Centre commercial de Krementchouk, en Ukraine : les faits et la propagande

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Jean Neige, pour FranceSoir
Publié le 05 juillet 2022 - 15:00
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Krementchouk
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UKRAINE EMERGENCY MINISTRY PRESS - STR
"Dans une guerre, tout est souvent propagande. Et l’Occident est partie prenante de cette guerre."
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ANALYSE - Un événement choquant concernant l’Ukraine a une fois de plus fait la une de l’actualité internationale, du moins en Ukraine et en Occident, ce 27 juin. Cette fois-ci, c’est le bombardement en plein jour d’un centre commercial dans le centre de Krementchouk, une ville ukrainienne qui n'est pas sur la ligne de front, qui crée la polémique.

La version ukrainienne : un magasin visé sans raison

Selon le pouvoir et les médias ukrainiens, le centre commercial Amstor, chaine très répandue en Ukraine, a été visé sans raison.

Dans une vidéo vite montée et très partagée (notamment par Oleksyi Goncharenko, un député du parti Solidarité européenne dirigé par l’ancien président ukrainien Petro Poroshenko), on peut lire : « La Russie a attaqué un centre commercial avec des missiles (ndlr : notez le pluriel). Plus de 1 000 civils étaient présents. Pas de danger pour l’armée russe. C’était juste un centre commercial ». On y voit cinq commentaires d’internautes russes qui se réjouissent et, enfin, l’accusation « la Russie est un État terroriste ». Le fond du message est clair : le pouvoir russe aurait visé un centre commercial juste pour le plaisir de tuer des civils ou de semer gratuitement la terreur dans la population.

Ce message s’est répandu comme une trainée de poudre sur les comptes des réseaux sociaux pro-Ukrainiens, sous diverses formes, notamment via des « stories » éphémères sur Instagram, suscitant une vague de haine antirusse, devenue absolue et totale. Tous les Russes sont coupables et doivent mourir, peut-on lire. Par ailleurs, sans que l’on ne sache comment, le nom et les photos des pilotes russes incriminés, déjà qualifiés de criminels de guerre, ont été retrouvés sur Internet.

Le président Volodymyr Zelensky affirme même que le pouvoir russe a sciemment choisi de bombarder le centre commercial et demande l’ouverture d’une commission d’enquête internationale, rapporte BFMTV.

Et dans la presse française :

BFMTV publie un article, résumé d’un talk-show, où l’on fait exclusivement la part belle à la version ukrainienne : « la Russie reprend sa stratégie de la terreur », titre le média. On apprend au passage que le missile incriminé, un X22, aurait un degré de précision de seulement 600 mètres.

Dans le Figaro, Pierre Avril, envoyé spécial du journal, prétend s’être rendu sur place et vante la « transparence » des Ukrainiens. Il affirme que « deux missiles avaient bien détruit lundi un centre commercial, et non un dépôt d’armes comme le prétend la Russie ». Au moins, là, on mentionne en partie la version russe, ce que BFMTV n’a pas jugé utile de faire. Mais c’est pour mieux dénigrer le « mensonge russe ». Voilà ce qu’il décrit à partir de ce qu’il voit : « Réduite à un amas de poutrelles, à des plaques de tôle et des fils qui pendent en grappes, la carcasse grotesque de l’immense centre commercial de Krementchouk s’étale dans le halo aveuglant des projecteurs. » Décrit-il le site du premier impact ou du second ? On verra que cela a son importance.

Quant à la réaction officielle du président Macron, ce dernier a tweeté un message en russe, dans lequel il dénonce sa colère face à tant de méchanceté et invite le peuple russe à regarder la vérité en face. Qui conseille le président ? Qui l’informe et comment ? Croit-il vraiment que les Russes vont préférer sa version des événements à celle que vont leur présenter leurs propres autorités ?

La version russe

Selon les Russes, l’objectif de ces frappes était l’usine située juste au nord du centre commercial, une usine fabriquant des véhicules, appelée Kredmash, Kremenchutsʹkyy Zavod Shlyakhovykh Mashyn (nom complet en ukrainien).  L’observateur averti notera qu’aucune des sources citées plus haut ne mentionne l’existence même de l’usine. Cette usine servait, toujours selon eux, de centre de stockage pour des armes et des munitions fournies par l’Occident.

Avaient-ils des informations fiables à ce sujet ? Qui peut savoir ? Révéler leurs sources reviendrait à potentiellement mettre en danger ces mêmes sources. Il est en tout cas possible d’identifier une voie ferrée menant à l’intérieur de l’usine, un moyen qui serait bien pratique pour y acheminer des charges lourdes comme des véhicules ou des armes, les armements lourds transitant souvent par train. La ville se situe aussi sur la rive gauche du Dniepr, obstacle géographique important à passer pour livrer des armes sur le front de l’Est. On n’est pas très loin de Kharkiv. De toute façon, la question est essentiellement éludée par la presse occidentale.

Pierre Avril déforme les propos russes pour laisser croire que ce serait le centre commercial lui-même qui était soupçonné de stocker des armes. Un centre commercial abritant des armes, cela parait difficile à croire. Cependant, une grosse usine automobile, ce serait plus crédible. Si des armes étaient entreposées sur place, cela donnerait aux Russes une raison valable d’avoir procédé à un bombardement, en vertu du droit de la guerre. Les Occidentaux devraient alors admettre une part de responsabilité dans cet événement, car ce sont leurs armes qui auraient été ciblées, armement que les Ukrainiens auraient choisi de stocker en pleine ville.

Les Russes assurent aussi que le centre commercial a été une victime collatérale du bombardement de l’usine, touchée, selon eux, par ricochet par des explosions de munitions dans l’usine touchée par les frappes. Ils prétendent par ailleurs que le centre commercial était fermé.

Analyse des faits

Grâce aux diverses vidéos publiées sur les réseaux sociaux, aussi bien par Zelensky lui-même que par des internautes pro-russes, il est possible d’avoir une vision presque exhaustive de ce qui s’est passé.  En préambule de cette analyse, un premier constat : la presse mainstream ne présente pas une version équilibrée et objective. En effet, dans une guerre, tout est souvent propagande. Et l’Occident est partie prenante de cette guerre.

Ainsi, on peut affirmer qu’il y a bien eu deux explosions distinctes, et, sur la base des images, on peut voir que la première explosion a eu lieu plus au sud, tout près du centre commercial, voire sur son angle nord-est, et la deuxième plus au nord, moins de 500 mètres plus loin.

Voici une carte de l’usine qui montre en jaune la zone des deux impacts.