Guerre commerciale : quand Trump déroule le tapis rouge à la Chine

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 25 juin 2018 - 16:47
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Les présidents américain Donald Trump et chinois Xi Jinping, le 9 novembre 2017 à Pékin
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© Nicolas ASFOURI / AFP/Archives
La guerre commerciale de Trump pourrait permettre à la Chine d'amorcer un rééquilibrage monétaire.
© Nicolas ASFOURI / AFP/Archives
Donald Trump a déclenché la guerre commerciale contre la Chine (et l'Europe). Mais, surtout concentré sur les élections de novembre, le président américain ne voit pas que son "agression" offre à Pékin un moyen de riposter et d'amorcer le grand rééquilibrage à venir, celui qui consacrera définitivement le yuan au détriment du dollar. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, explique à "France-Soir" les évolutions historiques en cours.

Cette fois, nous y sommes! Le président des États-Unis a décidé de se lancer dans une offensive protectionniste consistant à hausser les tarifs douaniers de différents produits. C'est objectivement son droit tout autant qu'une erreur majeure.

En effet, sous quelques mois, la forte propension à importer de son pays n'aura guère faiblie et il récupérera des bouffées d'inflation sectorielle analysée il y a déjà plus de 30 ans par l'économiste Serge-Christopher Kolm. Autrement dit, les coûts de production américains seront alourdis. A ce propos, il suffit de se rapporter à des déclarations publiques de dirigeants de sociétés de construction qui s'alarment de la hausse de leurs coûts suite à la politique de surtaxation de l'acier canadien qu'ils utilisent massivement et qui ne peut guère être remplacé par les produits nationaux.

Se voulant "fantastiquement visuel" (sic), Donald Trump compte désormais s'en prendre aux automobiles européennes qu'il "voit" en surnombre dans les rues de Manhattan. Il faut probablement apprendre à déchiffrer cette conception de la politique économique où la rétine l'emporte sur la lucidité intellectuelle. L'économie contemporaine est imbriquée et les chaînes de valeur sont internationales. Vouloir sanctionner un pan de l'activité est sinistre car on oublie alors les conséquences en cascade.

Évidemment, à ce train-là, les mesures de rétorsion se sont rapidement fait sentir et il est fondamental de prendre note de l'attitude chinoise qui s'inscrit selon un double registre. D'une part, la Chine a bien entendu répliqué par des sanctions commerciales au demeurant assez mesurées. Mais, d'autre part, elle a surtout activé en mode silencieux une subtile réplique monétaire et financière. Certains économistes ont récemment commis des tribunes, dans différents supports, où ils stigmatisaient la soi-disant inculture économique des Français. Ainsi, ils ont oublié que nos compatriotes savent parfois bien plus de choses qu'il ne ressort d'études d'opinion à la méthodologie contestée par d'éminents universitaires. Concrètement, des millions de Français savent au moins deux choses: les États-Unis sont lourdement endettés et la Chine est leur principal banquier pour parler en termes directs.

Lire aussi: Guerre commerciale: plan américain pour limiter les investissements chinois dans les technologies

Du fait de la réforme fiscale de plus de 1.500 milliards de dollars de Donald Trump, les besoins de refinancement du pays sont vertigineux. Les experts estiment que le chiffre de 960 milliards annuels est franchi. Or, la Chine (Hong Kong inclus) a en portefeuille plus de 1.100 milliards d'obligations et de bons du Trésor émis par les États-Unis mais parallèlement, elle a rappelé, par la voix de son Président Xi Jinping lors du forum de Davos, qu'elle entend internationaliser sa propre monnaie.

L'économiste Jacques Rueff (du rapport Armand-Rueff de 1959) avait évoqué le "déficit sans pleurs" dont bénéficiaient les États-Unis car leur monnaie était celle du monde. Autrement dit, elle avait bien sûr une fonction d'échange mais aussi de thésaurisation, de réserve mondiale. Cette dernière fonction est pour une large part entre les mains de Pékin qui détient, en dollars, 37% de ses réserves de change et qui a commencé, depuis mars 2018, un virage consistant à céder des titres U.S. à hauteur d'environ cinq à six milliards par mois. Quand un créancier massif est vendeur, nul besoin d'être grand clerc pour comprendre que cela va atteindre la valeur de la monnaie et surtout le degré de confiance qu'il lui est reconnu.

Donald Trump est en passe de devenir, à son corps défendant, le meilleur allié de la puissance monétaire chinoise. Avec ses tweets parfois plongés dans un bain d'outrance, il est à côté de la plaque et ne voit pas le rééquilibrage monétaire que les années 2030 ou 2040 consacreront avec, de surcroît, une forte dose d'irréversibilité. Pour nous, Européens, le deal sera clair: l'euro devrait récupérer quelques points dans le décrochage de monnaie d'échange du dollar tandis que l'appréciation du yuan ne nuira guère à la puissance exportatrice de la Chine mais permettra un enrichissement de sa population. A l'instar du cas de figure du Deutsche Mark des années 1970 et 1980.

Une chose est acquise, plus ce président aux yeux rivés sur les élections de mid-term du 4 novembre à venir jouera avec le bâton du protectionnisme, plus la Chine s'abstiendra d'acquérir de la dette américaine et de permettre à la première nation du monde (pour encore quelques décennies) de vivre à crédit dans des limites irréalistes.

Le "déficit sans pleurs" est fini: telle est ma conviction.

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