Coup de trop, coup de maître ou coup d’avance : de l’art de reprendre la main en politique

Auteur(s)
Guillaume Palette, pour FranceSoir
Publié le 19 juillet 2021 - 18:10
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Macron à Lourdes
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AFP
Emmanuel Macron sait-il à quel vaccin se vouer ?
AFP

TRIBUNE - J’aurais pu choisir de vous parler des mesures annoncées par le président de la République sous l’angle de la pertinence sanitaire, dans le contexte d’une croissance épidémique du variant delta et de doutes plus en plus importants sur la possibilité d’atteindre l’immunité collective. J’aurais pu choisir d’aborder l’angle éthique, celui du débat irréconciliable entre solidarité sanitaire et atteinte aux libertés individuelles, l’angle pratique de la mise en œuvre des mesures, l’angle médical, entre vaccination ARNm, vaccination classique et traitement précoce. Ces sujets présentent tous un grand intérêt, mériteraient chacun de faire l’objet de débats, mais ce n’est pas le sujet de cette tribune.

Aujourd’hui, je souhaite vous parler de politique. Car c’est un coup politique majeur, une vraie prouesse, qui est portée par le président de la République, avec la mise en place à venir des mesures les plus contraignantes jamais adoptées dans le pays.

Un coup de trop ?

Je marque une pause et conçois votre étonnement, à la lecture de ce journal, de trouver dans ce texte des mots positifs concernant l’action du président de la République.

Certains auraient sans doute préféré lire une analyse négative dans le virage autoritaire pris par le président avec des mesures pour le moins inédites. Les critiques acerbes n’ont pas manqué de fuser sur tous les réseaux sociaux et médias alternatifs jusque dans la rue le 14 juillet. Le coup de trop ?

Il faut cependant dépasser le biais de perception et d’adhésion pour comprendre ce qui s’est passé, celui qui fait que vous pensez que les idées de ceux que vous percevez comme des ennemis ou des adversaires, sont forcément mauvaises, fausses et/ou idiotes.

Un coup de maître !

Revenons-en donc à Emmanuel Macron et à son « coup de maître ».

Pour cela il nous faut remonter en décembre 2020 au début de la campagne de vaccination. A l’époque, le pays vit les prémices d’une troisième vague (épidémie?) liée au variant dit « anglais », plutôt meurtrière, avec à peu près 300 décès par jour (10 fois moins aujourd’hui). À ce moment, les doses de vaccin arrivent au compte-gouttes, obligeant les pontes de la stratégie vaccinale à le réserver aux personnes âgées, et provoquant l’ire de toutes les oppositions, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, et des médias, qui en dénoncent la lenteur.

Emmanuel Macron, lui, qui a fondé toute la stratégie de sortie de crise sur la vaccination, s’agace de la lenteur, et recadre le ministère de la Santé, tel que rapporté dans le JDD début janvier. Ainsi, après des débuts poussifs, la campagne de vaccination française monte en cadence et prend un rythme de croisière similaire à celui des grands pays développés. Le taux d’intention de vaccination augmente de manière régulière jusqu’à atteindre 81% en Juin. Bref tout se passe bien, à un niveau conforme aux attentes !

 

Dans ce contexte plutôt rassurant, pourquoi une telle hâte à prendre des mesures extrêmement contraignantes ?

Penchons-nous donc sur le contexte politique. Après des élections régionales qui sont une véritable claque pour la République en marche qui, en dehors de quelques succès dans quelques cantons sociologiquement favorables, ne parvient pas à s’imposer à l’échelon régional, sauf en Guadeloupe, Emmanuel Macron assiste à la parade des candidats de la droite, chacun forts d’un succès régional net. Au premier rang desquels Xavier Bertrand, qui en profite pour remonter dans les sondages de premier tour en Juin, et qui est même crédité d’une victoire au second tour.  L’adversaire est désigné. Pas question de lui laisser du momentum, il faut un coup de maître pour reprendre la main !

Caractéristique intéressante qui ressort de l’analyse de ces sondages, c’est un électorat plutôt âgé, qui semble être l’une des forces de Xavier Bertrand. Cet électorat âgé, qui a en grande partie été se vacciner, et qui ne comprend pas, alors qu’il craint une maladie très létale pour lui et qu’il a perdu de nombreux amis et connaissances sur les premières vagues de la crise, que les autres parties de la population se retrouvent, majoritairement non vaccinées, à reprendre une vie sociale et à répandre le mortel virus. Cet électorat âgé, fréquemment confronté au milieu hospitalier et au personnel soignant, aux aides à domiciles, dont une partie refuse de se vacciner.

L’art de la politique : un coup d’avance …

L’angle d’attaque semble alors évident. D’une pierre, quatre coups. Avec ces mesures autoritaires que sont la généralisation du pass sanitaire et l’obligation vaccinale pour les soignants, Emmanuel Macron réussit le tour de force de :

  • Séduire les électeurs potentiels de Xavier Bertrand, celles d’un électorat de droite plutôt âgé, plutôt friand de fermeté.
  • Cornériser toutes les oppositions qui n’ont eu cesse de critiquer la lenteur de la campagne de vaccination, et qui se retrouvent ainsi prises à leur propre piège. Xavier Bertrand lui-même, chantre de l’obligation vaccinale, est complètement muselé. La gauche « progressiste », pourtant si prompte à défendre les libertés, est anesthésiée, et ne peut pas non plus se dédire sur la vaccination. Même Marine Le Pen devient inaudible.
  • Capter tout l’espace médiatique sous l’effet choc du caractère historique des mesures, et via la polarisation extrême du débat sur leur application.
  • Rassembler ses troupes, par un message cohérent avec ce qui était distillé depuis des mois par plusieurs pontes de la majorité, dont François Bayrou.

Que l’on apprécie ou pas ces mesures, il est donc impossible de ne pas reconnaître le tour de force, et cela à trois trimestres de l’élection présidentielle. Cette annonce permet d’occulter le fait qu’aucune mesure réformiste d’ampleur ne sera lancée jusqu’à la fin du quinquennat, et « anesthésie » le débat politique avec les principaux adversaires de la présidentielles, qui, piégés à leur propre jeu de la surenchère, ne peuvent qu’observer impuissants l’application des mesures décidées, durant les trois prochains mois. Emmanuel Macron a un coup d’avance !

Le coût du coup ?

Les bénéfices étant ainsi évidents et conséquents, reste à chiffrer le risque de cette opération. Il est, en tout état de cause, assez faible. La croissance de l’épidémie de variant delta marginalise ceux qui voudraient l’attaquer sur le caractère disproportionné des mesures. Les quelques manifestations qui auront très sans doute lieu dans les semaines et les mois à venir, seront balayées d’un revers de main, chaque opposant à ces mesures étant désormais réduit à l’étiquette de complotiste-antivax -criminel-égoïste avec l’assistance bienveillante des médias mainstream réduits à un rôle de « supporter », d’opposition contrôlée plutôt que de quatrième pouvoir.

Bref, Emmanuel Macron ne perd rien et prend peu de risques, l’éclosion d’un héros des libertés électoralement dangereux pour lui étant hautement improbable. C’est ce que l’on appelle un très bon coup. Un tour de force, dans tous les sens du terme.

Le vrai prix à payer est pour notre société et nos valeurs, avec la fracture sociale que cela engendre, un énième nouveau clivage entre vaccinophiles et sceptiques, mais ça, comme je l’ai dit, n’est pas le sujet de cette tribune.

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