Libye : les habitants de Tripoli abordent le ramadan les poches désespérément vides

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Par Nawas AL-DARRAJI - Tripoli (AFP)
Publié le 03 mai 2019 - 14:21
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Une Libyenne achète des olives à un marché de Tripoli avant le début du ramadan, le 1er mai 2019
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© Mahmud TURKIA / AFP
Une Libyenne achète des olives à un marché de Tripoli avant le début du ramadan, le 1er mai 2019
© Mahmud TURKIA / AFP

A l'approche du ramadan, le souk al-Hout de Tripoli est bondé mais dans ses allées, les visages sont moroses: la période de fête s'annonce particulièrement rude pour les Libyens, ruinés par des années de crise et épuisés par les combats qui ont repris.

"Notre pays est célèbre pour ses dattes mais aujourd'hui personne n'est capable d'en acheter, le prix a doublé" soupire le vendeur Abdallah al-Chaïbi, devant sa boutique de la rue al-Rachid, dans le plus ancien marché de la ville, où il vend ces fruits venus du sud-est de la Libye.

Avec le lait caillé, les dattes "degla" sont normalement le produit-roi de l'iftar, le repas quotidien de rupture du jeûne qui débute le 5 mai. "Comment imaginer un iftar sans dattes?", lance-t-il.

Mais cette année, les tables de l'iftar s'annoncent moins garnies.

"Une importante partie de la population est incapable d'acheter le strict nécessaire. Garantir des repas (pour sa famille) est devenu un exploit", explique le commerçant. "Dans un pays riche comme la Libye, nous ne sommes pas habitués à ça."

Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye --qui possède parmi les plus importantes réserves pétrolières d'Afrique-- est en proie à l'instabilité, aux combats entre les milices et subit une grave crise économique.

Depuis le 4 avril, le pays a replongé dans la violence avec l'offensive militaire lancée par Khalifa Haftar, homme fort de l'est libyen, pour conquérir Tripoli, siège du Gouvernement d'union nationale (GNA) reconnu par la communauté internationale.

Les forces loyales au GNA et celles du maréchal Haftar s'affrontent dans la banlieue sud de la capitale, ainsi qu'un peu plus loin au sud de la ville.

"A chaque lueur d'espoir, un conflit militaire éclate entre Libyens", se désole Mohamed al-Noueri, qui remplit, un peu plus loin dans la rue, des petits sachets avec des épices et des gousses d'ail qu'il a épluchées.

Tous les jours, il installe sur un petit étal ces sachets pour gagner quelques dinars et nourrir sa famille.

"Cela fait des années que je viens ici pour subvenir aux besoins des dix membres de ma famille. J'ai des fils à l'université et une fille handicapée-moteur", affirme cet homme de 69 ans, au visage ridé.

"Je suis diabétique et j'ai du mal à me procurer mes médicaments. (...) Je suis exténué, comme beaucoup d'autres qui résistent d'année en année dans des circonstances exceptionnelles. Et la guerre nous guette", confie-t-il.

- Pénuries et files d'attente -

Dans les allées du marché, à l'ombre des remparts de la vieille ville, Manal Khayri passe, elle, d'un magasin à l'autre, à la recherche des meilleurs légumes secs, incontournables des recettes du ramadan.

Pour cette mère de quatre enfants, ces courses au Souk al-Hout marquent la fin d'un parcours du combattant.

"Pendant trois jours, j'ai passé des heures devant la banque et je n'ai pu retirer que 500 dinars (environ 320 euros, ndlr) qui suffiront à peine pour la première semaine" du mois de ramadan, raconte Mme Khayri, 45 ans.

"Je prie Dieu qu'il rapproche les Libyens. Nous nous entretuons pendant que les richesses de notre pays sont pillées en plein jour", dit-elle.

Depuis huit ans, insécurité et pénuries font partie du quotidien, rythmé par les coupures d'électricité et les interminables files d'attente devant les banques, où les liquidités font défaut malgré une réforme économique l'an passé.

Mais "cette année, le ramadan sera le plus difficile depuis des années", estime Malek Mohamad, lui aussi venu faire ses courses rue al-Rachid.

"La guerre a contraint des milliers d'habitants du sud de Tripoli à quitter leurs maisons, sans emmener avec eux leurs affaires indispensables", estime-t-il. Ils seront obligés d'en racheter, ce qui amputera un peu plus leurs déjà maigres budgets.

Selon l'ONU, plus de 40.000 personnes ont fui les combats, mais ces chiffres n'incluent pas ceux qui ont trouvé refuge chez des proches sans passer par les agences onusiennes.

Le gouvernement a assuré avoir pris les dispositions nécessaires pour garantir les besoins des citoyens pour ce temps fort de l'année.

"Tous les produits de base (comme la farine, l'huile, pâtes et riz, etc, ndlr) seront disponibles pendant le mois de ramadan", a déclaré mercredi Othman Abdul Jalil, vice-président du comité d'urgence et ministre de l'Education.

Des associations caritatives organiseront aussi des "iftars collectifs" dans les écoles, dont certaines servent déjà de centres d'accueil pour familles de déplacés. Ces repas de charité, habituellement réservés aux nécessiteux, accueilleront cette année un plus large public.

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