y voit la preuve que "la censure gouvernementale" pakistanaise essaie de s'exercer même "au-delà de sa juridiction".

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