Départ des médecins cubains : "Un désastre" dans les campagnes du Brésil

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Par Johannes MYBURGH, Jordi MIRO - Alexânia (Brésil) (AFP)
Publié le 24 novembre 2018 - 07:45
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Le médecin cubain Miguel Pantoja à Alexania, à 90 kms de Brasilia, au Brésil, le 22 novembre 2018
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© EVARISTO SA / AFP/Archives
Le médecin cubain Miguel Pantoja à Alexania, à 90 kms de Brasilia, au Brésil, le 22 novembre 2018
© EVARISTO SA / AFP/Archives

"Le départ du docteur Miguel, le seul qu'on avait ici, est un désastre", se désole Enedina de Oliveira, une retraitée brésilienne, après l'arrêt brutal du programme de coopération avec Cuba "Mais Médicos" (Plus de médecins).

Cette femme de 65 ans est assise devant chez elle, à quelques mètres du modeste dispensaire où ils soignait les 4.000 habitants du faubourg défavorisé de Vila Mutirão, dans la localité d'Alexania située dans l'Etat de Goias, à 90 km de la capitale Brasilia.

Il y a deux ans, le jeune médecin Miguel Pantoja, de Camagüey (centre de Cuba), était arrivé dans le cadre de "Mais Médicos" lancé en 2013 par la présidente de gauche Dilma Rousseff.

L'idée était d'amener des médecins dans les déserts médicaux de régions pauvres et rurales du Brésil, pas assez attirantes pour les généralistes brésiliens.

Mais avant même son installation au pouvoir en janvier prochain, le président élu d'extrême droite Jair Bolsonaro, farouche anticommuniste, a lancé une offensive contre les médecins cubains.

Il a mis en question leurs compétences, leurs conditions de travail proches de "l'esclavage", avec leur gouvernement qui retient 70% de leur salaire et leurs familles qui ne sont pas autorisées à les accompagner.

La Havane a accusé le coup et aura fait rentrer ses quelque 8.300 médecins avant le 12 décembre. Il n'y aura plus de "diplomatie de la blouse blanche" cubaine dans le Brésil de Bolsonaro.

- Coup dur pour les habitants -

"Ils vont devoir envoyer quelqu'un sinon qu'est-ce qu'on va faire ?", demande Mme De Oliveira, dont le généraliste cubain soignait les problèmes de thyroïde.

Son départ avec celui de milliers d'autres médecins est un coup dur pour les habitants des zones isolées de l'immense Brésil, qui vont se retrouver sans aucun médecin.

Le Dr Pantoja, 30 ans, qui a laissé une fille à Cuba, a mis sa blouse blanche pour la dernière fois. Les patients arrivent à vélo, sous un soleil ardent. Une mère lui confie son bébé. Une femme âgée l'embrasse très chaleureusement.

Pantoja est mince, porte un jean, et se fond dans la population multiculturelle du Brésil.

Dès cette semaine, le gouvernement a lancé des appels à candidature pour combler les vides laissés par les Cubains, mais beaucoup redoutent que les recrutements soient lents et que ces postes n'intéressent personne.

Comme à Alexania, cette petite ville de 30.000 habitants avec seulement 10 médecins généralistes, dont six étaient cubains. Vingt autres médecins brésiliens exercent à l'Hôpital Municipal.

- "On va souffrir" -

Le même jour de cette fin de semaine, à l'aéroport de Brasilia, des dizaines de médecins - les premiers à rentrer - attendent dans une longue file le moment d'embarquer. Certains rapportent chez eux des appareils d'électro-ménager et même des animaux domestiques.

"Qu'on le veuille ou non, on va souffrir" de la situation "parce qu'une partie des postes ne sera pas pourvue de nouveau. C'est mathématiquement impossible", dit à l'AFP le maire d'Alexania, Allyson Silva Lima.

Le docteur Pantoja n'est que l'un des milliers de médecins envoyés par Cuba depuis des décennies dans plus de 60 pays amis, comme l'Equateur, le Venezuela, l'Angola ou l'Algérie, un motif d'orgueil et une source de devises pour La Havane.

Le Brésil versait à la Havane un salaire de 3.000 dollars par mois pour chaque médecin cubain, qui n'en percevait que 30%, tout en continuant de toucher son modeste salaire à Cuba et d'y garder son poste.

"C'est un pays où beaucoup de choses sont gratuites", explique le dr Pantoja, "c'est très difficile de soutenir la croissance économique". L'argent que ponctionne La Havane "va aux universités, aux écoles, aux hôpitaux dont Cuba a besoin. La santé comme l'université sont entièrement gratuites."

Mais depuis quatre ans, il y a eu des défections et quelque 150 médecins cubains ont fait des démarches légales pour exercer au Brésil. Beaucoup se sont mariés au Brésil.

L'association médicale brésilienne (AMB), très critique envers le fait que les Cubains peuvent exercer sans revalider leur formation au Brésil, estime qu'il est faux que les médecins ne veuillent pas exercer partout au Brésil.

"Ce qui fait défaut, c'est une politique, des crédits, des structures adaptées pour que la médecine brésilienne puisse être exercée dans toute sa plénitude", dit à l'AFP son président Lincoln Lopes Ferreira.

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