Ben Kilham, l'homme qui comprenait les ours

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Par Catherine TRIOMPHE - Lyme (Etats-Unis) (AFP)
Publié le 19 avril 2018 - 09:28
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Le biologiste Ben Kilham est accueilli par Jake, un ours qu'il a nourri en partie au biberon, le 29 mars 2018 à Lyme, dans le New Hampshire
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© Don EMMERT / AFP
Le biologiste Ben Kilham est accueilli par Jake, un ours qu'il a nourri en partie au biberon, le 29 mars 2018 à Lyme, dans le New Hampshire
© Don EMMERT / AFP

"Stripy" et "Jake", deux oursons qu'il a nourris en partie au biberon, n'hésitent pas à le suivre et à lui sauter dessus, mais une douzaine d'autres refusent de descendre de l'arbre quand il s'approche: Ben Kilham a fait de l'observation des ours noirs l'oeuvre de sa vie, et tiré de ses travaux autant d'enseignements sur les ours que sur les humains.

Dans un enclos de trois hectares proche de sa maison, il accueille des oursons orphelins confiés par le département de la pêche et de la faune du New Hampshire, dans l'Est des Etats-Unis. Leurs mères ont été tuées d'un coup de fusil, renversées par une voiture, ou ont vu leurs tanières détruites par les forestiers. Ben Kilham veille à ce que ces oursons grandissent et grossissent, puis, à 18 mois, les relâche dans la nature.

Tout, dans sa maison aux allures de grange rénovée dans les bois du New Hampshire, respire sa passion, qui a fait de lui une référence internationale sur le comportement des ursidés: photos et peintures d'ours aux murs; trois petits ours en bois qui vous souhaitent "Bienvenue" dans l'entrée...

Outre l'enclos géant, Ben Kilham a également une vaste zone d'observation où il étudie les ours adultes, dont "Squirty", âgée de 22 ans, recueillie en 1996 et qui compte 11 portées à son actif.

Cet homme de 65 ans à la carrure de bûcheron connaît si bien les ours noirs - les plus communs des ours, avec une population nord-américaine qui a fortement remonté ces dernières décennies, pour atteindre environ 750.000 individus - que le gouvernement chinois l'a sollicité pour aider à la réintroduction en Chine du panda géant. Contrairement aux ours noirs, cette espèce est toujours classée "vulnérable", même si elle n'est plus considérée en danger d'extinction. Cette collaboration a inspiré un documentaire baptisé "Pandas", sorti en avril aux Etats-Unis.

- "Pur altruisme"

De ses années d'observation des ours, Ben Kilham a tiré des certitudes. Notamment qu'ils sont aussi proches des hommes que les grands singes, même si "on a beaucoup plus étudié les grands singes car ils étaient génétiquement nos plus proches parents."

Les femelles sont capables, comme les hommes, d'"altruisme réciproque", affirme-t-il, autrement dit d'agir avec un autre animal de manière mutuellement bénéfique.

Squirty l'a prouvé très tôt: Ben Kilham explique avoir constaté que juste après avoir relâché l'oursonne dans la nature, une ourse sauvage sans progéniture propre était prête à le charger pour protéger Squirty. "Elles n'avaient aucune parenté", "c'était du pur altruisme". Vingt ans après, ces femelles et leurs parentes partagent toujours leur nourriture.

Squirty est aussi "souvent plus agressive envers sa propre famille qu'envers cette ourse", comme chez les humains, "souvent plus durs avec les membres de (leur) famille qu'avec des étrangers", dit-il.

Des parallèles auxquels rechignent encore beaucoup de scientifiques, convaincus que l'homme est plus capable que l'animal. Pourtant "il n'y a pas grand chose" que les animaux ne puissent pas faire, langage excepté - et encore: si ce dernier a permis aux hommes d'atteindre leur niveau de développement actuel, Ben Kilham le voit autant comme un facteur de "corruption" des actions et pensées humaines que de progrès.

Alors que les ours agissent sur la base d'"informations réelles", les informations utilisées par les humains sont "perturbées depuis l'apparition des mots. Presque tout ce que nous lisons contient des inexactitudes. Particulièrement aujourd'hui avec internet et les +fake news+" (fausses informations), dit Ben Kilham.

- Revanche d'un dyslexique -

Il se dit fasciné par l'impact du langage sur le comportement humain. Sa propre dyslexie est à l'origine de difficultés scolaires qui l'ont longtemps empêché de poursuivre les études de biologie animale dont il rêvait depuis l'enfance. Il a grandi entouré d'animaux que son père virologue affectionnait: des oiseaux qu'il étudiait en ornithologue amateur, jusqu'au bébé crocodile rapporté d'Ouganda et qui grandit un temps dans la cave familiale.

Après une première carrière d'armurier, Ben Kilham voit son rêve se concrétiser lorsque le département de la pêche et de la faune, informé de son intérêt pour les ours via un ami biologiste, lui confie deux premiers oursons orphelins, mettant ainsi sur les rails le premier centre de réhabilitation pour oursons du New Hampshire.

En un quart de siècle, Ben Kilham a réhabilité 165 oursons et documenté 1.500 interactions entre ours sauvages, décrochant récemment un doctorat en sciences environnementales. Une belle revanche pour cet ancien mauvais élève, formé sur le tas et dont les travaux ont longtemps été méprisés par la communauté scientifique.

- Livres et conférences -

Il avait déjà trouvé un public grâce à des articles dans la revue National Geographic et à son premier livre paru en 2002, "Among the Bears" ("Au milieu des ours"), un succès.

Aujourd'hui reconnu, Kilham poursuit ses observations et enchaîne les conférences, devenues son gagne-pain.

Il prêche aussi le respect des ours, redoutés et chassés aux Etats-Unis: 10 à 15% des 5.000 à 6.000 ours du New Hampshire sont abattus chaque année pendant la saison de chasse, même si ces omnivores, qui peuvent vivre jusqu'à 40 ans, "ne s'intéressent pas du tout aux hommes" et sont sans danger pour eux, dit-il.

Malgré les multiples conseils diffusés, beaucoup de gens laissent traîner de la nourriture ou n'engrillagent pas leur poulailler, attirant ce mammifère qui doit engraisser avant l'hibernation et au début du printemps. Cela crée des interactions homme-animal dont l'ours sort toujours perdant.

"On peut vivre très facilement avec les ours, c'est juste une question d'éducation du public", dit Ben Kilham. "Mais éduquer le public, c'est comme essayer de faire avancer des chats: l'information passe très mal."

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