Contestation des mesures sanitaires : une requête au Juge des Libertés et de la Détention pas aussi loufoque qu’elle ne parait

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@VirusWar (Twitter) pour FranceSoir
Publié le 17 décembre 2020 - 10:34
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une requête au Juge des Libertés et de la Détention pas aussi loufoque qu’elle ne parait
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Tribune : La requête et la décision initiale du Juge des Libertés et de la Détention

Le juge des libertés et de la détention du Tribunal Judiciaire de Versailles a dû être surpris lorsqu’il a reçu  une courte requête d’apparence loufoque  où un particulier agissant pour son compte personnel ainsi que pour celui de son entreprise individuelle lui demande d’être exempté de remplir une attestation pour sortir de chez lui,  de pouvoir acheter les produits exposés à la vente en supermarché et de dispenser son entreprise des  restrictions d’activité.

La raison de ces demandes originales est plutôt laconique : « Vu que je suis jeune, bien portant, que j’applique strictement les gestes barrières »

Le fondement juridique de cette « requête en vue d’être exempté des mesures gouvernementales de confinement portant atteinte à ma liberté individuelle sans que le juge judiciaire, garant des libertés individuelles, n’ait été saisi », il n’y a qu’un seul texte invoqué : l’article 66 de la constitution.

 

Le juge des libertés et de la détention statue rapidement le  10 novembre 2020  sur cette requête : il se déclare incompétent, aucun texte ne permet à ce juge de statuer sur de telles demandes et invoque l’article L213-8 du code l’organisation judiciaire fixant ses compétences.

 

Voilà qui met fin définitivement à cette curieuse affaire, eh bien pas du tout.

 

La nouvelle décision intiale du juge des Libertés et de la détention 

Dès réception de cette décision, le requérant saisit à nouveau le même juge : il a invoqué l’article L213-8 du code de l’organisation judiciaire mais il a omis de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui avait été jointe à cette requête, or cette QPC portait en partie sur cet article L213-8 du code l’organisation judiciaire, seul texte invoqué par le juge. Le juge devait statuer d’abord sur la QPC qui est bien applicable à la procédure (aussi originale soit elle) puisque le juge l’a invoquée. Le requérant fait donc une requête en omission de statuer  (articles 462 et 463 du code de procédure civile) et invoque les dispositions sur le déni de justice.

 

La Question Prioritaire de Constitutionnalité portait effectivement sur l’article L213-8 du code de l’organisation judiciaire mais aussi sur la loi du 23 mars 2020 d’urgence sanitaire adoptée en 5 jours seulement qui  permet au gouvernement, jusqu’au 1er avril 2021, s’il déclare l’état d’urgence sanitaire, d’instaurer un régime d’exception.  La QPC se plaint notamment  que le contrôle des mesures gouvernementales portant atteinte à la liberté individuelle constitutionnellement garantie ait été laissée au contrôle du juge administratif alors que l’article 66 de la constitution dit que c’est l’autorité judiciaire qui est gardienne des libertés individuelles.

 

Le même juge des libertés et de la détention  demande cette fois son avis au procureur sur cette requête en omission de statuer et la QPC

Le parquet dit que les dispositions en cause ne violeraient nullement la constitution car elles seraient justifiées par la crise sanitaire et allègue que le conseil constitutionnel se serait déjà penché sur ce régime lors de sa décision du 11 mai 2020 alors que cette décision portait sur la loi du 11 mai 2020 qui  prorogeait l’état d’urgence sanitaire et ne modifiait qu’à la marge la loi du 23 mars 2020.

Le procureur semblait également peut apprécier la requête car elle serait "l'expression d'un individualisme caractérisé peu conforme à l'esprit de solidarité nationale qui devrait prévaloir chez chaque citoyen en période d'urgence sanitaire" et demandait d’infliger au requérant une amende civile.

Le 9 décembre 2020, le juge des libertés et de la détention rend donc une nouvelle décision, il déclare recevable la requête en omission, dit que la question prioritaire de constitutionnalité est recevable, qu’elle s’applique bien à la procédure, mais loin de considérer  la Question Prioritaire de Constitutionnalité  dénuée de tout fondement constitutionnel, il refuse de la transmettre à la Cour de Cassation à cause de son côté trop touffu : le requérant remet en cause trop de dispositions à la fois et invoque de nombreuses atteintes à la constitution, sans préciser clairement quelle disposition constitutionnelle est violée par chacun des articles de loi.

 

La Question Prioritaire de Constitutionnalité invoquée. 

Voici le texte de la QPC

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

 

En appui de ma requête jointe tendant à préserver mes libertés individuelles, je vous prie de trouver la présente question prioritaire de constitutionnalité concernant les articles L3131-12 à  L3131-20 code de la santé publique, l’article 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. combinée à l’article L213-8 du code de l’organisation judiciaire

 

Suite au décret 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire  prévue par l’article L3131-12 du code de santé publique, le décret 2020-1310 du 29 octobre 2020 prend des mesures de confinement permises par l’article L3131-15 du code de la santé publique.

 

La loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (adoptée en seulement 5 jours !)   a introduit les articles L3131-12 à L3131-20 du code de la santé publique qui instaurent une possibilité pour le gouvernement de régime d’exception d’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021, elle n’a jamais fait l’objet de recours devant le conseil constitutionnel (ni de QPC)

 

L’article L3131-18 du code de la santé publique dispose

A l'exception des mesures mentionnées au premier alinéa du II de l'article L. 3131-17, les mesures prises en application du présent chapitre peuvent faire l'objet, devant le juge administratif, des recours présentés, instruits et jugés selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative.

 

Le terme « A l'exception des mesures mentionnées au premier alinéa du II de l'article L. 3131-17 » a été introduit par l’article 7 de la loi  n°2020-546 du 11 mai 2020, la suite de cet article a été introduit antérieurement par l’article 2 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 qui n’a jamais fait l’objet de recours devant le conseil constitutionnel (ni de QPC). Ainsi, même les mesures individuelles privatives de liberté prises par exemple par le préfet en vertu de l’article L3131-17 I ou III sont donc du ressort du juge administratif ce qui viole l’article 66 de la constitution.

 

L’article 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 dispose

Le chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique est applicable jusqu'au 1er avril 2021.

 

L’article L213-8 du code de l’organisation judiciaire dispose

Les compétences du juge des libertés et de la détention en matière non répressive sont fixées par des lois particulières. 

cet article n’a jamais fait l’objet de recours devant le conseil constitutionnel

 

L’article 66 de la constitution dispose

Nul ne peut être arbitrairement détenu.

L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.

 

Question :

Les articles L3131-12 à L3131-20 du code de la santé publique (introduits par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19) permet au gouvernement de prendre des mesures attentatoires aux libertés individuelles (notamment via l’article L3131-15 CSP)  en obligeant les gens à rester chez soi et restreignant, la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et de vie familiale lorsqu’il déclare l’état d’urgence sanitaire, l’article 7 de la loi 2020-290 du 24 mars 2020 permet ce régime d’exception pendant plus d’un an jusqu’au 1er avril 2021, l’article L3131-18 du même code ne permet la saisine de l’autorité judiciaire que pour les mesures visées par le premier alinéa du II de l'article L. 3131-17  alors que les autres mesures générales ou individuelles sont du ressort de la justice administrative et l’article L213-8 du code de l’organisation judiciaire dispose que le juge des libertés et de la détention n’est compétent en matière non répressive que lorsqu’une loi particulière le fixe ;

ces dispositions législatives permettant à un décret de limiter significativement les libertés individuelles sans garde-fou effectif et pendant une durée déraisonnable sont elles conformes  

  • à l’article 66 de la constitution disposant que l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles
  • à l’article 34 de la constitution disposant que la loi fixe les garanties fondamentales pour l’exercice des libertés publiques
  • à l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen  garantissant la liberté d’aller et venir
  •  à l’article 7 de la même déclaration ne permettant la détention que dans  les cas déterminés par la loi
  •  à l’article 16 de la même déclaration garantissant l’effectivité des droits de l’homme et la séparation des pouvoirs
  •  à l’article 2 de la même déclaration garantissant le respect de la vie privée
  • L’alinéa 10 du préambule de la constitution de 1946 garantissant les droits individuels et familiaux
  • L’alinéa 18  du préambule de la constitution de 1946 garantissant l’effectivité de l’exercice des droits individuels
  • et à la liberté individuelle et d’entreprendre constitutionnellement garantis ?

 

Cette question étant sérieuse, s’appliquant à la procédure et au litige, je vous prie de la transmettre à la Cour de Cassation afin qu’elle la transmette au Conseil Constitutionnel

 

La suite ? 

Au-delà de cette demande individuelle, le Conseil Constitutionnel mériterait d’être saisi d’une question concernant la conformité à la constitution de la loi du 23 mars 2020 instaurant un régime d’exception , quelle est la justification de ces mesures liberticides quand on observe que  la Suède n’a jamais confiné sa population mais a de meilleurs résultats que la France au niveau sanitaire ? Et ainsi le conseil constitutionnel pourrait limiter les abus du gouvernement .

Par exemple, un amendement adopté au Sénat (mais retoqué par la suite) ne permettait plus au gouvernement de fermer toute une catégorie d’établissement recevant du public (par exemple tous les restaurants) mais lui laissait la possibilité de fermer individuellement ceux ne respectant pas les protocoles sanitaires, ce type de mesure générale attentatoire à la liberté d’entreprendre pourrait être remise en question par le conseil constitutionnel.

La plupart des recours sont faits devant le Conseil d’Etat mais il n’a pas fait montre de beaucoup d’indépendance vis-à-vis de l’administration pour l’instant et il n’a pas permis pour l’instant de transmettre une QPC similaire (sous prétexte d’absence d’urgence).

Curieusement, cette décision laisse ouverte  la possibilité  d’une saisine de l’autorité judiciaire sur ces questions de libertés individuelles massivement entravées par le régime d’urgence sanitaire et parait attacher bien plus d’intérêt aux questions de libertés individuelles que ne le fait le Conseil d’Etat.

En effet,  elle laisse entrevoir une possibilité que le juge des Libertés et de la Détention  transmette à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité portant sur moins de dispositions (par exemple les articles L213-8 du code de l’organisation judiciaire,  L3131-15 et L3131-18 du code de la santé publique) et indiquant précisément en quoi les articles 34, 66 de la constitution et les articles 4, 7, 16 de la déclaration des droits de l’homme ou la liberté d’entreprendre serait enfreint par ces textes.  Mais la procédure serait longue.

La possibilité de saisir un juge judiciaire (que ce soit le Juge des Libertés et de la Détention ou  un autre juge du Tribunal judiciaire tel que le juge des référés) laisse entrevoir la possibilité de prise en compte des difficultés individuelles causées par les mesures gouvernementales .

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