Épuration en cours dans les zones anciennement contrôlées par les Russes ?

Auteur(s)
Jean Neige, pour FranceSoir
Publié le 07 octobre 2022 - 16:50
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Soldat ukrainien
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Yasuyoshi Chiba/AFP
Soldat ukrainien
Yasuyoshi Chiba/AFP

CHRONIQUE - Depuis que l’Ukraine a repris le contrôle de la quasi-totalité de la région de Kharkov, les plus hautes autorités ont annoncé la couleur. Il n’y aura pas de pitié pour les « collabos », ces pro-Russes qui, pour leur malheur, ont cru que la Russie allait rester. Le président Zelensky a promis « de traquer et d'emprisonner » ceux qui ont travaillé avec l'occupant. Mais, c'est son conseiller, Oleksey Arestovicth, qui a été le plus brutal dans des propos :

« Les collaborateurs, tous ces spécialistes russes en visite, les membres des gouvernements qu’ils nomment, les enseignants, les employées des écoles maternelles, doivent considérer qu’elles ne sont pas des gentilles tantes, ce sont des criminels. Et on ne fera pas de sentiment avec elles. Cela est surtout vrai pour les nôtres (les Ukrainiens). Un traitre est un traitre. La meilleure chose que vous puissiez faire, je veux qu’elles m’entendent, c’est de laisser tomber votre Russie bien-aimée. Parce que, sinon (…) c’est la prison ou la mort. »

Les lois sur la collaboration

Il est par ailleurs connu que, depuis les lois N°2108-IX et 2107-IX, signées le 15 mars, tout acte de « collaboration avec un État agresseur » est passible de 15 ans de prison, voire de la perpétuité.

D’après l’ONG Human Rights Without Frontiers, en date du 13 mai, 5 360 enquêtes pour « trahison » et « collaboration » avaient déjà été ouvertes en Ukraine.

Après les déclarations de la porte-parole du ministère de l’Intérieur le 16 août dernier, il avait été compris, notamment par le journal Kyiv Independant, que le simple fait d’accepter de l’aide humanitaire russe serait assimilé à un acte de collaboration. En fait, la porte-parole se serait mal exprimé. Cela ne serait pas aussi clairement défini. Deux autres textes de loi sont en préparation pour clarifier ce qui sera considéré comme un acte de collaboration. Selon un avocat, « si une personne reçoit de l’aide et commente cela devant une caméra, cela peut être interprété comme une activité informationnelle en coopération avec l’état agresseur (paragraphe 6 de l’article 111-1 du Code pénal de l’Ukraine) ce qui est passible de 10 à 12 ans de prison ». Toute personne interviewée pendant les distributions d’aide humanitaire russe peut donc être condamnée à ces peines.

Cette volonté de punir sévèrement tout acte de publicité aux distributions d’aide humanitaire russe n’a rien d’anodin. Sur « le front de l’information », comme dirait l’ancienne médiatrice des Droits de l’Homme du Parlement ukrainien, l’Ukraine est déjà engagée dans une démarche de diabolisation extrême et systématique de la Russie. Dans cette stratégie de présenter la Russie comme l’Empire du Mal, il n’est pas tolérable de laisser qui que ce soit contribuer à la promotion de la face humaine de l’envahisseur. Rien ne doit contrebalancer l’image exclusivement négative de l’ennemi que l’on veut imposer.

Lire aussi : Retour sur les allégations de crimes de guerre russes en Ukraine: les tombes d’Izyum (6/6)

Les enseignants ciblés

En conformité avec les menaces d’Arestovitch, à peine la contre-offensive terminée dans la région de Kharkov, les rumeurs d’arrestation des enseignants ont commencé à apparaitre. Dès le 10 septembre, le compte Telegram No one is Forgotten a précisé que des enseignants avaient été arrêtés à Kupyansk. À titre de comparaison, il commentait que même après la Seconde Guerre mondiale, les enseignants qui avaient travaillé sous occupation allemande n’avait pas connu un tel sort. La nouvelle est confirmée par un député ukrainien, Oleksii Honcherenko, qui précise que « l’année scolaire pourrait durer 15 années pour ces salopards ».

Le 12 septembre, le vice premier ministre de l’Ukraine, Iryna Verechouk a déclaré que le SBU avait arrêté des enseignants russes dans les territoires libérés de la région de Kharkov, qu’ils seraient inculpés de « violations des règles et coutumes de la guerre » (Article 438 du Code pénal), et qu’ils ne seraient pas échangés. Quant aux enseignants ukrainiens qui ont accepté d'enseigner dans le cadre du programme russe, ils seront également tenus responsables devant la loi, mais pour les activités de collaboration. Tous risquent de 8 à 15 ans de prison. Verechouk précise :

"Il y a des peines graves, et j'appelle encore une fois tous les enseignants des territoires temporairement occupés : en aucun cas ils ne doivent coopérer avec l'ennemi et l'occupant, (ils doivent) évacuer le plus tôt possible et ainsi sauver leur vie et leur santé".

De qui doivent-ils se protéger ? Des autorités pro-russes qui les emploient et leur versent un salaire ? Ou du pouvoir ukrainien revanchard qui de facto menace leur vie ?

Le 13 septembre, le compte Télegram Victor55 déclare que, dans les territoires abandonnés par la Russie près de Kharkov, les enseignants qui ont enseigné en suivant le programme russe ont été arrêtés, précisant qu’ils risquaient 12 à 15 ans de prison. Cela concerne à la fois les enseignants ukrainiens et des enseignants russes qui seraient venus travailler sur place. Selon Oopstop, les peines de 12 ans de prison sont prévues par l’article 438 du Code pénal, celles de 15 ans par l’article sur la collaboration. Les peines prévues sont donc plus sévères pour les Ukrainiens que pour les Russes.

Le même jour, « une source de l’administration régionale de Kharkov a déclaré qu’il n’y avait pas d’enseignants de nationalité russe dans la région ». La source ajoute que le sort réservé aux enseignants ukrainiens est encore inconnu. Le ministère de l’Éducation russe affirmait que depuis le 1ᵉʳ septembre, seuls des Ukrainiens enseignaient dans la partie de la région de Kharkov contrôlée par la Russie, et ce, dans environ 90 écoles en tout. S’il y avait encore des Russes présents, il est probable qu’ils aient fui avec les troupes russes. Le ministère de l’Éducation russe a également déclaré que « l’intimidation des enseignants pour leur travail est évidemment un autre démonstration de folie », ajoutant que « tous les enseignants qui souhaitaient quitter la région de Kharkiv avaient été évacués vers la Russie ».

Il y a donc des contradictions dans les différentes déclarations. Si des professeurs ont bien été arrêtés, s’agit-il de Russes ou d’Ukrainiens ?  En tout cas, les menaces qui pèsent contre les enseignants ukrainiens ayant travaillé sous l’administration pro-russe sont déjà claires. Dans un article de Strana.ua, daté du 30 août, on apprenait que « le ministère de l'Éducation de l'Ukraine a cessé de payer les salaires des enseignants qui sont restés dans les territoires occupés depuis déjà deux mois. Des poursuites pour collaboration et des poursuites pénales seront ouvertes contre eux ».

Le 14 septembre, une vidéo fut diffusée montrant des images d’archive d’un groupe d’enseignants arrivants en car à Kupyansk, après un séjour en Russie où ils auraient appris à enseigner selon le curriculum russe.

On ne voit quasiment que des femmes et de tous les âges.  Il faut regarder cette vidéo, et se dire que chacune de ces femmes, si elles n’ont pas fui avant, est probablement sous les verrous aujourd’hui, ou risque de l’être, et ce, pour des années. Voilà toute la cruauté de cette guerre, de l’abandon des Russes, certes contraint, et de l’appétit de vengeance implacable des Ukrainiens. Et, ces femmes qui avaient décidé de consacrer leurs vies aux enfants, ces mères de famille, peuvent se retrouver traitées comme de grandes criminelles.

Ce qui m’a peut-être le plus choqué dans tout cela est que certaines personnes sur les réseaux sociaux, et pas seulement des Ukrainiens, trouvent cela normal. Mesure-t-on que le « crime » de ces femmes est essentiellement d’avoir enseigné en russe à des enfants dont le russe est la langue maternelle ? En Ukraine, sous le règne de Porochenko, l’enseignement en langue russe dans les écoles a été progressivement interdit. Avant, les parents avaient le choix d’inscrire leurs enfants dans des écoles en russe ou en ukrainien. Cependant, pour les nationalistes ukrainiens, laisser cette liberté était insupportable.  Les Russes, eux, laissaient au moins l’enseignement de l’Ukrainien en option.

Exactions et rumeurs d’exaction

Le 10 septembre, un appel au meurtre en bonne et due forme a été publié par un compte Telegram ukrainien ouvertement nazi ayant plus de 18 000 suiveurs. Selon ce post, même les cuisinières doivent être exécutées.

Le même jour, No one is Forgotten mentionne deux corps retrouvés dans la région de Kharkov avec des traces de torture, citant un média ukrainien. Alors que ce dernier incrimine les Russes, le télegrammeur incrimine les Ukrainiens : « Ceci, malheureusement, est le pire de cette retraite 😢 Les territoires perdus peuvent toujours être récupérés, mais les vies perdues de ceux qui seront victimes des purges ukrainiennes (ils les appellent "filtrations") ne peuvent pas être restituées. Comme en mars, la partie ukrainienne tuera des "collaborateurs" mais les présentera comme des "atrocités russes ». À chacun son récit en fonction de ses croyances.

Le 11 septembre, le compte Telegram pro-russe Slavyangrad, a publié un message alarmiste :

« Les troupes ukrainiennes se livrent à des pillages et à des meurtres à grande échelle dans les territoires capturés de la région de Kharkov : selon des sources sur le terrain, des groupes de pillages de militants ukrainiens ont fait irruption dans le sous-sol, où une riche famille rom, propriétaire d'un grand restaurant à Izyum, se cachait du bombardement et a demandé de remettre des objets de valeur sous la menace d'une arme. Lorsqu'ils ont refusé, le chef de famille a été abattu sur place.

Un autre cas signalé, apparemment à Izyum également, était une agression contre la maison d'un homme d'affaires local. Les Banderites ont fait sauter la porte, le propriétaire a été tué par l'explosion avant même qu'il ait pu ouvrir la porte.

Des messages similaires arrivent de Kupyansk, où des groupes de militants ukrainiens font du porte-à-porte, pillant des appartements et des maisons privées. »

Nous ne pouvons pas aujourd’hui vérifier ces allégations.

Le 12 septembre, un autre compte pro-Russe, Masno a écrit que « À Volchansk, abandonné par les troupes russes, des inconnus ont commencé à marquer de la lettre Z les maisons et les appartements de ceux qui ont collaboré avec la Russie. Le sort de ces personnes peut être très triste ».

Le même jour, il a publié un autre message : « J'ai parlé à une femme d'Izyum, l'auteur des reportages de la chaîne Ramzai. Sa sœur est restée en ville, car son mari est paraplégique. Après l'arrivée de l'armée ukrainienne, l'anarchie totale a commencé. Perquisitions totales, pillages terribles, meurtres. Des gens de l'ouest de l'Ukraine sont venus. Ils disent ouvertement que nous sommes tous des Russes pour eux ici. Il n'y aura pas de pitié pour vous, disent-ils. Ils prennent tout ce qu'ils aiment — téléviseurs, smartphones, appareils électroménagers, nourriture. Ils ont arrêté beaucoup de gens et les ont emmenés. Plusieurs personnes ont été tout bonnement abattues sur place, celles qui ont tenté d'interférer avec le pillage. Ils disent que quiconque essaie de payer en roubles dans les magasins sera immédiatement mis contre le mur et fusillé. Lorsqu'on lui a demandé où trouver les hryvnias — la réponse : "Suce ma bite ! Maintenant, c'est ton travail principal ! ».

Les « "dénonciateurs" sont sortis — ceux qui se cachaient en attendant qu'ils (l’armée ukrainienne) arrivent. Maintenant, ils règlent ouvertement leurs comptes avec ceux avec qui ils se sont disputés. Ils les accusent simplement de collaborer avec les Russes et les gens sont emmenés. Le plus susceptible d'être abattu. La ville est simplement paralysée par la terreur ».

Concernant ce dernier paragraphe, cela s’est passé exactement comme cela dans la partie du Donbass reprise par l’armée ukrainienne, à partir de juin 2014. Les personnes étaient enlevées par des gens encagoulés et disparaissaient. Cela a continué jusqu’à l’été 2015. J’ai assisté ensuite à des procès jugés d’avance, parlé à des victimes d’enlèvement, de tortures et de diverses intimidations. J’ai donc malheureusement peu de doutes que c’est ce qui va se répéter dans les zones « libérées », probablement en pire, car la volonté de vengeance des nationalistes ukrainiens semble encore plus forte, proportionnelle à la peur qu’ils ont pu avoir au début de l’offensive russe de voir leur pays disparaitre.

Un autre exemple de l’état d’esprit de certains militaires ukrainiens est illustré par cette vidéo, initialement publiée sur twitter avant d'être supprimée, mais que j'avais sauvegardée.

Soldat ukrainien

Un Ukrainien a validé son contenu. L’homme veut se venger d’une vingtaine de personnes qu’il connait dans la ville de Kakhova en les tuant tous. Le fait qu’il fasse ce discours à visage découvert démontre qu’il ne craint aucunement les conséquences. Il demande juste à rester vivant suffisamment longtemps pour réaliser son projet. Pour lui, le voisin pro-Russe est l’ennemi, pire que le soldat russe.

La haine contre les séparatistes atteint donc chez certains Ukrainiens des sommets inouïs. Je sais cela depuis mon deuxième jour dans le Donbass, où une femme, côté ukrainien, nous avait expliqué qu’il fallait non seulement ne donner aucune aide aux séparatistes, mais également leur imposer un embargo total et les laisser mourir de faim, façon ghetto de Varsovie. Cette guerre qui est devenue un conflit entre deux États est d’abord une guerre civile, au moins dans les esprits, depuis le coup d’État de Maïdan. On a voulu nous cacher cet aspect dans nos médias. Mais, c'est la réalité.

Si, aujourd’hui, nous n’avons pas nécessairement de preuves de ces exactions telles que décrites plus haut, elles sont malheureusement très plausibles.  Et nous avons aussi des signes tangibles.

La répression en images

Le message d’Arestovich – la prison ou la mort — semble être déjà passé à exécution si l’on en croit ce post du compte Telegram Intel Slava Z, du 14 septembre, où l’on voit deux hommes gisant au sol dans une mare de sang, apparemment exécutés d’une balle dans la tête. Selon le commentaire, la scène a été filmée à Kupyansk. Un policier à qui j’ai montré la vidéo l’a trouvée crédible. La personne qui filme parle en ukrainien et se demande si quelqu’un va se débarrasser des corps.

Une autre séquence, diffusée à l’origine par le dissident ukrainien Anatolii Sharii, nous montre l’interview filmée d’un homme, visiblement un employé municipal, juste avant qu’il ne se fasse arrêter, à Balakliya.

Le dialogue était le suivant : 

               « — Avez-vous travaillé pour les Russes ?

                  — Je n’ai pas travaillé pour les Russes, j’ai travaillé dans ma ville

                 — Emmène-le »

Le 19 septembre, Masno présente la vidéo d’un homme avec un œil au beurre noir, l’air inquiet, avec plusieurs voix d’homme derrière l’objectif. Selon lui, l'homme battu est Sergey Krasovsky, de Volchansk, qui aurait soutenu l'armée russe après le lancement de l’opération spéciale. Il ajoute que « maintenant, la police ou le SBU ont affaire à lui, ainsi qu'aux nazis du mouvement Kharkov Freikor qui ont enregistré cette vidéo ».

Une illustration plus récente de cette épuration nous vient de la presse britannique, qui titre sur les Ukrainiens qui se vengent : « Nous les traquons et les abattons comme des porcs ». Les victimes sont aussi des Ukrainiens, présentés comme des « collaborateurs qui ont trahi leurs voisins. » Qu’en savent-ils ? Ils ne semblent même pas condamner ces meurtres de civils, mais au contraire les justifier, les encenser, flattant les plus bas instincts. Voilà où est en l’Occident.

Le discours de Zelensky, daté du 1er Octobre, dans lequel il déclare que les Russes seront tués un à un nous laisse penser que le même sort sera réservé aux pro-Russes, ces « traitres » qui voulaient devenir Russes. Le même homme, que les récentes victoires de son armée semble rendre ivre d’hubris, vient de signer le 5 octobre un décret pour interdire toute négociation de paix avec Vladimir Poutine, ne laissant comme alternative aux Russes que la destitution de Poutine, ou la guerre totale et visiblement sans pitié.

Quand je regarde la vidéo de Patrick Lancaster tournée à Izyum en juin, avec tous ces gens qui critiquaient l’Ukraine à visage découvert, je crains sincèrement pour eux aujourd’hui. Et, j'espère qu’ils auront pu fuir à temps.

Mais, pour l’essentiel des victimes de la répression, nous ne saurons rien.  Enquêter sur les crimes de guerre de l’Ukraine n’est pas la priorité des chancelleries occidentales, et elle ne l’a jamais été.

Toujours-est-il que, sur la base de mon expérience de plusieurs années dans le Donbass, et sur la base des récentes déclarations des plus hauts dirigeants de l’État ukrainien, quand j’entends ce discours du président Poutine, je préférerais croire que ce ne serait qu’un discours de propagande. Malheureusement, je suis enclin à partager les mêmes craintes :

« A Zaporojie, dans la région de Kherson, à Lougansk et à Donetsk, ils ont vu et voient les atrocités commises par les néo-nazis dans les zones occupées de la région de Kharkov. Les héritiers de Bandera et les punisseurs nazis tuent des gens, les torturent, les jettent en prison, règlent des comptes et se moquent des civils. »

La répression financière

La répression peut aussi être financière. D’après ce tweet, ceux qui ont fui ont vu leurs comptes bancaires bloqués.

Une chose est sûre, personne ne peut transférer d’argent à l’étranger à partir d’un compte bancaire ukrainien, et ce, depuis le 24 février. Je le sais d’expérience. Pour retirer de l’argent à l’étranger, encore faut-il avoir une carte bancaire internationale. Le blocage de compte des opposants est une arme qui commence à être très utilisée un peu partout, même en Occident. Elle l’était déjà au moins dès 2015 en Ukraine. Une candidate du bloc d’opposition aux élections m’avait raconté que sa carte de crédit avait été bloquée jusqu’à ce qu’elle renonce à sa candidature.

La nouvelle forme de lynchage en vigueur en Ukraine

Le 17 septembre, l’agence TASS citait Vitaly Ganchev, le chef de l'administration militaro-civile pro-Russe de la région de Kharkov, qui ne contrôle plus aujourd’hui que 4% de l’oblast :

« Chaque jour, nous entendons parler de plus en plus d'atrocités, comment les gens sont attachés aux arbres uniquement pour obtenir (pour avoir obtenu ?) des passeports russes, ces passeports sont ensuite cloués à leurs jambes, comment les gens sont abattus dans les rues ».

Selon lui, cela se produit dans de nombreuses localités, notamment Izyum, Kupyansk, Veliky Burluk et Volchansk, et parmi ceux qui « torturent et harcèlent les civils », « il y a pas mal de gens qui ne connaissent ni le russe ni l'ukrainien ».

Encore une fois, nous ne pouvons vérifier pour l’heure ces allégations. Mais, La référence aux gens attachés aux arbres fait penser aux innombrables vidéos et photos qui sont apparues sur les réseaux sociaux depuis le mois de mars, où des gens, y compris des enfants, dans différentes régions d’Ukraine sont littéralement attachés dans la rue à des réverbères, avec du ruban adhésif de grande largeur ou des rouleaux de plastique d’emballage. La plupart ont les fesses à l’air et sont humiliés et frappés. Je tiens de source sûre qu’en mars, dans un village de l’ouest de l’Ukraine, un individu attaché ainsi a été battu à mort. Nous ne voyions donc pas le pire de ce qui se passe dans la réalité. Sur de nombreuses images, on peut voir des hommes en uniforme ukrainien autour de leurs martyrs, participant, voire initiant eux-mêmes, l’instauration de cette humiliation.  Et je n’ai jamais vu de vidéo où des âmes charitables viendraient détacher ces pauvres gens.

Voici quelques exemples. Le compte Twitter qui était le plus complet sur ce phénomène a été suspendu. Mais il s’est déplacé sur Telegram.

Voici ce qu’en disait un autre compte : 

Voici deux compilations qui font froid dans le dos: 

Encore d’autres exemples :

Il ne faut plus fermer les yeux sur ces exactions.

Qu’importent les raisons de ces lynchages de rue, ces pratiques, mises à jour moderne du concept moyenâgeux du pilori, sont définitivement indignes d’un peuple civilisé. Et, dans la guerre de l’information, elles sont totalement passées sous silence par les médias occidentaux.

Je connais un Ukrainien qui s'est désolé de ces images et qui refuse cette « justice de rue » dont il a reconnu l'existence. Je n’ai pas osé partager ces vidéos avec d’autres Ukrainiens que je connais, car je serais moi-même effondré si, en France, on en arrivait là. Ils sont déjà assez traumatisés comme cela avec cette guerre. Ce n’est pas d’armes, dont l’Ukraine a besoin. C’est de vérité, et d’une aide psychologique massive. La paix seule, bien qu’indispensable, ne suffira pas à guérir les âmes, encore moins la « victoire », qui ne sera qu’un prétexte de plus pour punir, humilier et lyncher perdants et dissidents. Malheur aux vaincus !

Une haine qui n’est pas nouvelle

La haine vengeresse contre les pro-Russes est donc très forte en Ukraine, et la tolérance pour ces gens d’une opinion différente est quasi inexistante. Une des mesures prévues par les Accords de Minsk que l’Ukraine n’a explicitement jamais voulu appliquer était l’amnistie des séparatistes. La guerre n’a fait qu’accentuer une tendance déjà lourde dans la société.

Déjà, en 2017 ou 2018, en contradiction des Accords de Minsk, le pouvoir ukrainien avait menacé d’arrêter toute personne employée par les structures des Républiques populaires de Donetsk et Lugansk (RPD et RPL) si l’occasion se présentait, et de les inculper pour « soutien au terrorisme ». La RPD avait alors vivement déconseillé à ses fonctionnaires de traverser la ligne de contact pour quelques raisons que ce soit. Pour moi et mes collègues, notre compréhension du texte de loi était que même les employées des écoles étaient potentiellement concernées. Nous avions reçu pour consigne d’évaluer comment était perçu cet avertissement dans les zones contrôlées par la RPD.

Une femme d’une cinquantaine d’années, chef de village élue avant 2014, et qui était restée en place quand la RPD fut établie, m’avait expliqué ne pas craindre d’être arrêtée. « Qui peut soupçonner une femme comme moi de quoi que ce soit de répréhensible ? » disait-elle avec le sourire. À l’époque, pour faire quelques courses, elle allait environ une fois par mois du côté contrôlé par le gouvernement ukrainien, ce qui était possible moyennant quelques heures de queue dans les deux sens et certaines restrictions. Elle n’avait pas l’intention de changer ses habitudes.  Elle m’avait dit auparavant ne se soucier que de ses administrés et préférer tenir à distance les militaires de quelque côté qu’ils soient. Cette femme dédiée à son village, à la fois charmante et naïve, ne se rendait visiblement pas compte du contexte dans lequel elle vivait. 

Quelques semaines plus tard, elle s’est vue arrêtée par les forces de l’ordre ukrainiennes, inculpée notamment pour avoir contribué à organiser dans son village le référendum d’auto-détermination de la RPD le 11 mai 2014 (un sujet redevenu d’actualité). Elle était passible de cinq ans de prison pour cela. Un collègue des Nations Unies avait pu la rencontrer dans le centre de détention ukrainien. Elle était toujours incrédule. Elle restait persuadée qu’il s’agissait d’un malentendu et qu’elle pourrait sortir au plus tard d'ici à quelques semaines.

Mais, des mois après, elle croupissait toujours dans sa cellule, attendant son jugement dont le verdict de culpabilité ne faisait aucun doute, car 99,9% des accusés pour séparatisme étaient condamnés. Un autre collègue qui lui avait rendu visite m’avoua qu’il avait vu cette fois une femme brisée. Elle avait enfin compris dans quel univers d’inhumanité, elle vivait.

Je suis personnellement hanté par le souvenir de cette femme comme par les visages de dizaines d’autres personnes qui, comme elle, furent broyées par la machine de répression judiciaire ukrainienne, parfois pour un simple coup de téléphone. Nous ne pouvions rien pour ces gens, victimes de la tragédie d’un pays qui se déchire ; si ce n’est, peut-être un jour, raconter leur histoire, la partager avec des gens qui auront la compassion dans le cœur, et pas la vengeance.

Le même sort, encore pire, attend donc toutes ces professeures, ces institutrices, ces employées de maternelle qui ont osé enseigner quelques mois en russe, à des enfants russophones, selon le curriculum de la Fédération de Russie, et qui n’auraient pas compris dans quel monde elles vivaient.

Dans sa rage punitive contre ses propres citoyens qui pensent mal, l’Ukraine a décidé de condamner à cinq ans de prison tous ceux qui allaient participer aux référendums pour rejoindre la Russie. Si elle reprenait le contrôle de ces territoires, cela ferait des millions de personnes à emprisonner. Se représente-t-on l’énormité de la chose ? L’Ukraine ouvrirait-elle des goulags, des camps de concentration gigantesques ? Ce serait dans la logique de leurs décisions.

On peut penser que ce genre de menace est aussi brandi pour convaincre tous ces russophiles haïs de quitter le pays où ils sont nés, comme un préalable pour un nettoyage ethnico-linguistique et culturel, si jamais le régime de Kiev était victorieux.

À propos de l’incrédulité des masses occidentales

Beaucoup d’observateurs occidentaux pensent que la généralisation du mot « néonazi » à l’égard de l’Ukraine est de la pure propagande. La preuve, le président de l’Ukraine est juif. Est-ce aussi simple ?

Dmytro Korchinsky, un nationaliste d’extrême-droite, créateur du concept des « Talibans orthodoxes », a déclaré qu’il était contre le fait d’avoir un président juif, disant qu’il fallait un Ukrainien pour le poste. Autrement dit, il ne considère pas Zelensky comme un Ukrainien parce que ce dernier est juif. Korchinsky se situe donc de facto dans le mouvement de pensée nazi, au moins à cet égard. Mais, il conclut en disant qu’avoir un président juif était le meilleur alibi pour protéger l’Ukraine des accusations de nazisme.

Dmytro Korchinsky, nationaliste d'extrême droite

Autrement dit, le nazisme ou sa variante ukrainienne qui ne va pas forcément reprendre le terme, mais l’idéologie, va pouvoir se développer à l’ombre d’un président juif, un président qui est tellement sous pression de la part extrémiste du pays, les Ukrainiens de l’Ouest, qu’il en est venu à dire du bien de Stepan Bandera, qui fut un tueur de juifs. Voilà le monde ubuesque dans lequel nous vivons. La plupart des Ukrainiens de l’Ouest admirent les nazis, ou pensent comme eux. Ils admirent même des criminels de guerre ukrainiens qui étaient sans doute pires que les nazis.

On ne compte plus les vidéos en ligne où des jeunes Ukrainiens font des saluts nazis, où des soldats ukrainiens arborent des symboles nazis comme les croix gammées, mais également des symboles moins connus, le soleil noir ou le Totenkopf, sans même parler d’Azov et de son imitation de la Wolfsangel, l’emblème de la division SS Das Reich. Le dernier exemple en date concernait un soldat qui escortait le président Zelensky à Izyum.

Certes, les purs néonazis, conscients de l’être et militants, sont numériquement très minoritaires. Ils n’ont pas eu d’élus au Parlement en 2019. Mais, c'est parce que des pans entiers de leur discours ont été largement repris par d’autres partis plus mainstream, notamment par le parti de Poroshenko, et maintenant par le parti de Zelensky. Tout cela est le signe d'une dérive particulièrement insidieuse.

Depuis 2014, parce qu’ils sont très vite devenus des « héros » intouchables sur le front, de Maïdan au Donbass, et parce qu’ils ont mené une politique d’intimidations et de violence, les extrémistes ont réussi à imposer leur idéologie nationaliste radicale russophobe en Ukraine, avec la bénédiction, tantôt passive, tantôt active, de l’Occident ; ce qui nous a amené en toute logique là où nous en sommes aujourd’hui, à la guerre avec la Russie, et à la perte pour l’Ukraine d’une partie de son territoire à force d’avoir maltraité sa minorité russophile.

Mis à part la douzaine de partis interdits depuis l’invasion russe, tous ceux qui subsistent aujourd'hui, ont peu ou prou la même ligne ; tous sont pour l’intégration euro-atlantique, un désir d'adhésion qui existait bien avant l’invasion. Depuis que les chaines d’opposition ont été fermées en février 2021, il n’y a plus qu’un seul discours audible en Ukraine, l’ultranationalisme antirusse, haineux et revanchard, qui croit pouvoir dicter ses conditions non seulement à la Russie, mais à tout le monde occidental. Le nazisme en son temps correspondait peu ou prou à cette définition.

L’Ukraine a le potentiel de devenir une dictature redoutable, ce qu’elle est déjà largement devenue, encore une fois sous les applaudissements et les hourras de ses parrains occidentaux. L’apparence de normalité que pourra donner l’Ukraine au visiteur étranger est trompeuse. Car la haine des pro-Russes et l’approbation générale de mesures drastiques contre eux est sous-jacente, comme on l’a vu dans cet article.

Certains rétorqueront que l’Ukraine est ainsi actuellement parce qu’elle est agressée, et qu’elle pourra revenir à la normale une fois la paix revenue. Je n’y crois pas. Il faut se souvenir de ce qui s’est passé sur la place Maïdan, ou à Odessa en mai 2014. Il faut voir « Les Masques de la révolution » de Paul Moreira, ou les deux films d’Oliver Stone et Igor Lopatonok sur l’Ukraine. Le ver de la violence fasciste était dans le fruit dès le début. Et ses racines remontent au moins à la Seconde Guerre mondiale. Il y a encore des modérés en Ukraine, mais ils font profil bas. Et, ils fuiraient le pays s’ils le pouvaient.

Si l'on veut un jour pouvoir reconstruire ce pays sur une base idéologique plus saine, il faudra déjà cesser de tout lui pardonner au nom de la lutte contre la Russie honnie. Il faudrait tenter de faire comprendre au peuple ukrainien dans son ensemble que les pro-russes sont des êtres humains comme les autres, des gens qui n’ont fondamentalement pas moins de droits au respect que les pro-ukrainiens.  Si l’Ukraine continue sur cette voie ultranationaliste sans concessions, dans un système dictatorial où l’information est manipulée à l’extrême, avec l'objectif fou non seulement de vaincre, mais d’obtenir un changement de régime en Russie, et même de démanteler cette dernière — objectif de plus en plus avoué des Américains et de certains Européens — alors c’est l’Ukraine qui sera menacée de disparition en tant qu’État.

Nous devrions être d’autant plus attentifs à cela que nous risquons, nous aussi, les Occidentaux, de disparaitre, si nous ne parvenons pas à trouver un chemin vers la paix et la raison.

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07 septembre 2022 - 18:45
Politique

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PORTRAIT CRACHE - Longtemps dans l’ombre, à l’Elysée et à Matignon, Jean Castex est apparu comme tout droit venu de son Gers natal, à la façon d’un diable sorti de sa ...
13 avril 2024 - 15:36
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