La mort de la vérité

Auteur(s)
Benoît Turcat pour FranceSoir
Publié le 19 octobre 2020 - 13:51
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La vérité du milieu
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Credit photo : Arek Socha de Pixabay
La mort de la vérité
Credit photo : Arek Socha de Pixabay

 Ou le retour des sibylles ?

« Hell is empty, all the devils are here » L’Enfer est vide, tous les démons sont ici. Shakespeare, La Tempête.

Voyageurs involontaires d’un périple aux confins du monde, notre vaisseau pris dans la tempête nous emporte vers des rives inconnues.

Ce mystérieux itinéraire nous inspire foule de sentiments, d’analyses et de réflexions.

Le voyage d’introspection nous emmène naturellement vers une meilleure connaissance de nous-mêmes à l’image de la célèbre maxime delphique. Les entrailles de nos consciences nous révèlent des pensées et des comportements inattendus, nos craintes et nos désirs, nos anxiétés et nos replis, nos élans de compassion et de solidarité. Certains élargissent notre univers sensible, d’autres le restreignent.

De nouveaux choix s’imposent alors ainsi que nous le suggère l’étymologie de cette"κρισις".

Au-delà de nous-mêmes, nous scrutons les sociétés, les grands enjeux sociaux et politiques, scientifiques et économiques, l’extrême profusion de fausses et parfois vraies nouvelles.

S’il semblait légitime, au premier abord, d’envisager que nous partagions tous un ennemi commun, très vite se sont levées les voiles d’autres batailles aux champs divers, d’autres enjeux dont les mystères s’entrecroisent à l’infini.

Ainsi, au regard du monde, ces batailles que nous livrons envers nous-mêmes semblent parfois dérisoires au regard de celles que nous offre le monde extérieur.

Les complots sont en effervescence, le tonnerre des menaces gronde, les guerres collatérales se dessinent, les intérêts se dissimulent.

Les solidarités, feintes ou véritables, nous confondent.

Les démons s’activent.

Plus que jamais, cet effondrement de la vérité, de cette si fragile vérité, nous rappelle le mot de Talleyrand, « La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée ».

Comme si ces troubles scénarios n’étaient pas suffisants, les guerres scientifiques s’exacerbent.

Un autre drame se joue à l’intérieur du drame, celui du spectacle consternant des joutes impitoyables entre savants autorisés, de la cacophonie entre détenteurs de la vérité.

Ainsi, la science, notre refuge ultime, sombre-t-elle à son tour.

Nous sommes bien éloignés de cette « concordance de l’activité scientifique avec le monde extérieur réel » que S. Freud appelait « vérité ».

Face aux démons qui nous entourent, il est temps grand temps d’abandonner les certitudes et d’en appeler aux convictions.

Certains font appel à leur foi alors que d’autres confient leur destin à la mantique ou autres prophéties.

Ainsi réapparaissent les quatrains de Nostradamus, si souvent évoqués, qui prédisent avec talent ce qui s’est déjà passé.

En d’autres temps, on aurait volontiers fait appel aux oracles et sibylles.

Des personnages tout à fait honorables y ont eu recours. Ainsi, Socrate consultait Delphes par le truchement de son ami Chéréphon.

Quant aux sybilles, Tarquin le Superbe en connaissait les talents puisque, pour l’inspirer dans la conduite de l’Etat lors de circonstances difficiles, il avait acquis les fameux Livres Sibyllins qui eurent une belle carrière et furent régulièrement consultés durant la République.

On imagine aussi le désarroi d’Enée lorsque, conduit aux Enfers par la Sybille de Cumes, il y retrouva Didon puis y découvrit des innocents, des héros et des ombres victimes de leurs passions.

Shakespeare nous le confirme, les démons sont bien parmi nous et peut-être en nous-mêmes.

L’ambiguïté des prophéties est demeurée célèbre. Crésus, roi de Lydie, en fit la triste expérience en perdant son empire. Il avait mal interprété la Pythie qui prédisait que s’il attaquait les Perses, il détruirait un grand empire. Il comprit trop tard qu’il s’agissait du sien !

Pyrrhus, parmi d’autres fut également victime de ces ambiguïtés dans sa guerre contre les Romains.

Et puis, lorsque l’oracle commettait l’imprudence d’être trop précis, cela n’avait guère d’importance.

Ainsi, malgré le contenu peu engageant des oracles concernant l’issue des guerres médiques, les Grecs passèrent outre et l’emportèrent à Salamine. Cette extraordinaire victoire fut pourtant suivie, lors d’une immense ferveur populaire, de magnifiques offrandes à Apollon dans le sanctuaire de Delphes.

Tout indique alors, et l’Histoire en foisonne d’exemples, que la vérité ne forge pas les croyances mais que les croyances sont antérieures à la vérité.

Proust nous le précise :

« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir… ». Du côté de chez Swann.

Cette bien triste année qui s’achève pourra être invoquée comme celle de la mort de la vérité, cette vérité qui concerne chacun d’entre nous.

Elle aura également révélé l’érosion de nos croyances et de nos confiances.

Ainsi, l’irrationnel, si nécessaire aux grands équilibres sociaux, pourrait bien retrouver sa place sous des formes inattendues. En attendant, « Carpe diem… ».

 

Benoit Turcat est Avocat international

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