Incendie de Notre-Dame : qui peut être tenu responsable ?

Auteur(s)
Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 21 mai 2019 - 16:56
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Notre-Dame de Paris en flammes, le 15 avril 2019 à Paris
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© ERIC FEFERBERG / AFP/Archives
Plusieurs personnes physiques, morales, privées ou publiques peuvent être tenues responsables de l'incendie de Notre-Dame.
© ERIC FEFERBERG / AFP/Archives

L'enquête pour établir les causes de l'incendie de Notre-Dame de Paris est encore en cours pour déterminer l'éventuel responsable et donc l'obligation de payer les frais de réparation. L'entreprise qui réalisé les travaux, son assureur ou les ouvriers peuvent être concernés, mais aussi l'Etat, analyse pour France-Soir Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon.

La cathédrale Notre Dame de Paris, propriété de l’Etat depuis la loi de séparation des églises et de l’Etat de 1905, appartient au domaine public, et relève donc du droit administratif.

Suite au dramatique incendie de sa charpente, après le temps de l’émotion, se posent des questions juridiques. Qui va payer? Qui est responsable? Car l’Etat n’est pas assuré comme un particulier. Une enquête est toujours en cours pour déterminer les responsabilités.

L’entreprise en charge des travaux peut-elle être tenue pour responsable? Les juridictions administratives appliquent en la matière la théorie de la "garde".

La garde d’un bâtiment suppose une maîtrise concrète et effective de la chose, de sorte que seul son détenteur effectif, qu’il en soit ou non le propriétaire, peut être qualifié de gardien. Cette qualité de gardien peut être difficile à caractériser dans l’hypothèse d’une mise à disposition partielle d’un bâtiment, ce qui est le cas des travaux de la cathédrale de Paris.

Cette recherche du "gardien" d’une église incendiée a été faite dans le passé par un tribunal, à l’occasion de l’incendie de l'église Saint-Martin à Bordeaux. Le feu s’était alors déclaré lors de l’installation de l’échafaudage de réfection du clocher.

L’arrêt rendu le 30 décembre 2011 par la cour administrative d’appel de Bordeaux a recherché l’éventuelle responsabilité sans faute de l’entreprise propriétaire de l’échafaudage en sa qualité de "gardien". La cour d’appel a écarté cette qualité de gardien de l’entreprise car l’entreprise était tenue de remettre les clefs d’accès à son chantier au maître d’ouvrage, tous les soirs, au départ de ses ouvriers.

Voir: Le projet de loi pour la restauration de Notre-Dame adopté par l'Assemblée

La cour a considéré que l'incendie n'avait pas de cause déterminée et relevait "d'un cas fortuit" que "l’entreprise de bâtiment ne pouvait être regardée comme ayant l'entière disposition du bâtiment et ne pouvait, dès lors, être regardée comme responsable, en qualité de gardien de l'ouvrage, des dommages subis par l'église".

L'absence de la qualité de "gardien" n’exclut toutefois pas la possibilité de retenir la responsabilité de l’entreprise, cette fois pour fautes, dans l'exécution de ses obligations contractuelles, si celles-ci peuvent être à l'origine de l'incendie ou de son aggravation. Comme par exemple l’absence de préconisations concernant les risques d'incendie de la toiture et de contrôle de la présence d'extincteur sur le chantier. La démonstration concrète d’une faute entraînerait sa responsabilité.

A défaut des entreprises, si celles-ci sont mises hors de cause, les ouvriers peuvent-ils être seuls responsables?

Leur responsabilité en dehors de celle de l’entreprise nécessiterait qu’ils aient agi hors des fonctions auxquelles ils étaient employés, sans autorisation, et à des fins étrangères à leurs attributions, c’est-à-dire dans un intérêt personnel et non dans l’optique de mener à bien leur mission. Ces trois conditions sont cumulatives: si l’une d’elle n’est pas remplie, alors il n’y a pas abus de fonctions.

Il serait donc très difficile, pour l’entreprise, de prouver un abus de fonctions de ses ouvriers et d’échapper ainsi à l’engagement de sa propre responsabilité.

 Autre difficulté, si une responsabilité professionnelle est reconnue, les entreprises sont assurées, mais risquent de se trouver confrontées au montant maximum d'indemnisation contractuellement prévu qui ne peut couvrir des travaux de reconstruction d'une telle ampleur de plusieurs centaines de millions, voire milliards d’euros.

On le voit l’incendie de Notre Dame est loin d’avoir trouvé son épilogue sur la question de la responsabilité.

"Si tu ne veux pas t’attirer d’ennuis, partage toujours la responsabilité", Paulo Coelho.

Jean-Philippe Morel est avocat à la cour et membre du cabinet Morel avocats.

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