L’aide médicale à mourir signe la fin de la fonction soignante des médecins (partie II)

Auteur(s)
Hélène Strohl pour France-Soir
Publié le 21 mai 2025 - 11:50
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Suite de la partie 1 de la tribune d'Hélène Strohl -

Dans sa revue en ligne, Raison sensible le journaliste scientifique Brice Perrier, créateur de cette intéressante revue, a interrogé un pharmacologue et un oncologue [1] à propos de ce constat fait par des chercheurs américains [2] : 68% des anti-cancéreux approuvés par la FDA n’apporteraient pas de bénéfice en survie à 5 ans. Cet article montre la dérive capitalistique de cette mainmise des laboratoires sur les essais : ainsi par exemple alors que certaines thérapies ciblées ont de très bons résultats sur un très petit pourcentage de patients (qu’on pourrait identifier en en cherchant la cause), les laboratoires continuent d’imposer une amélioration calculée selon la médiane et peuvent ainsi continuer à vendre les médicaments à un grand nombre de patients alors même qu’on sait que pour la plupart ils n’auront aucun effet en termes de survie et bien sûr tous les effets en termes de toxicité[3].

Cette évolution de la médecine dite scientifique, celle en laquelle veulent croire tous les patients, celle qui recule toujours plus l’horizon de la mort, croyons-nous, a de fait pour conséquence non seulement de renvoyer comme on l’a vu la mort hors les murs du service soignant, mais à terme de supprimer la fonction soignante des médecins.

Car ces médecins expérimentateurs, parfois simples dispensateurs, applicateurs de protocoles sont presque contraints d’omettre qu’ils ont en face d’eux des personnes.

Tout d’abord en leur appliquant des procédures d’inclusion et de surveillance des essais qui sont contraires à la dignité de la personne. Ainsi dans un essai téléguidé depuis les USA, les dossiers des malades devaient comporter, pourquoi, on ne sait pas, une photographie de la personne totalement nue. Sidération sur le moment, puis honte d’avoir accepté ce qui est une véritable violence. Le médecin coordonnateur n’est pas averti des effets secondaires non létaux et ne se préoccupe pas vraiment de traiter par exemple les diarrhées intempestives déclenchées par le traitement et qui invalident toute vie sociale du malade. De même surveille-t-on les yeux de l’expérimenté, susceptibles d’avoir tel ou tel symptôme grave, mais ne se préoccupe-t-on pas d’un larmoiement continuel pourtant bien invalidant.

Le médecin suit les résultats de l’essai comme ceux d’un concours. Mais jamais on ne demande au malade quelles améliorations réelles il a constaté, hormis cette évolution de l’image.

C’est une image qui est soignée et non pas un malade. Parce que l’évolution de l’image est rapide et permet ainsi de mettre sur le marché un produit rapidement. Sans qu’on évalue ou qu’on réévalue à terme (5 ou 10 ans) son efficacité réelle en termes de temps de survie.

Car pour l’heure l’amélioration de l’image s’accompagne d’effets secondaires si invalidants que la vitalité de la vie du malade s’estompe sérieusement.

Accepter de soigner ainsi, comme des robots, avec pour seul horizon de gagner quelques Euros supplémentaires d’un salaire somme toute décent, aboutit ainsi à supprimer l’essence même de la fonction soignante.

Et donc, il ne faut surtout pas que la personne revienne sur scène, dans la scène finale pourrait-on dire. Cette scène finale qu’on décrit alors comme la plus horrible possible. Ainsi de ces pseudos témoignages de malades, que les télévisions nous montrent pendant que l’on vote la loi. Ils sont photographiés dans tout leur dénuement, la blouse de l’hôpital plutôt que leur propre linge, les tuyaux de partout, la parole saccadée avec laquelle ils sont censés nous convaincre que c’est honteux de ne pas leur accorder leur droit à mourir, là tout de suite. La seule façon pour ces malades dont on a soigné la maladie et non plus la personne, serait alors pour recouvrer leur dignité de « choisir » eux-mêmes le moment de leur mort. Sous la pression quand même d’un système de santé qui tente par tous les moyens de faire des économies et donc de diminuer le coût des fins de vie.

Les soins palliatifs constituent une avancée formidable pour ces fins de vie. Mais ils constituent aussi le palliatif de la perte de la fonction soignante des médecins autres que ceux des soins palliatifs. Il n’y a plus de médecin de famille qui accompagnait ses patients en fin de vie par des visites quasi quotidienne dans les derniers jours ou semaines. Et les médecins spécialistes, car ce qu’on a décrit pour le cancer, existe à moindre degré peut-être, pour d’autres spécialités, les spécialistes donc n’exercent que tant qu’existe un espoir de guérison. Ce gap entre le soin curatif et le temps du palliatif consolide la tendance des médecins curatifs à ne pas pratiquer de soins à la personne, à se concentrer sur les uniques interventions visant à retarder l’évolution de la maladie, omettant les soins à la personne, les soins des effets secondaires et même omettant d’évaluer les soins à dispenser selon une balance attentive au bien-être de la personne. Quel est le prix à payer, pour quelle amélioration ?

Quand (si ?) la loi sur l’aide médicale à mourir qu’on n’ose même pas nommer de son vrai nom, euthanasie, sera votée, il est à craindre un effet boomerang sur la fonction soignante, y compris les services de soins palliatifs.

J’ai la plus grande admiration pour les services de soins palliatifs et j’ai vu plusieurs proches y être soignés de manière tout à fait remarquable. Mais je ne crois pas que dans l’état où se trouve notre système de santé, les autorités développeront pour tous ces services en hôpital ou à domicile. Le coût en est très élevé, le personnel difficile à recruter. S’il existe la solution d’une aide médicale à mourir dont le mythe serait une mort douce, le système évoluera vers une pression pour que les malades et les familles choisissent cette solution rapide et « indolore » !

On verra sans doute proliférer de nombreux services de soins palliatifs low cost, sortes de fastfood des soins palliatifs : la sédation profonde y sera proposée d’entrée, les directives anticipées exigées ; le décor sera un peu moins sordide qu’à l’hôpital et la nourriture moins infecte, mais le temps sera compté. Ces services de pseudo soins palliatifs pourraient n’être que des couloirs de la mort si le corps médical ne se réveille pas et ne refuse pas son asservissement aux laboratoires pharmaceutiques et si la population ne se révolte pas contre l’évolution d’un système de santé qui éradique la fonction soignante au profit d’une manipulation psychologique et physique des malades et d’un abandon des personnes à la cruauté d’un système toujours plus matérialiste, toujours plus productiviste, dont le seul horizon est le gain financier. Pourtant comme le dit la sagesse populaire, on n’emporte pas son tas d’or dans sa tombe.

[1] Raison sensible, juillet 2024. La cancérologie, une médecine à soigner, Interview de Bernard Bégaud et Ivan Pourmir par Brice Perrier.

[2] An empirical analysis of overall survival in drug approvals by the US FDA (2006–2023)Josh ElbazAlyson HaslamVinay Prasad

[3] L’article précité montre que l’immunothérapie peut avoir des résultats quasi intégraux pour un petit nombre de patients (10%), qui ont une survie de plus de dix ans, voire une guérison et aucun effet sur les autres.

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