"Les Misérables" : un regard de l'intérieur sur les banlieues (vidéo)

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 19 novembre 2019 - 16:57
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Les Misérables Film
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©Le Pacte
Les trois flics de la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil (de gauche à droite: Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga) sont confrontés quotidiennement aux tensions et à la violence de la cité.
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CRITIQUE – Lors de l'interpellation d'un jeune d'une cité de Montfermeil, trois policiers commettent une bavure filmée par un drone: c'est le scénario du film "Les Misérables", regard sur les banlieues et premier long-métrage du réalisateur Ladj Ly, qui sort ce mercredi.

SORTIE CINÉ – Le film a reçu le Prix du Jury du dernier Festival de Cannes et représentera la France aux prochains Oscars: Les Misérables, qui sort sur les écrans ce mercredi 20 novembre, est un regard de l'intérieur sur les banlieues, filmé entre réalisme et fiction par un réalisateur qui y vit et les connaît bien, Ladj Ly.

L'histoire se déroule sur une journée, en plein été, peu après la victoire des footballeurs français en finale de la Coupe du monde célébrée sur les Champs-Elysées par les jeunes de Paris et des banlieues. Stéphane (Damien Bonnard), tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, en Seine Saint-Denis, à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Paris. Il fait connaissance avec ses deux nouveaux coéquipiers, Chris (Alexis Manenti) et Gwada (Djebril Didier Zonga) qui, à bord de leur voiture de patrouille banalisée, lui font une visite guidée de la ville.

Religieux prêcheurs, fichés S, clandestins, trafiquants, petits voyous, gamins turbulents, délinquants en tous genres, petits commerçants, vendeurs sur le marché, "grands frères" chargés de faire le lien entre la mairie et la population: les deux flics expérimentés connaissent bien ceux qu'ils appellent leurs "clients", et ont même tissé une complicité avec beaucoup d'entre eux. 

Quand un groupe de gitans, de passage avec leur cirque, viennent se plaindre qu'un gamin noir de la cité leur a volé un lionceau, la tension monte soudain. Les trois policiers, après une rapide enquête, retrouvent le voleur. Mais ils sont pris à partie par un groupe d'adolescents au moment de l'arrêter et l'interpellation tourne mal. Et la bavure, qu'ils voudraient étouffer, est filmée par le drone d'un des gamins de la cité…

C'est le premier long-métrage de Ladl Ly, 39 ans, qui depuis une quinzaine d'années filme régulièrement la banlieue où il habite et a réalisé des courts-métrages et des documentaires, notamment 365 jours à Clichy-Montfermeil, sur les émeutes de 2005. L'histoire qu'il raconte est inspirée d'une bavure policière (un jeune du quartier menotté et frappé par deux policiers) qu'il a filmée en 2008, avant d'en faire un court-métrage en 2017 puis ce premier long-métrage. 

"Dans ce film, je raconte un peu ma vie, mes expériences, celles de mes proches... Tout ce qui est dedans est basé sur des choses vécues: la liesse de la Coupe du monde évidemment, l’arrivée du nouveau flic dans le quartier, l’histoire du drone. (…) L’histoire du vol du lionceau déclenchant la colère des gitans propriétaires du cirque est également vécue...", dit-il. "J’habite toujours ces quartiers, ils sont ma vie et j’aime y tourner. C’est mon plateau de tournage!"

Ce n'est certes pas le premier film sur les banlieues. Le film fait penser bien sûr à La Haine de Mathieu Kassovitz, qui obtint le Prix de la mise en scène à Cannes en 1995, ou à Dheepan, de Jacques Audiard, Palme d'or en 2015. Dans un genre plus optimiste et sur le ton de la comédie, les récents Mauvaises herbes, de l'humoriste Kheiron, ou Jusqu'ici tout va bien, du réalisateur franco-algérien Mohamed Hamidi, ont également parlé de la vie quotidienne de l'autre côté du périphérique.

Lire les critiques:

> Dheepan: la Palme d'or, d'amour et de violence de Jacques Audiard

> Jusqu'ici tout va bien: Gilles Lellouche s'installe à La Courneuve

> Mauvaises herbes: Catherine Deneuve et Kheiron aident les jeunes en difficulté

Ici Les Misérables est un mélange de fiction et de réalité, avec parfois des dialogues pleins d'humour et, dans la seconde moitié, un suspense dans le scénario et un final très musclé. Le récit est raconté du côté des trois policiers de la BAC, que le réalisateur réussit à rendre sympathiques (ou presque: Chris, le beauf frimeur et beau parleur, ne retient pas ses réflexions racistes, ses petits abus de pouvoir et ses manières de cow-boy). Des trois, au milieu de nombreux seconds rôles très crédibles, le rôle le plus fort revient à Damien Bonnard, au nom encore peu connu du grand public mais qu'on a vu ces derniers temps à son avantage dans plusieurs films d'auteur (Rester vertical, C'est qui cette fille, En liberté!) et dans un petit rôle dans J'accuse de Roman Polanski. 

Lire les critiques:

> Rester vertical: loup y es-tu?

> C'est qui cette fille: une Américaine à Paris

> En liberté!: l'hilarant thriller sentimental de Pierre Salvadori

En construisant son histoire, Ladj Ly a pris soin d'éviter certains clichés liés aux banlieues (rap, drogue, armes, prostitution) et a surtout voulu éviter le manichéisme qui menace ce genre de films: gentils jeunes (noirs ou beurs, la plupart du temps) contre méchants flics (blancs, souvent). "La réalité est toujours complexe. Il y a des bons et des méchants des deux côtés...", affirme-t-il. "J’essaie de filmer chaque personnage sans porter de jugement. (…) Les flics aussi sont en mode survie, eux aussi vivent la misère. Les Misérables n’est ni «pro-caillera» ni «pro-keuf», j’ai essayé d’être le plus juste possible". De fait, même si à la fin le gamin victime de la bavure prend des allures d'icône mystique et de statue du Commandeur, le film montre que les policiers, dans la cité, sont loin d'être les seuls qui abusent de leur autorité, de leur influence ou de leur pouvoir de manipulation.

Le titre Les Misérables est une référence au roman de Victor Hugo, qui séjourna quelques jours à Montfermeil en 1845 et y a situé la rencontre entre Jean Valjean et Cosette. Le film, en guise de message final, se termine par une citation du roman: "Mes amis, retenez ceci, il n'y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n'y a que de mauvais cultivateurs". Une citation déjà mise en exergue par Kheiron dans son film Mauvaises herbes et en passe de devenir le nouveau mantra de la vision politiquement correcte des banlieues, chacun mettant ce qu'il veut dans la case "cultivateurs" (État, pouvoirs publics, classe politique, société, école, police, médias, réseaux sociaux, famille, etc.).

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