Le Bon Marché : le chic façon rive gauche

Auteur(s)
Astrid Seguin
Publié le 06 janvier 2015 - 16:50
Mis à jour le 15 janvier 2015 - 00:32
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Le Bon Marché en 1920.
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Le Bon Marché en 1920.
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Le Bon Marché est une institution au panthéon des grands magasins. L’enseigne, vieille de 163 ans, est née des efforts et de l’ambition d’un couple visionnaire: Aristide et Marguerite Boucicaut. Avant-gardisme et exigence ont été le fil conducteur de ce palais des élégantes qui ne dort presque jamais.

Le premier grand magasin du monde, Le Bon Marché, a récemment fait peau neuve. Dix-huit mois de travaux titanesques et des millions d’euros ont été investis pour pousser les murs et rénover La Grande Epicerie de Paris, nichée au rez-de-chaussée de ces deux bâtiments du milieu du XIXe siècle. L'épicerie s'étend désormais sur 3.600 m² (sur les 4.500 mètres carrés du magasin).

Anciennement nommé Le Comptoir de l’Alimentation, La Grande Epicerie de Paris n’est née qu’en 1923, soit plus de 80 ans après l’ouverture du Bon Marché. Le client y trouve pléthore de produits du terroir français et du monde entier, comme le café jamaïcain du fils de Bob Marley.

Le Bon Marché est le reflet de ce que les Parisiens appellent "l’esprit rive-gauche": "l’élégance audacieuse, le luxe discret", selon Frédéric Bodenes, le directeur artistique du grand magasin. La clientèle du Bon Marché vient y chercher aussi bien des produits rares d’épicerie fine que des vêtements haute couture ou du linge de maison. 

Parfum d'histoire

Ce petit palais du 7e arrondissement de Paris, rue de Sèvres, non loin du Quartier Latin, a conservé une atmosphère particulière. De certains de ses rayons émane encore comme un parfum du Bonheur des Dames d’Emile Zola. L’auteur s’est précisément inspiré du Bon Marché pour capter les bruits, les odeurs, les émotions et les couleurs de cette enseigne qui a révolutionné la consommation. 

Cette petite révolution a été possible grâce à un homme: Aristide Boucicaut.

Aristide Boucicaut entre au Bon Marché en 1848, dix ans après l'ouverture de l'enseigne. Il vient de passer quelques années dans un magasin de nouveautés situé non loin, rue du Bac. Il épouse cette année-là Marguerite Guérin, une serveuse d’un bouillon-traiteur où il a ses habitudes. Quatre ans plus tard, en 1852, il devient associé des frères Videau qui possèdent le Bon Marché. La direction du Bon Marché fait d’ailleurs remonter à 1852 la naissance réelle de l’enseigne Au Bon Marché et non à 1838, époque des balbutiements du magasin.

Aristide Boucicaut bouscule les codes et les méthodes commerciales et, en 1863, il se retrouve seul à la tête du magasin. Il ambitionne de rénover et d’agrandir le Bon Marché. Un projet mené à bien avec l’aide des 2,2 millions de francs prêtés par un de ses amis. 

Aristide Boucicaut commence par offrir aux clients la libre entrée ainsi que des prix fixes et raisonnables. Jusqu’alors, seuls les vendeurs connaissaient le prix des étoffes. 

Le couple est par ailleurs très apprécié de ses employés. Aristide Boucicaut, sous les conseils de sa femme, confère à ses salariés des droits inenvisageables pour l’époque. Il institue la guelte, un intéressement des salariés en fonction des ventes réalisées. Il établit une hiérarchie permettant au personnel d’évoluer en fonction de l’ancienneté. Il abaisse la journée de travail à 12 heures (au lieu de 16), fait du dimanche un jour de repos et accorde des jours fériés à ses employés. Au quotidien, il offre à ses salariés une cantine, des soins gratuits et des cours du soir. 

Créer un insatiable désir d’acheter

Aristide Boucicaut était visionnaire. A l’époque, il est parfaitement conscient du potentiel commercial que représente la femme. En 20 ans, le chiffre d’affaires du Bon Marché est multiplié par 25. L’idée du couple Boucicaut était de vendre moins cher mais en bien plus grande quantité. Cela exigeait un volume des ventes important et une rotation rapide des stocks. Cette réussite passait également par une forte réclame sur catalogues et affiches. 

Les quelque 70 rayons et le service afférent (personnel de qualité, livraisons à domicile...) gagnent encore en notoriété dans les années 1880. Aristide Boucicaut poursuivait de son vivant l’idée de créer un rendez-vous avec la clientèle. Pari réussi, puisqu'en 1887, dix ans après sa mort, 15.000 à 18.000 clients franchissent chaque jour les portes du magasin. 

Les visiteurs se pressent devant les collections temporaires, notamment pendant le mois du blanc –qui se tiendra chaque mois de janvier à partir de 1868– mais aussi devant les œuvres d’art qui sont exposées. L’essentiel des artistes présents étaient ceux qui ne parvenaient pas à se faire exposer au Salon officiel de l’Académie des beaux-arts. 

Le Bon Marché a conservé une relation particulière à l’art. Un espace est toujours réservé à des collections d’art contemporain aujourd’hui. En outre, le Bon Marché s’est allié ces dernières années avec des personnalités connues comme Sofia Coppola et Louis Vuitton pour un sac ou encore Karl Lagerfeld et Melissa pour des chaussures. Il a aussi sollicité en 2012 Catherine Deneuve pour être l’égérie des 160 ans du bâtiment. 

Les vitrines de la rue de Sèvres et d'une partie du rez-de-chaussée du magasin changent au gré des collections haute couture et des saisons. Une opulence à laquelle veille le groupe LVMH, propriétaire du magasin depuis 1984. La Grande Epicerie de Paris a généré à elle seule en 2013 plus de 60 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le luxe ne connaît pas la crise. 

L’enseigne est encore un peu moins connue des étrangers que les deux grands magasins du boulevard Haussmann (Paris 9e), les Galeries Lafayette et le Printemps. Mais le Bon Marché est une vitrine de modernité et d’histoire. Les vieilles coupoles et les verrières du bâtiment réalisées par Gustave Eiffel autour de 1852 en attestent.

Aristide Boucicaut inspirera avec le Bon Marché Jules Jaluzot et Marie-Louise Jaÿ, deux de ses anciens salariés, qui créeront respectivement deux de ses rivaux: le Printemps en 1865 et la Samaritaine en 1869.

 

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