"Camps d'étrangers" : Gregory Tuban revient sur l'enfermement des républicains espagnols en France

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Sylvain Boulouque, édité par Maxime Macé
Publié le 03 avril 2019 - 17:06
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Le livre "Camps d'étrangers".
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©Capture d'écran Twitter/@eventyr_a
L'historien Grégory Tuban revient sur l'enfermement des réfugiés espagnols dans son ouvrage "Camps d'étrangers".
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Spécialiste de la Retirada, l'exil des républicains espagnols en 1939, Grégory Tuban a publié récemment Camps d’étrangers. Le contrôle des réfugiés venus d’Espagne (1939-1944) (Ed. Nouveau Monde). L'historien et enseignant Sylvain Boulouque revient pour France-Soir sur cet ouvrage essentiel pour la compréhension de la politique "concentrationnaire" de la France avant le second conflit mondial. 

Dans son magnifique récit, la Lie de la terre, le journaliste et écrivain Arthur Koestler décrivait les conditions de vie et l’internement des exilés des Espagnols et des autres parias de l’Europe brunie dans l’avant Seconde Guerre mondiale. Ces hommes ont été contraints d’abord par les autorités de la République puis celles du régime de Vichy de survivre dans des camps. Depuis la parution de ce livre, les témoignages, comme ceux de Gustav Regler, Lion Feuchtwanger, et les études historiques, comme celles d'Anne Grynberg, Denis Peschanski ou Geneviève Dreyfus-Armand, se sont multipliés, permettant une meilleure compréhension de cette histoire.

Sur ce sujet, l'historien Grégory Tuban a publié récemment Camps d’étrangers. Le contrôle des réfugiés venus d’Espagne (1939-1944) (Ed. Nouveau Monde). Il est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages remarqués sur les camps qu’il prolonge dans cet ouvrage, né de la consultation de nouvelles archives et d’un questionnement original. Il montre les étapes de l’internement, le processus de mise à l’écart et traite indirectement des conditions de vie dans les camps.

Lire aussi - La Retirada, l'exil français des républicains espagnols

L’auteur souligne à juste titre la difficulté de qualifier ces camps entre "concentration" et "internement". Pour éviter tout usage polémique, il reprend l’usage administratif utilisé. Entre 1938 et 1940 près de 500.000 Espagnols franchissent les Pyrénées après la Retirada et la défaite de la République. Les Basques sont les premiers à passer la frontière suivis peu après par les hommes des Brigades internationales, obligés de quitter l’Espagne après le retrait des ces unités. Enfin de nombreux républicains espagnols prennent la route de l'exil après la chute de la Catalogne.  

Les images de ces enfants, de ces femmes et de ces combattants estropiés marquent encore. La légende veut qu’ils n’aient emporté sur eux qu’une poignée de terre arrachée à leur Espagne. Les combattants sont désarmés. Ils sont tous internés. Au 30 juin1939, le préfet des Pyrénées-Orientales évoque 480.000 réfugiés au total alors que le ministre de l’Intérieur parle à l’Assemblée nationale de 450.000 personnes.

L’auteur a retrouvé un autre rapport de ce préfet dénombrant un peu plus de 200.000 personnes rien que dans les camps des Pyrénées-Orientales. Ces réfugiés inquiètent la République pour deux raisons: la question matérielle de la gestion du flux et l’appartenance politique des réfugiés, nombre d’entre eux étaient membres de la XXVIe division de l’armée de la République, l’ancienne milice anarchiste dite colonne Durruti.

De cette inquiétude, devenue obsession, nait un contrôle renforcé. Les réfugiés sont tous identifiés et les autorités tentent de croiser les fiches avec celles des militants anarchistes espagnols déjà en leur possession, comme celles des anciens du groupe anarchiste Nosotros (affilié à la Confédération nationale du travail), dont les responsables avaient milité en France. Il s’agit donc pour les autorités françaises de surveiller et de contrôler. La quasi-totalité des Républicains espagnols a été placée sous l’autorité de l’armée.

Selon l’auteur, le contrôle et l’internement correspondent à une crainte du péril rouge, d’autant plus vive que les réfugiés poursuivent leur activité politique dans le camp. La police effectue son travail de fichage et d’analyse des militants politiques. Grégory Tuban livre à cet égard un nombre d’information important sur les internés qui donne envie d’en savoir plus sur ces réfugiés. Les rapports font état de près de 70.000 fiches même si le croissement avec les listes des réfugiés semble un exercice difficile. Se plaçant dans les pas de Michel Foucault, il étudie les mécanismes de surveillance qui amènent à la punition, certains camps comme celui de Collioure étant plus dur que d’autres. Ces réfugiés au bout de quelques mois choisirent pour une part de rentrer en Espagne, les autres y furent contraints. Seuls restent en France ceux qui risquaient la mort de l'autre côté des Pyrénées. Les camps se remplissent à nouveau en novembre 1939, ce ne sont plus les Espagnols qui viennent les peupler mais les parias de l’Europe entière: Allemands, Italiens et Juifs du Yiddishland (un vaste espace dans lequel s’insèrent les communautés juives d'Europe centrale et orientale) sont à leur tour internés. Certains sont livrés par les autorités de Vichy aux Allemands amis beaucoup réussissent à s’échapper. Ces individus ont formé des groupes importants dans la Résistance, des maquis espagnols aux combattants des Francs-tireurs et partisans - Mains d'œuvre étrangers, la résistance armée du Parti communiste.

Sur cet ouvrage important, laissons les derniers mots à l'écrivain Arthur Koestler, qui a couvert comme reporter la guerre d'Espagne, lorsqu’il a vu enterrer ses compagnons d'infortune, morts de froid, avec l’épitaphe suivante: "Los fascistas voulaient te brûler vif, mais les Français t’ont fait mourir de froid en paix. Pues viva la democracia".  Et l’auteur du Zéro et l’Infini d’ajouter: "Peut être le historiens futurs déterreront-ils leur histoire (…) peut-être changeront-ils l’étiquette qu’on leur  a collée et les appelleront-ils ce qu’ils furent réellement: «le sel de la terre»".

Voir:

La "retirada": il y a 80 ans, l'exode "particulier" du peintre Jorda

En Espagne, bras de fer autour de la tombe de Franco

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