Mai 68 vu par l'AFP - Un dimanche au Palais

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Par AFP - Paris
Publié le 01 mai 2018 - 12:00
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Les forces de l'ordre arrêtent un couple durant les affrontements avec les manifestants, le 5 mai 1968 à Paris
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Les forces de l'ordre arrêtent un couple durant les affrontements avec les manifestants, le 5 mai 1968 à Paris
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Un pâtissier, un aide-chimiste et cinq étudiants. Interpellés dans les rues embrasées du quartier latin après l'évacuation de la Sorbonne, le 3 mai 1968, sept jeunes hommes comparaissent en flagrant délit le surlendemain.

"Des lampistes", alors que 600 personnes ont été interpellées par la police ce jour là, et non des lanceurs de pavés, assurent leurs avocats devant la 10e chambre correctionnlle.

C'est un dimanche, l'AFP est là et raconte.

Le procès des jeunes gens arrêtés au quartier latin

PARIS, 5 mai 1968 (AFP) - Le tribunal a siégé durant plus de quatre heures pour rendre ce jugement.

Deux des sept prévenus ne sont pas étudiants, Daniel Legros, pâtisser de son état, 28 ans, et Marc Lemaire, aide-chimiste, 18 ans.

Le premier ignorait visiblement tout de la manifestation mais il portait un couteau à cran d'arrêt quand il fut interpellé dans une rafle Boulevard Saint-Germain.

"Je m'en servais à la cantine, où il n'y a pas de couteau", explique-t-il timidement. "Je l’avais acheté parce que je le trouvais joli".

Marc Lemaire, lui, reconnaît avoir crié "A bas la répression" et il admet avoir lancé du plâtre mouillé sur le service d'ordre. Cependant il nie avoir blessé au tibia le gardien de la paix Jean Rouxel qui l'en accuse formellement.

Bernard Malabre, étudiant en architecture dont le cas sera disjoint, portait lui aussi un couteau mais de table, à bout rond. "Je passais des examens très longs de 8 heures jusque dans l'après-midi", a-t-il déclaré "et je l'avais apporté pour me préparer des sandwiches".

En tout état de cause, Bernard Malbre qui sera jugé plus tard, aura perdu un an puisque, étant détenu, il n'a pas pu se présenter à une épreuve samedi matin.

Aucun des prévenus ne reconnaît l'accusation la plus grave, c'est-à-dire le jet de pierres et de pavés sur les gendarmes et les gardiens de la paix comme ces derniers l'affirment à la barre.

Tous proclament de surcroît qu'ils se sont trouvés sur les lieux de la manifestation sans l'avoir prévu et au hasard de leurs déplacements.

L'accusation avait fait citer M. Roger Grosperrin, sous-directeur à la préfecture de police, responsable du service d'ordre lors de la manifestation du 3 mai.

A une question de Maître Henri Leclerc, le haut fonctionnaire déclare: "J'ai été l'objet de réquisition de la part du recteur de l'académie de Paris, M. Jean Roche. Il m'a demandé de faire évacuer la Sorbonne et m'a fait constater les dégâts. Je précise qu'il y a eu 50 à 60 blessés, dont un très grave, parmi les gardiens de la paix.

Me Leclerc: "Pourquoi avez-vous arrêté les dirigeants de l'Unef?"

M. Grosperrin: "Je l'ai fait sur instruction. Je ne peux en dire plus".

Tour à tour, le bâtonnier Jean-Marie Paroutaud, de Limoges, plaidant particulièrement pour Malabre, Me Charles de Guardia, pour Jean Clément, Mes Michel Blum et Henri Leclerc pour les autres prévenus, demandent la relaxe en ce qui concerne ceux pour lesquels il peut y avoir un doute, et des peines de principe pour les délits reconnus.

Me de Guardia fait observer que Jean Clément, qui prépare un diplôme d'études supérieures de lettres, est un garçon dont le comportement ne peut pas donner à penser qu'il est un meneur ou un violent. "En effet, il est président du centre Richelieu, communauté chrétienne des étudiants à la Sorbonne". Et, ajoute M. de Guardia, "s'il n'était pas ici aujourd'hui, il serait à Chartres où il avait organisé un pèlerinage".

Le bâtonnier Paroutaud fait observer à son tour que Bernard Malabre, fils d'un médecin de Limoges, est un garçon épris d'art et de musique, d'une honnêteté et d'un scrupule moral tout à a fait remarquables.

/.../

Me Leclerc insiste sur ce qu'il considère comme des maladresses extrêmement graves, et en premier lieu la décision du recteur de faire appel à la police, "alors que cela est contraire à toutes les traditions séculaires de l'université de Paris". "Certes, ajoute Me Leclerc, Lemaire n'est pas étudiant mais quant à moi je trouve émouvante cette solidarité entre jeunes. Il ne faut pas que demain, on puisse dire quand commencera la manifestation qu'il y encore des gens en prison".

Me Michel Blum, de son côté, souligne: "Dans cette affaire il n'y a pas de meneurs et, en tout cas, ils ne sont pas sur ces bancs. Ceux que vous voyez sont des lampistes, il ne faut pas que ces sept jeunes paient pour les autres. Vous connaissez bien, messieurs, vous qui avaient été étudiants comme nous, le climat des manifestations ou les gardiens de la paix ne peuvent pas toujours garder leur calme. Il y a une excitation réciproque et collective".

Il n'y avait, hormis des parents et nombre de policiers, qu'un public très restreint dans la salle de l'audience. Seuls les touristes, comme chaque dimanche, entraient dans la cour de la sainte Chapelle, ignorant visiblement qu'on rendait la justice ici un jour férié.

AFP

Quand le verdict tombe, six des sept prévenus sont condamnés à des peines allant de quinze jours avec sursis à deux mois ferme de prison - pour Clément et Lemaire notamment -, ainsi qu'à des amendes. En l'absence du policier qui l'incrimine, le cas Malabre est renvoyé au 22 juin.

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