Les arts exhumés à Raqa, "ex-capitale" de l'EI en Syrie

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Par Delil SOULEIMAN - Raqa (Syrie) (AFP)
Publié le 12 mai 2019 - 12:13
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Des Syriens dansent dans un centre culturel à Raqa, dans le nord de la Syrie, le 1er mai 2019
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© DELIL SOULEIMAN / AFP
Des Syriens dansent dans un centre culturel à Raqa, dans le nord de la Syrie, le 1er mai 2019
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Sur l'estrade, hommes et femmes en tenue traditionnelle dansent au rythme des tambours et des chants folkloriques: Raqa, ancienne "capitale" du groupe Etat islamique (EI) en Syrie, vient d'inaugurer son premier centre culturel depuis la chute des jihadistes.

A l'étage, dans la bibliothèque baignée de lumière se dégage encore l'odeur de la peinture fraîche des murs d'un blanc éclatant. Des ouvrages s'alignent sur les étagères de bois sombres.

Plus loin, les sculptures côtoient les dessins au fusain et les peintures aux couleurs vives, réalisés par des artistes locaux.

"Après toutes les destructions, l'absence de culture et d'art, on a un centre où on peut écouter du chant et de la poésie", s'enthousiasme Fawzia al-Cheikh, venue assister à l'inauguration du "Centre de la culture et des arts de Raqa".

"On est fier de passer de l'obscurité à la lumière", ajoute cette trentenaire.

Après s'être emparés en 2014 de Raqa, dans le nord du pays, les jihadistes ont imposé leur interprétation rigoriste de l'islam et interdit notamment la musique, la peinture et la sculpture.

Avant l'arrivée de l'EI, la ville comptait une vingtaine de centres culturels, dont le principal abritait une bibliothèque de 60.000 ouvrages. Ces institutions ont ensuite été saccagées.

- "Nouvelle naissance" -

En octobre 2017, l'EI a finalement été chassé de la ville par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants arabes et kurdes, à l'issue de combats ayant dévasté la cité et fait des milliers de déplacés.

Le conseil civil de Raqa, mis en place pour administrer la ville, a alors décidé de faire revivre les arts avec l'ouverture d'un centre culturel.

Le rez-de-chaussée de l'élégante bâtisse en pierre abrite une salle d'exposition et un petit théâtre avec une estrade en bois et son rideau de velours rouge. Pour marquer l'inauguration, un spectacle folklorique y a été organisé début mai.

Les tambours et la rababa --instrument à cordes-- se mélangent à la voix rauque d'un homme qui déclame des chants traditionnels de la région de l'Euphrate.

Vêtues d'abayas traditionnelles décorées de broderies dorées, des jeunes filles dansent la dabké, danse traditionnelle du Proche-Orient, main dans la main avec des garçons enturbannés portant de larges robes grises.

Quant à la bibliothèque, elle accueille déjà des centaines de livres.

"Les livres que vous voyez là, on les a sortis des décombres", raconte Ziad al-Hamad, directeur du centre et co-président de la commission "culture et antiquités" de Raqa.

"A l'époque de l'EI, des habitants avaient préservé d'une manière ou d'une autre les livres des centres culturels", ajoute le responsable de 64 ans. "Quand la ville a été libérée, ils nous les ont ramenés", confie-t-il.

Pour la première fois depuis 2014, les artistes locaux peuvent présenter leurs oeuvres au public.

Dans la salle d'exposition, la sculpture d'une femme portant son enfant côtoie une toile représentant une barque blanche qui vogue sur un océan bleu et un tableau sombre d'une maisonnette en bord de mer.

Ces peintures sont signées Amal al-Atar, une artiste qui a choisi de rentrer en Syrie après plusieurs années d'exil au Liban voisin.

"Pour nous, c'est une nouvelle naissance", se réjouit la peintre de 37 ans, ses lunettes de soleil relevées sur ses cheveux noirs.

- "Rossignols en cage" -

Il y a quelques années, les jihadistes avaient débarqué dans son atelier, où se réunissaient régulièrement les artistes, pour prévenir qu'ils considéraient leur art comme "haram", interdit par l'islam.

Mme Atar avait alors fui la ville, laissant derrière elle 50 oeuvres dépeignant notamment le patrimoine et l'artisanat de Raqa.

Ces tableaux "ont été brûlés par l'EI", regrette-t-elle. "Pour un artiste-peintre, les toiles, c'est son âme".

Malak al-Yatim garde également un douloureux souvenir des jihadistes, qui lui avaient brisé ses instruments et l'avaient empêché de chanter.

"On était comme des rossignols en cage", confie le sexagénaire, coiffé d'un keffieh blanc. "Si on faisait quoi que ce soit, ils nous décapitaient ou nous donnaient des coups de fouet".

Aujourd'hui, il a retrouvé son enthousiasme après avoir chanté sur scène: "Je me sens comme un oiseau qui vole dans un ciel de printemps".

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