La proportionnelle fatale à Bayrou ?

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Alain Tranchant pour France-Soir
Publié le 10 juin 2025 - 12:00
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Bayrou
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R. PERROCHEAU AFP
Francois Bayrou
R. PERROCHEAU AFP

Parvenu au sommet de sa carrière, même s'il estime très certainement qu'il ne lui reste plus qu'une marche à gravir pour obtenir le Graal élyséen, François Bayrou entend bien profiter de sa présence à Matignon pour donner le jour à sa marotte de toujours, la représentation proportionnelle.

En dépit des lourds nuages qui s'amoncellent sur le ciel de la France dans tous les domaines : économie, finances, pouvoir d'achat, santé, sécurité, justice, éducation, immigration, qui nécessiteraient son engagement de tous les instants, le Premier ministre consulte les responsables des partis politiques pour tenter d'ouvrir la voie à un changement du mode de scrutin pour l'élection de l'Assemblée nationale.

Lundi 2 juin, c'était le tour de l'un des partenaires du "socle commun", nom de baptême de la coalition des vaincus du scrutin législatif de l'été 2024, le parti Les Républicains.

À l'issue de cette entrevue, le ministre de l'Intérieur et nouveau président du parti, Bruno Retailleau, a fait savoir que "toutes les options étaient ouvertes" sur son éventuel départ du gouvernement s'il devait défendre un projet de loi instaurant un mode de scrutin proportionnel aux législatives. Il a même indiqué avoir prévenu le chef du gouvernement qu'il "ne porterait pas ce type de réforme" susceptible de "déséquilibrer les institutions de la Vᵉ République, qui a besoin d'une majorité pour bien fonctionner" et "prendre des décisions".

Passons sur le déséquilibre des institutions. Le mot est plus que faible, tant elles ont été vidées de leur sens, et récemment encore par ceux-là mêmes qui ont estimé que M. Macron pouvait rester en fonction à la suite du désaveu que lui a infligé le peuple français lors du scrutin qui a suivi la dissolution de juin 2024.

Et retenons surtout que nul ne peut être surpris de voir l'hôte de Matignon pousser son avantage, maintenant qu'il est aux manettes.

Dans son discours de politique générale du 14 janvier 2025, M. Bayrou avait diagnostiqué une société enfermée "dans l'impasse de la bipolarisation", ce qui ne manquait pas d'être surprenant au moment même où la représentation nationale connaissait au Palais Bourbon un éparpillement totalement inédit depuis… 1958 !

"Faire un seul peuple, ajoutait-il, c'est reconnaître que le pluralisme est légitime et qu'il doit être organisé". Comme si notre pays avait attendu son avènement pour vivre dans le pluralisme… Et François Bayrou avait enfin, et surtout, indiqué où il voulait en venir : "Je propose que nous avancions sur la réforme du mode de scrutin législatif", c'est-à-dire vers le "principe proportionnel".

Opposant à la IVᵉ République, à ses 23 gouvernements en 12 ans, le général de Gaulle avait dépeint en quelques mots les conséquences du "principe proportionnel" alors en vigueur. Ce mode de scrutin ne pouvait engendrer qu'"un Parlement sans foi, ni espérance, des gouvernements sans âme, ni crédit".

Qui ne voit que cette formule s'applique parfaitement à la situation de notre pays en 2025, avec un gouvernement composé de bric et de broc, et qui va souvent à hue et à dia ?

Il y a quelques semaines, j'avais publié dans ces mêmes colonnes la tribune "Mode de scrutin : les ministres LR au pied du mur ...", là où l'on voit la solidité des convictions en politique.

J'avais relevé avec satisfaction, me sentant un peu moins isolé dans ce combat, que Laurent Wauquiez venait de se prononcer "contre la proportionnelle", qui "aboutira à institutionnaliser le chaos politique que l'on connaît en ce moment et qui deviendra la règle". Président du groupe LR à l'Assemblée nationale, il demandait au ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, de "s'opposer à cette volonté de François Bayrou".

Bien sûr, je ne saurais me plaindre d'un sursaut des ministres LR, et s'il a perdu la bataille pour la présidence du parti, Laurent Wauquiez a peut-être gagné celle du mode de scrutin, déterminant pour quiconque entend assumer, à l'avenir, la lourde charge de redresser une France au bord de l'abîme.

J'en veux pour preuve le retournement total de l'éphémère Premier ministre Michel Barnier, lundi 2 juin au journal de 20 heures de TF1. Curieusement, la presse ne l'a pas relevé. Mais c'est le même homme qui disait le 1er octobre 2024, dans son discours de politique générale, avoir "entendu les appels à davantage de représentativité" et se déclarait "prêt, ainsi que le gouvernement, à une réflexion et à une action sans idéologie sur le scrutin proportionnel", qui déclamait avec force son opposition à la représentation proportionnelle -comme à toute augmentation des impôts- en répondant aux questions de Gilles Bouleau.

Dans une interview parue dans Le Figaro du 29 novembre 2024, M. Barnier était même allé beaucoup plus loin. Interrogé à propos de la mission qu'il avait confiée au politologue Pascal Perrineau sur "l'élection d'une partie des députés au scrutin proportionnel", il avait répondu de la manière la plus claire qui soit : "J'ai demandé au politologue d'évaluer toutes les options possibles permettant d'introduire la proportionnelle dans le scrutin législatif (...). Sur la base de ses recommandations, nous serons en mesure de présenter un projet de loi au début du printemps". Entre temps, la censure est passée par là, mais voilà des convictions à géométrie plus que variable !

Sans lire dans le marc de café, il est permis de penser que M. Bayrou n'en restera pas là, et ne manquera pas de tester la solidité de ses partenaires LR du gouvernement. Mais l'opération ne sera pas sans risque pour lui. D'abord, parce que Bruno Retailleau va avoir bientôt tout intérêt à quitter un gouvernement où ses résultats ne pourront pas être à la hauteur de ses paroles. Ensuite, parce qu'il est difficilement imaginable que les autres ministres LR demeurent au gouvernement si le président du parti en sort.

En ouvrant la boîte de Pandore, François Bayrou pourrait ainsi signer la fin de son bail à Matignon, comme de son rêve élyséen.

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