Avril 1960, l'enlèvement du fils Peugeot

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 17 avril 2015 - 19:07
Mis à jour le 13 février 2018 - 21:34
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La Une du 15 avril 1960 (datée 16 avril).
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C'est en plein succès des automobiles Peugeot, au début des années 60, que l'entreprise familiale est la victime d'un faits divers inédit en France: Eric Peugeot, quatre ans, petit-fils du président de la firme automobile, est enlevé par deux hommes qui réclament une rançon. L'enfant sera libéré deux jours plus tard, et ses ravisseurs arrêtés après 11 mois d'enquête.

En avril 1960, la France a connu sa première affaire d'enlèvement d'enfant contre rançon. Les ravisseurs avaient choisi comme cible une des familles les plus riches du pays: la famille Peugeot.

Le mardi 12 avril 1960, en fin d'après-midi, le grand patron du groupe automobile, Jean-Pierre Peugeot, se rend au golf de Saint-Cloud avec ses deux petits-fils, Jean-Philippe, sept ans, et Eric, quatre ans. Tous deux jouent dans un jardin d'enfants, surveillés par leur nurse.

Mais, après un moment d'inattention de celle-ci, on s'aperçoit qu'Eric a disparu. A côté du toboggan où il jouait, on retrouve une lettre à l'adresse de son père, Roland Peugeot, réclamant 50 millions de francs pour la libération de l'enfant.

Aussitôt Roland Peugeot alerte la police, mais celle-ci accepte de le laisser négocier seul avec les ravisseurs. La pression est sur la famille mais aussi sur la police, pas habituée à ce genre de crime inédit en France et désireuse de ne pas mettre en danger la vie de l'enfant, de surcroît membre d'une dynastie familiale importante de l'industrie française.

Le soir même, à la télévision, Roland Peugeot s'adresse directement aux ravisseurs: "C'est un père à qui l’on vient de prendre son enfant qui s'adresse à vous. Tous ceux qui ont des enfants et qui les aiment me comprendront, j'en suis sûr. Mon seul souci est de le retrouver sain et sauf le plus tôt possible. Je n'ai pas déposé de plainte. Je prends l'engagement formel de demander que le ravisseur ne soit pas poursuivi".

L'industriel réunit la rançon et, deux jours plus tard, après un nouveau message des ravisseurs, la leur remet en billets usagers dans une galerie marchande de Paris, le passage Doisy, non loin de la place des Ternes.

Quelques heures plus tard, l'enfant est retrouvé devant une brasserie du 16e arrondissement, à 1h du matin. L'angoisse des parents, Roland et Colette Peugeot, prend fin.

«La police sur la piste des ravisseurs d’Eric», titre sur toute la largeur de sa Une France-Soir, dans son édition du vendredi soir 15 avril (datée samedi 16). Au-dessus du titre, le surtitre: "L’enfant rendu sain et sauf dans la nuit".

L'affaire a tenu en haleine l'opinion publique pendant 48 heures. France-Soir publie en première page une grande photo des parents et enfants Peugeot, avec cette légende: "De nouveau réunie, la famille Peugeot était souriante, cet après-midi, devant l’objectif. De gauche à droite: Jean-Philippe, M. Roland Peugeot et Eric dans les bras de sa mère".

Dans un encadré, le quotidien précise que "le père avait payé la rançon en secret", et le cite: "+J’ai agi seul, sans l’aide de la police. Je tiens à le répéter+, a déclaré M. Roland Peugeot aux journalistes à 13h15".

L'enfant a également témoigné devant les journalistes:«"Eric raconte: +Je ne connaissais pas les 2 hommes qui m’ont transporté dans une 403. Ils ne m’ont pas emmené loin. C’était dans le quartier, au rez-de-chaussée. Il y avait la télévision+".

Au lendemain de la libération de l'enfant, on ignore encore que l'enquête sera longue. France-Soir fait état simplement de "premiers indices: un sac de bonbons, un paquet de journaux lancés d’une voiture trouvés sur la route de St-Cloud; mardi matin –jour de l’enlèvement– une 403 noire volée à un habitant de Puteaux a été retrouvée abandonnée à 200 mètres de l’entrée du golf".

Les ravisseurs avaient enlevé le petit Eric à bord d'une Peugeot-403 noire et l'ont  séquestré dans un pavillon de Grisy-les-Plâtres, un village du Val d'Oise. L'enfant a été bien traité, a mangé de la viande et du chocolat, a joué aux cartes avec les ravisseurs et a regardé la télévision.

Après le dénouement heureux du rapt, l'enquête piétinera, provoquant notamment la colère de Jean-Pierre Peugeot et un changement du commissaire chargé du dossier. Il faudra onze mois pour que les preneurs d'otage, Pierre-Marie Larcher et Robert Rolland, deux petits truands, soient arrêtés en mars 1961 dans une station de sport d'hiver et à Bourg-en-Bresse.

C'est notamment grâce à l'aide d'Interpol que les deux hommes seront retrouvés, car ils menaient grande vie avec l'argent de la rançon, flambant dans les boîtes de nuit, les casinos et les stations de ski, au volant de voitures de luxe et accompagnés de jolies filles dans les restaurants, les bars et les palaces.

L'un des deux malfrats, Larcher, avouera aux enquêteurs avoir eu l'idée de l'enlèvement de l'enfant en lisant un roman policier de la Série Noire de Gallimard, Rapt, de l'écrivain américain Lionel White, qui raconte le kidnapping de l'enfant d'une  riche famille américaine.

A l'issue de leur procès, très médiatisé, devant la cour d'assises de Versailles en octobre 1961, les deux hommes seront condamnés à 20 ans de réclusion criminelle. Ils seront libérés 12 et 14 ans plus tard et se réinséreront dans la société, l'un dans l'enseignement du droit, l'autre dans l'édition.

La famille Peugeot, elle, voudra oublier très vite cette affaire et restera très discrète dans les décennies qui suivront. Eric Peugeot continuera  sur la trace de ses aînés de la famille: après avoir été président des filiales du groupe automobile aux Pays-Bas, en Belgique et au Portugal, il fut notamment nommé à la tête de Theolia, entreprise de production d'électricité à partir d'éoliennes, de 2008 à 2010.

En Une de ce France-Soir du vendredi 15 avril 1960, une manchette en haut de page, à propos d'un autre enfant, passe presque inaperçue: "Naissance à Bruxelles: le fils de Paola (né ce matin à 9h40) est blond et mesure 52cm". Il s'agit de Philippe de Belgique, fils aîné du roi Albert II et de la reine Paola, qui succèdera à son père 53 ans plus tard et deviendra, le 21 juillet 2013, le 7ème roi des Belges.

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