Aide sociale à l'enfance : Si on arrêtait les raisonnements binaires ? partie II


Des situations dans lesquelles l’ASE intervient trop tardivement.
Quand on reprend en les analysant selon une méthodologie d’arbre des causes utilisée en accidentologie, les drames d’enfants battus à mort, on constate souvent qu’il y a eu une faible réactivité de l’ASE ; l’enfant que son père a tué en l’enfermant dans la machine à laver avait été signalé aux services par sa grand-mère, était pour son âge hyperviolent à l’école, avait été attaché au-dehors du balcon pendant un temps assez long et signalé. Une petite fille dont on a découvert le cadavre dans la cave de ses parents, était née sous X puis avait été récupérée par ses parents, qui avaient déménagé dans d’autres départements plusieurs fois, mais le dossier de l’enfant n’avait pas suivi. Après sa disparition, médiatisée comme dans une série par son père, la gendarmerie avait retrouvé son cadavre dans le garage. J’ai vu un dossier d’une mère biologique qui était enceinte de son huitième enfant, les 4 aînés placés, les 3 puînés suivis par la protection judiciaire de la jeunesse. Ils faisaient des aller-retour entre le placement et la maison, au gré des changements de conjoint de leur mère, puis devaient à nouveau être placés, pour abus sexuel, pour coups, pour mauvais traitement. Pourtant la juge des enfants avec qui je me suis entretenue du sort de ces enfants « en attente de placement » m’a expliqué qu’il était important de leur donner, toujours, une chance de vivre avec leur vraie mère.
Je ne parle pas des cas « francs et massifs », qui ne laissent place à aucun doute : celui de ce bébé, tout petit, 3 mois peut-être, bleu de coups. De manière générale, nous avons constaté avec mes collègues, un pic de placement entre 0 et 4 ans, quand il y a vraiment grande défaillance des parents, puis une sorte de calme plat et un nouveau pic, à partir de 11 ans, quand les enfants deviennent, par réaction aux divers mauvais traitements violents et asociaux.
Les cas où l’ASE intervient à mauvais escient
Ces cas sont difficiles à déceler dans les dossiers. Mais il est évident qu’il y en a et que c’est intolérable, pour l’enfant et pour chacun de ses parents.
- L’ASE est sollicitée à tort parce que la définition du risque de danger est une notion floue. Et parce qu’on a de plus en plus tendance à normaliser les comportements, en matière de santé, d’éducation voire de croyance.
- L’ASE et le juge décident à mauvais escient quand il y a des conflits entre parents et que l’un des parents « dénonce » l’autre : pour abus sexuel, pour mauvais traitement etc. ou quand un juge n’écoute pas une mère qu’il soupçonne « d’aliénation parentale ». Au lieu d’analyser le conflit et de faire un diagnostic à partir de l’état de santé de l’enfant, physique, psychique, les intervenants sociaux, y compris le juge ont tendance à prendre parti, à se projeter dans la situation.
- L’ASE ou/et le juge des enfants ont tendance à assimiler les comportements dits déviants à de la maltraitance à enfant. Par comportement déviant j’entends l’acte qui n’est pas pénalement interdit, mais qui est considéré par la norme sociale comme inadéquat. Les mœurs des parents, leurs comportements sexuels, leurs croyances, leur appartenance à une communauté religieuse ou politique considérée comme « sectaire », leur recours à des médecines alternatives, leur refus de certaines pratiques sanitaires, le souhait d’une scolarité différente (école à la maison, écoles libres hors contrat…) et la liste pourrait être longue tant la tendance actuelle est à la normalisation des comportements et des opinions. Soigner son enfant autrement, dès lors qu’on recourt aux médecines moins douces en cas de maladie grave ou d’accident est-ce un mauvais traitement ? Être soupçonné d’appartenir aux sphères dites complotistes » mérite-t-il qu’on vous empêche de voir votre enfant ?
On voit bien la doxa rigide qui fait le lit des petits engrenages du contrôle social, tantôt scandalisés par des mœurs ou opinions hors normes, tantôt jouissant juste de dire le Bien et le Mal.
Comment intervenir au juste moment, ni trop peu, ni trop
Une responsable d’un service d’ASE d’un grand département me disait combien était difficile l’évaluation des situations de bien ou maltraitance dans les familles d’origine étrangère, en situation de logement précaire, aux cultures souvent incompréhensibles à nos mentalités occidentales. L’exemple était joli, de cette famille indienne, vivant avec trois enfants dans un studio, à l’odeur forte des épices, le désordre inhérent à la surpopulation du logement, mais une satisfaction importante de la famille de vivre dans « ce confort », une vraie chaleur entre parents et enfants et finalement bien sûr aucun besoin de protection , sinon pallier la petitesse du logement. Au contraire d’une maman dont la fillette avait été recueillie un temps parce qu’elle avait dénoncé des mauvais traitements de sa mère ; parce que rien dans l’ordre rigide de la mère n’avait été compris comme un danger ; renvoyée chez sa mère la fillette s’était défénestrée 3 jours plus tard pour lui échapper.
Pour faire face à ces difficultés de diagnostic, la Haute Autorité de Santé produit des « cadres nationaux de référence » pour le recueil et le traitement des informations préoccupantes, pour l’évaluation des situations etc. Documents administratifs surabondants, dont on peine à savoir comment ils vont être utilisés.
La HAS elle-même disait en 2021
« Du côté des évaluateurs est citée l’importance du temps consacré à l’élaboration de l’écrit (au détriment du temps passé avec l’enfant/adolescent, les parents et les partenaires).
Les cadres et magistrats qui prennent connaissance des rapports évoquent quant à eux les difficultés rencontrées pour prendre une décision à partir d’écrits dans lesquels la situation est parfois insuffisamment caractérisée, notamment sur les points suivants :
‒ respect des différents besoins fondamentaux de l’enfant/adolescent (ou des différents
enfants/adolescents présents au domicile, le cas échéant) ;
‒ conséquences sur la santé et le développement ;
‒ caractérisation précise de la maltraitance, le cas échéant ;
‒ objectifs de travail à mettre en place pour faire évoluer la situation ;
‒ explicitation de la préconisation – notamment pour ce qui concerne les mesures judiciaires, en lien avec la caractérisation de la capacité des parents à se mobiliser. »
(HAS • Le cadre national de référence : évaluation globale de la situation des enfants en danger ou risque de danger • janvier 2021 39)
De fait, on retrouve là le travers fondamental de l’administration parisienne à vouloir tout dire aux professionnels, sur le comment faire, au lieu de leur fixer des objectifs simples et leur demander de motiver leur décision. Car, peu importe comment font les parents pour que leur enfant se développe physiquement et intellectuellement, se socialise, soit équilibré psychiquement, ce que l’on recherche c’est, à partir d’un constat d’un problème grave chez un enfant, si la famille le met en danger. C’est pourquoi d’ailleurs l’information préoccupante ne devrait pas être un signalement sur la manière d’éduquer, mais uniquement un signalement d’un risque de danger pour un enfant.
Essayer de faire le moins mal possible
Quoi que l’on fasse, les services de la protection de l’enfance, départementaux et judiciaires seront parfois, souvent ? trop ou trop peu interventionnistes. Mais dans nos mégapoles modernes, les solidarités de proximité ont plus de mal à étayer ou suppléer aux difficultés parentales. Que ce soit par l’accompagnement par les grands-parents, l’entraide locale, les diverses solidarités communautaires. Cette solidarité faisait aussi office de contrôle social. Sans doute battait-on moins son enfant quand les voisins qui entendaient les cris vous connaissaient. Les professionnels des services publiques n'habitent pas sur place et ne connaissent pas les familles. Les professionnels de l’aide sociale à l’enfance ne connaissent pas non plus les contextes de populations dont ils ne partagent pas la vie quotidienne. Il n’est pas sûr que l’objectivation et la rationalisation croissante de l’intervention de l’ASE concourt à l’amélioration de sa perspicacité dans la prise de décision. Sans doute faudrait-il donner un vrai droit de recours aux parents qui contestent les mesures, notamment quand elles s’inscrivent dans une situation de conflit parental, recours rapide, avec droit à une contre-expertise notamment psychiatrique. Développer la présence d’avocats pour les enfants lors des audiences. Et militer pour que se mettent en place plus d’actions de prévention et d’accompagnement à la parentalité, et ce dès le jeune âge.
Et surtout, et avant tout, réévaluer les décisions, les mesures, les orientations tout en préservant l’équilibre et la continuité de la prise en charge des enfants pris en charge. Que la protection soit réelle, c’est-à-dire que chaque enfant bénéficie d’un adulte pour qui son développement est important. Non pas un travailleur social qui écrive des romans sur la vie de ses parents, qui les juge, mais un adulte à qui son devenir importe.
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