Petrossian : une dynastie du caviar

Auteur(s)
Victor Lefebvre
Publié le 27 octobre 2014 - 15:47
Mis à jour le 09 décembre 2015 - 16:32
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Une boîte de caviar Petrossian.
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©Petrossian
Une boîte du célèbre caviar Petrossian.
©Petrossian
C’est elle qui a fait connaître le caviar en France et elle domine aujourd’hui le marché mondial. L’entreprise familiale Petrossian a traversé près d’un siècle d’Histoire et ses défis, et continue à tenir sa place dans un marché bouleversé.

Le plus gros producteur d’un des produits les plus chers au monde, rien que ça. Petrossian, leader de la vente de caviar, a construit un empire sur ces petits grains noirs, symbole à la fois de la gastronomie et du luxe absolu. Un empire fondé à Paris au début du XXe siècle par deux frères tout juste arrivés d’Arménie.

A la mode russe

C’est en 1915 que Mouchegh et Melkoum Petrossian, fils d’un négociant en soie, débarquent à Paris, chassés par le génocide arménien. C’est l’arrivée d’autres exilés qui va donner aux deux frères l’idée à l’origine de la fortune familiale.

Avec la révolution bolchévique de 1917, des milliers de Russes blancs (favorables au régime des tsars) se réfugient dans les capitales européennes. La culture et les goûts sophistiqués de ces familles issues de la bourgeoisie slave gagnent Paris. Mouchegh et Melkoum Petrossian y voient une opportunité. 

Malheureusement, les esturgeons dont les œufs donnent le caviar vivent surtout en Mer Caspienne, entre l’Iran et la Russie, et le nouveau régime soviétique a nationalisé les pêcheries et contrôle désormais les exportations. Qu’à cela ne tienne, les deux frères ont des arguments convaincants. Selon l’histoire familiale, ils se présentent au consulat d’Union soviétique pour négocier l’importation de caviar. Ils y apportent une valise pleine d’argent en paiement d’une première livraison. En manque de liquidité, le pays accepte de leur ouvrir son marché et, en 1919, la première livraison arrive à Paris.

Les Soviétiques convaincus, restent les Français. Les frères Petrossian commencent par persuader César Ritz, fondateur des célèbres palaces, de mettre ce mets exotique à sa carte. En 1920, ils ouvrent dans le 7e arrondissement leur première boutique, qui reste aujourd’hui le magasin emblématique de la marque.

Précurseurs, les frères Petrossian passent vite maîtres en matière de marketing. Ils s’inscrivent à tous les salons, tous les concours, organisent régulièrement des séances de dégustation afin que nul ne puisse ignorer la nouvelle mode du caviar.

Petrossian brave les tempêtes

Dans la boutique, les deux frères raffinent les œufs d’esturgeons selon une recette toujours gardée secrète. En tant que pionnière, la famille bénéficie de relations privilégiées avec ses fournisseurs et l’Etat soviétique, un pays où s’implanter est un vrai défi pour la concurrence.

Si bien que dès 1930, Petrossian est déjà une référence. Cette année-là Mouchegh épouse Irène Mailoff. Une Russe dont l’aïeul fut un des premiers à raffiner le caviar au XIXe siècle. Dans la décennie qui va suivre, Petrossian commence à se diversifier. L’entreprise ouvre une fumerie de saumon à Agen en 1935 et commence à proposer du crabe russe dans sa boutique.

La Seconde guerre mondiale vient mettre un frein à son activité, coupant l’entreprise de son approvisionnement. Durant ces années, le temple du luxe se transforme en une épicerie bien commune. Légumes et spiritueux remplacent le caviar et le saumon. 

A l’image de son logo –un navire essuyant une tempête avec le soleil brillant à l’arrière-plan–, Petrossian retrouve vite son prestige d’entre-deux-guerres. L’entreprise ajoute à son choix de produits du jambon et du fromage des pays d’Europe centrale, du vin et bien sûr de la vodka pour accompagner le caviar. Un retour facilité par le coup d’Etat en Iran de 1953, qui libéralise le marché du pays.

Sous la direction des deux frères Petrossian et jusqu’à leur disparition, le succès ne se dément pas. Melkoum décède en 1972, Mouchegh en 1981. Les parts de la société sont transmises à leurs enfants. Les cousins Petrossian exercent ensemble la gestion de l’entreprise familiale jusqu’en 1991. Cette année-là, Armen Petrossian, fils de Mouchegh, prend les commandes

Une nouvelle ère du caviar

Un nouveau défi l’attend, car le contexte géopolitique va à nouveau bouleverser le système d’approvisionnement. L’URSS, qui contrôlait d’une main de fer la pêche à l’esturgeon dans la Mer Caspienne, s’effondre. En l’absence d’administration, les braconniers de tous bords se ruent sur cette manne, réduisant presque à néant le nombre de poissons. 

Sentant venir le contrecoup, Armen Petrossian se lance le premier dans l’élevage d’esturgeons. L’avenir lui donnera raison puisqu’à partir de 1998, leur pêche est progressivement interdite. L’élevage devient la seule solution pour la production mondiale de caviar.

Mais la concurrence rattrape son retard. Et si l’entreprise française reste leader avec environ 15% du marché mondial, le réseau qui la distinguait autrefois n’est plus une arme devant une production uniquement basée sur l’élevage.

Face à cela, Armen Petrossian a largement diversifié sa gamme dans l’épicerie fine, du foie gras au vinaigre en passant par les blinis. Mais la maison Petrossian ne compte pas renoncer à son produit phare et joue sur la qualité de son savoir-faire. 

Pour preuve, fin 2013, Petrossian lance une boîte de caviar de 10 kilogrammes, la plus grosse jamais vue. Sobrement baptisée "Terrible Ivan", son prix est gardé secret mais à près de 10 euros le gramme de caviar beluga –un des plus chers– cette boîte, réalisée sur demande, atteindrait les 100.000 euros. Le marketing reste également l'un des points forts de la marque, qui multiplie toujours les partenariats. Dernier en date, en cette fin d'année 2015, une collaboration avec le cravatier François Régis Laporte, de la Maison F, pour donner naissance à un noeud papillon (accessoire que collection Armen Petrossian) rappelant la forme d'une queue d'esturgeon, commercialisé dans un boîte de caviar siglée Petrossian.

Malgré un chiffre d’affaires avoisinant les 40 millions d’euros, la marque doit compter avec une nouvelle concurrence low cost. A cela, Armen Petrossian répondait dans Challenges: "Aucun risque, ce sera toujours un produit élitiste et rare". D’ailleurs, comme le disait Groucho Marx, "les gens ne mangeraient pas de caviar s’il était bon marché"

 

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