"Sieranevada" : salades familiales roumaines (VIDEO)

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 02 août 2016 - 03:03
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Film Sieranevada
Crédits
©Wild Bunch Distribution
Lary (Mimi Branescu) et sa femme Laura (Catalina Moga) se disputent, encore et encore.
©Wild Bunch Distribution
En compétition au dernier Festival de Cannes, le film "Sieranevada", du réalisateur roumain Cristi Puiu, sort ce mercredi dans les salles. Un très long huis clos où les membres d'une famille parlent, de disputent, se réconcilient.

La famille, lieu idéal de liberté d'expression -et donc de disputes? Il n'y avait peut-être pas besoin de près de 3 heures pour en faire la démonstration dans Sieranevada, le film, très bavard, du réalisateur roumain Cristi Puiu, qui sort ce mercredi 3 dans les salles après avoir été présenté en compétition au dernier Festival de Cannes.

Tout commence par une première séquence quasi-statique, interminable, et le ton du film est donné: ce n'est pas Jason Bourne. Lary, 40 ans, médecin à Bucarest, vient chercher sa femme en voiture. On est un samedi, le couple doit se rendre dans la famille de Lary pour commémorer la mort de son père, 40 jours plus tôt, comme le veut la tradition.

Cela se poursuit par une dispute, interminable, entre les deux époux dans la voiture pour des questions futiles -la couleur de la robe de Blanche-Neige de leur fillette pour la fête de l'école-, une scène aux limites de la misogynie et du plaidoyer pour le célibat.

Une fois arrivé dans l'appartement du défunt, le couple va discuter avec les différents membres de la famille, en préparant le repas dans l'attente, interminable, de la venue d'un pope orthodoxe prévu pour la bénédiction. Celui-ci se fait attendre, et chacun parle avec chacun.

Le communisme, la religion, le terrorisme, les théories du complot sur Internet, l'argent, la famille, le couple: on parle, on se dispute, on passe d'une pièce à l'autre, on ouvre et on ferme des portes, on parle, on se dispute. Lary est amené à reconsidérer, face aux frères et sœurs et cousins et oncles et neveux et voisins, sa place dans la famille, son passé, ses idées.

Le pope arrive enfin, après une longue attente. Mais le film est loin d'être fini -même s'il ne s'y passe toujours rien d'autre que des paroles, paroles, paroles…

En 2h53, ce Sieranevada est tellement bavard qu'en le voyant en version originale, on pourrait presque commencer à apprendre le roumain. Ces portes qui s'ouvrent et se ferment, ces personnages qui passent d'une pièce à l'autre, ces discussions interminables et ces querelles familiales dans un huis clos sombre et étouffant sont une épreuve pour le spectateur.

Tout n'est cependant pas négatif dans ce film fleuve. Il y a une question essentielle qui est posée par un des convives du repas: "Et c'est quoi, la différence entre le bortsch et la chorba?". Il y a une étonnante scène de bagarre et d'insultes avec des voisins, pour une place de parking. Il y a une dernière scène, réjouissante, où tout le monde rigole enfin.

Il y a, surtout, tout au long de cette logorrhée, une formidable direction d'acteurs qui fait que ce film en forme de pièce de théâtre, interminable, est impeccablement joué. C'est la grande réussite du réalisateur, Cristi Puiu, dont c'est le quatrième long métrage et qui s'était fait connaître en France par son précédent film La mort de Dante Lazarescu en 2005.

Reste l'énigme du titre, Sieranevada. Le réalisateur roumain en a donné l'explication à Cannes dans le dossier de presse de son film: "C’est venu d’une réflexion: +pourquoi, selon les nationalités, change-t-on les titres du film?+ Ça m’énerve tellement. Au départ je me suis même dit: +je vais faire moi-même les titres pour chaque langue+. Et puis j’ai tranché pour un titre qui ne peut pas être changé. Ce qui est intéressant dans Sieranevada, c’est de voir que le nom habituellement est séparé: Sierra Nevada. Mais en roumain normalement, c’est en un mot, comme quand on le prononce. J’ai altéré le titre en y mettant un seul r, pour qu’on me dise: +mais ça ne s’écrit pas comme ça+. Alors comment ça s’écrit? Et en japonais? Et en géorgien? C’est complètement idiot, cela me fait penser à cette expression: +le diable est un comptable+".

Suite et fin de l'explication, qui vaut ce qu'elle vaut -quel farceur, ce Cristi Puiu: "Le fait que le diable soit un comptable, que des gens comptabilisent et viennent me dire sur le tournage: +cela ne s’écrit pas comme ça+, ça m’a plu. Mais la vérité, au fond, c’est que: on s’en fout! Mais notre cerveau a un tel besoin de sens qu’il va construire du sens là où il n’y en a pas, où il n’y a rien. En réalité n’importe quel titre peut convenir, mais ça on ne peut pas le dire, donc il faut livrer un titre et c’est celui-là! C’est une question personnelle, c’est un titre qui est apparu dans ma tête. Comment il est apparu? Ça, c’est mystérieux, et beaucoup de choses sont mystérieuses".

(Voir ci-dessous la bande-annonce du film):

 

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