Privatisations : pourquoi vendre les "bijoux de famille" n'est pas la meilleure solution pour le budget

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 21 mars 2018 - 17:17
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Le "errou de Bercy empêche les poursuites pour fraude fiscale sans l'accord du ministère des Finan
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© FRED DUFOUR / AFP/Archives
Vendre des actifs n'est pas forcément la meilleure stratégie pour financer l'innovation.
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L'exécutif semble pris d'un désir conséquent de privatisations (ou au mois d'ouverture de capital) pour financer les initiatives sur l'innovation. Or, cette stratégie visant à liquider des actifs stratégiques n'est pas la meilleure des options pour des montants finalement faibles et dans un contexte de taux d'intérêt bas. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, analyse pour "France-Soir" pourquoi l'option choisie trouvera ses limites.

Le gouvernement Philippe vient d'annoncer la future réalisation d'une vague de privatisations pour un montant total évalué à 10 milliards d'euros. Si nous n'étions pas en période de "disette budgétaire" pour reprendre le terme de plusieurs membres de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, il est probable que cette décision n'aurait pas été prise, sauf à imaginer que la politique voulue par le président Macron est clairement marquée du sceau du libéralisme (au sens idéologique) et que d'autres désengagements de l'Etat auront, par conséquent, lieu lors de la suite du quinquennat.

Au plan lexical, il faut souligner que la précision est requise. On parle de privatisations (ce qui signifie une cession de plus de 50% du capital d'une entité préalablement publique) là où bien souvent, il convient d'évoquer une ouverture du capital ou encore une cession partielle d'actifs financiers.

Concrètement, il semble acquis qu'Aéroports de Paris va être privatisé: dans ADP, l'Etat détient 50,63% du capital. Sur ce premier de la liste, il n'est pas certain qu'il soit fort pertinent de se séparer d'un actif qualifiable de stratégique. ADP c'est l'indépendance des décisions portant sur Roissy et Orly, autrement dit sur les conditions et modalités du trafic aéroportuaire de Paris. Pour ceux qui ne veulent pas entendre cet argument de prudence, il convient de rappeler les déboires de l'aéroport de Toulouse-Blagnac. Qui peut nier les difficultés (le mot est un euphémisme) d'application du pacte d'actionnaires depuis qu'un opérateur chinois détient 49,9% du capital et des droits de vote? Une politique de pression au versement de dividendes immédiats s'est heurtée à des projets d'investissements à moyen et long termes. Tant et si bien que l'Etat a purement et simplement renoncé à la privatisation envisagée. A la satisafaction avérée et discrète du groupe Airbus pour lequel Blagnac est un lieu stratégique.

Voir aussi: Des "privatisations importantes" pour financer des "technologies de rupture", annonce Le Maire

S'agissant de Roissy, qui pourrait oser nier et omettre les efforts déployés par la plateforme aéroportuaire pour accueillir –en adaptant ses installations et une piste– l'A380? Il faut donc être naïf pour citer des exemples étrangers et ne pas comprendre que le groupe ADP est une pépite rentable et une "externalité positive" comme le rapporte le langage de la science économique. Hic et nunc, privatiser c'est s'amputer! ADP n'est pas un empilement d'actifs mais bien plutôt un groupe cohérent de surcroît finement managé par Augustin Beaune de Romanet.

Une deuxième entité est sur le haut de la pile en matière de privatisations: il s'agit de FDJ, l'ancienne Française des Jeux. C'est aussi une pépite qui présente d'excellents résultats et rapporte près de cinq milliards en droits et taxes à l'Etat. Son chiffre d'affaires a progressé de plus de 6% en un an et atteint ainsi plus de 15 milliards d'euros.

Sur ce sujet, à l'instar de la cession totale et progressive des tabacs de l'ancienne SEITA (devenue Altadis avant d'être absorbée par Imperial Tobacco), il ne m'apparait aucun obstacle de principe à ce que l'Etat se désengage des jeux de tirage et de loterie à condition de rester attentif à la puissance effective du régulateur public qu'est, depuis 2008, l'Arjel. Banco donc pour larguer les amarres de FDJ vers d'autres horizons.

Aller plus loin - Privatisation de la Française des Jeux: pourquoi l'Etat veut vendre un organisme qui gagne de l'argent?

S'agissant des autres ouvertures de capital, elles méritent une réflexion plus nuancée voire plus étayée. L'Etat détient 24,10% d'Engie ce qui lui laisse la possibilité de céder un bloc de 20% alors qu'il vient de contribuer au choix feutré et délicat du successeur de Gérard Mestrallet en la personne de Jean-Pierre Clamadieu. Au grand dam recevable de la directrice générale Isabelle Kocher qui aurait pu devenir la seule femme PDG du CAC 40. Si Emmanuel Macron veut poursuivre la culture d'une option libérale, il devra réfléchir à l'opportunité des participations que l'Etat détient au sein d'autres sociétés notamment dans le secteur automobile. Mais Renault est au sein de l'Alliance avec Nissan et Peugeot (où l'Etat détient près de 18%) et est lié par un pacte d'actionnaires avec le partenaire chinois Dongfeng. Thème délicat, par conséquent.

Une autre participation de l'Etat est celle détenue dans Orange: 23% en incluant la part dévolue à BpiFrance. Là encore, un tel montant se justifie-t-il? La question est posée. Une chose est sûre, il faut éviter que ce mouvement d'ouverture du capital ne rejoigne le fiasco de la privatisation des autoroutes décidée par Dominique de Villepin. Erreur incroyable que de tarir la manne des dividendes autoroutiers pour –en plus!– un vil prix loin des estimations du marché. Le rapport parlementaire Pancher et Chanteguet de 2014 (voir ici) a décortiqué avec justesse cette bévue.

Mais au fait, que va-t-il être fait de l'argent des privatisations et assimilées? Bruno Le Maire, toujours soucieux de ses plans com' a déjà annoncé qu'il s'agirait d'abonder de 10 milliards un nouveau Fonds pour l'innovation structurelle. Juridiquement et techniquement, la règle de non-affectation directe des recettes fera que les sommes perçues seront d'abord versées au Budget général de l'Etat avant qu'un support législatif (le future loi PACTE?) n'autorise le gouvernement à installer le nouveau fonds.

En simplifiant, l'Etat va se démunir d'actifs dont certains méritent d'être qualifiés de stratégiques et va vendre une part de ses "bijoux de famille" pour venir épauler le processus d'innovation. Or, à ce stade, si l'on met de côté les postures idéologiques éventuelles, on peut valablement poser une équation: ne faut-il pas mieux profiter "encore un peu" des bas taux d'intérêt (juste inférieurs à 1%) pour lever 10 à 20 milliards dont le rendement prévisionnel devrait être au moins de 4 à 6 % (moyenne des rendements des participations en supports d'innovation)?

Ancien élève de Raymond Barre, je suis évidemment attentif à la dette publique. Je suis toutefois contraint de faire observer à celles et ceux qu'un endettement national additionnel froisse au plus haut point que notre dette va augmenter cette année de près de 70 milliards en lien direct avec les 80 milliards de déficit budgétaire voté en Loi de Finances pour 2018. Les estimations de l'OCDE viennent d'indiquer que l'année 2018 devrait voir se réaliser une croissance supérieure à 2%. En revanche, pour 2019, il est envisagé un score de 1,9%. Les partisans du cycle qui pensaient que nous avions renoué avec un alignement des planètes devraient être plus précautionneux. Le consensus table sur une moyenne de 1,35% de croissance d'ici à 2022 ce qui ne permettra pas au président Macron de tenir son engagement d'un déficit budgétaire éradiqué en année de fin de mandat.

Autrement dit, la baisse de la dette publique ne sera pas un résultat de ce mandat. Dès lors qu'elle risque d'augmenter de plusieurs centaines de milliards sur les quatre ans à venir, j'opte en conscience pour une recommandation intégrant le principe du multiplicateur budgétaire et validant l'hypothèse d'un endettement marginal ponctuel capable de présenter ce que l'on nomme dans le privé un "ROI" autrement dit un "return on investment".

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