"Silence" : le film qui évoque le destin des chrétiens du Japon au XVIe siècle (VIDEO)

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La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 22 décembre 2016 - 11:54
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Une croix chrétienne en pendentif.
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©Menahem Kahana/AFP
Les Japonais chrétiens ont été évangélisés au XVIe siècle.
©Menahem Kahana/AFP
Le film "Silence" de Martin Scorcese qui sort le 23 décembre aux Etats-Unis va revenir sur le destin de ces chrétiens japonais évangélisés au XVIe siècle. Ils essaient toujours en 2016 de faire perdurer leurs traditions et leur culture.

"Santa Maria", "Spirito Santo", "San Pedro": sur une petite île japonaise au climat subtropical, des pêcheurs et agriculteurs semblables à des moines dans leurs sobres kimonos et sandales chantent a cappella des paroles venues de la nuit des temps et de l'autre bout du monde.

Leurs rapides signes de croix sur le front et la poitrine, leurs prières en japonais mêlé de latin et de portugais, portent le souvenir durement gardé de leurs ancêtres convertis au XVIe siècle par le jésuite François-Xavier suivi d'autres missionnaires européens, puis persécutés et entrés en clandestinité.

Le terrible passé de ces "chrétiens cachés", ou "kakure kirishitan", est porté à l'écran par le célèbre cinéaste américain Martin Scorsese, dont le film doit sortir le 23 décembre aux Etats-Unis.

"Si le film raconte bien l'histoire de mes ancêtres, alors je le regarderai volontiers", lance Masatsugu Tanimoto, après avoir avec ses camarades récité et chanté une trentaine d'"orasho", déformation japonaise du latin "oratio", qui signifie prière.

En priant aussi, il pense aux anciens. "Dans les orasho que vous venez d'entendre, nous disons +Maria+ à plusieurs reprises mais ce n'est pas elle que nous prions. Nous ne nous référons pas à un Dieu spécifique mais à nos ancêtres", affirme ce cultivateur de riz de 60 ans, qui pratique tout autant le bouddhisme et le shinto et ne fréquente aucune des multiples églises qui parsèment à présent la région de Nagasaki.

C'est un culte aux allures métissées qui s'est forgé au fil du temps sur l'archipel de Kyushu, à mille kilomètres au sud-ouest de Tokyo.

Par camouflage ou parce qu'ils l'adaptaient à leur environnement, ces fidèles, privés de prêtres ou de bibles après la fermeture du pays au XVIIe siècle, ont créé leurs propres rites autour de chefs de communautés dits "oyaji".

"Esseulés, ils n'ont pas eu d'autre choix que de reproduire le culte le plus fidèlement possible" mais, sur certains aspects, "leur culture a repris le dessus", explique l'ethnologue Shigeo Nakazono.

Sur l'île d'Ikitsuki, dans la maison du pêcheur Masaichi Kawasaki, 66 ans, quatre autels occupent tout un mur de la salle de séjour au sol de tatamis: deux bouddhiques, dont l'un consacré aux ancêtres, comme dans bien des foyers nippons; un shinto; et sur le quatrième, deux images d'une femme en kimono aux longs cheveux noirs portant un enfant, Maria-Kannon -la Vierge sous la forme de Kannon, représentation bouddhique de la compassion. Et des flacons, des pommes, des fleurs, un melon, une croix, des bougies.

L'homme taciturne, aux traits noblement marqués par la vie, montre de petites croix de papier: les aïeux en glissaient dit-on discrètement dans les oreilles de leurs morts.

"C'est tout naturellement que j'ai appris la pratique de cette croyance car ça faisait partie de mon quotidien quand j'étais enfant, un peu comme on assimile une habitude de la vie courante", explique M. Kawasaki.

Il est de ceux qui continuent à refuser de rejoindre l'Eglise et observent leurs rites dans l'intimité, contrairement à une partie des chrétiens clandestins qui s'est convertie au catholicisme au retour des prêtres, au milieu du XIXe siècle.

A présent toutefois, les jeunes se désintéressent de cette croyance et les kakure kirishitan ne sont plus que quelques centaines, selon les estimations qui ont cours sur ce sujet.

"C'est vraiment triste (...) Sans transmission, c'est fini", dit les larmes aux yeux Yoshitaka Oishi, 64 ans, menuisier.

"Je pense que l'Eglise catholique devrait leur dire qu'elle est consciente de la situation, qu'il faut au moins garder le souvenir, enregistrer le maximum pour l'Histoire car une chose unique au monde s'est passée ici au Japon", estime le père Renzo de Luca, directeur du musée des 26 Martyrs à Nagasaki.

Une histoire que le film de Scorsese, Silence, va faire connaître au monde. Le réalisateur s'est inspiré du roman éponyme de l'écrivain catholique japonais Shusaku Endo (1966), qui décrit le déchirement de missionnaires jésuites portugais du XVIIe siècle, pris de doute dans leur foi devant le "silence de Dieu" face au martyre infligé aux convertis japonais par les Shoguns, gouverneurs militaires, qui sentaient leur pouvoir menacé.

A Sotome, lieu dont s'est imprégné Endo, les marbres d'un petit cimetière forestier portent quelques prénoms chrétiens en syllabaire katakana: Isaberi, Maria, Doméigosu... Dans la forêt, on trouve une immense pierre plate sous laquelle les chrétiens chuchotaient les orasho, ou encore un sanctuaire shinto en souvenir d'un prêtre nourri en secret par les villageois.

Du haut d'une falaise, au soleil couchant sur la beauté sauvage des criques parsemées d'îles qui ont abrité la passion de ces hommes, un passage du roman d'Endo revient à l'esprit: "Derrière le silence oppressant de la mer, le silence de Dieu".

(Voir ci-dessous la bande annonce du film "Silence" de Martin Scorcese)

 

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