Nous avons tous en nous quelque chose d’Iggy Pop


Lorsque j’ai une baisse de moral, un coup de mou, je me mets un live d’Iggy Pop et ça va tout de suite mieux. Certains ouvrent une bible ou une boîte de médocs, moi je me nourris de rock.
Le rock n’est ni une mode ni une école, pas plus qu’il n’exige un « état d’esprit ». C’est une certaine idée de l’incarnation. De l’engagement.
C’est faire surgir de la frustration et de la déception une mélodie. Un riff, un pattern, une ligne de basse entre copains. À l’arrache, dans l’urgence de dire.
Il ne s’imite pas, ne se représente pas, ne s’achète pas. Il se vit. En soi et pour l’autre. Le rock est sacrifice.
À l’adolescence, la découverte d’Iggy & the Stooges, avec David Bowie et The Velvet Underground dont j’étais fan, a été une grande joie, presque un soulagement. Il y avait là quelque chose d’exaltant, une force pleine d’élégance sauvage et d’ironie qui me parlait, me touchait.
Je n’ai vu Iggy qu’une seule fois en concert, lors d’un festival d’été il y a une quinzaine d’années. Comme beaucoup, j’ai véritablement eu l’impression de « communier », de recevoir un peu de son énergie folle, de son désir de vivre.
Iggy est une bête de scène, un artiste non domesticable, à 78 ans encore, et c’est d’abord sa résilience, sa grande sensibilité, que nous applaudissons. Il a quelque chose de radicalement humain.
J’appartiens sans doute à la dernière génération rock, celle qui aura vu s’imposer, en une vague de pathos et d’aseptisation, le rap et la techno chez les jeunes. Je ne défends pas ici le rock, car il serait absurde de défendre une forme ou une autre de marginalité ; je le regrette simplement.
Le rap n’est plus de la musique, mais du bavardage mécanisé, et la techno du martèlement psychotique. Comment voulez-vous faire la révolution avec ça ?
« You’re a rock ’n’ roll suicide », comme le chantait superbement David Bowie :
Quand certains s’empressent d’attribuer la déliquescence de nos sociétés modernes à une « perte de spiritualité » ou à une « crise de la foi » — comme si la priorité était de remplir les églises et de réquisitionner les cerveaux pour alimenter des divagations théologiques… —, d’autres appellent raisonnablement au sursaut sensuel.
Ce n’est pas de spiritualité que nous avons besoin, mais d’esprit et de morale, ce qui est tout à fait différent. Nul besoin de dogmes pour cela : l’instinct, l’art et la loi suffisent. Renforçons donc cette trinité-là. Produisons !
Pour moi, la spiritualité est un truc de magazine de salle d’attente. Un loisir de petit bourgeois flippé qui fait une fixette sur la perspective dérangeante de sa mort. Le bougre s’invente de belles histoires de récompense post-mortem parce qu’il voit bien que sa vie n’a pas grand intérêt.
Personnellement, je n’ai pas le temps pour la spiritualité, j’ai un loyer à payer et des injustices à régler. Mais je comprends qu’on ait besoin de combler les vides d’une façon ou d’une autre pour ne pas trop réaliser son insignifiance d’homme devant le chaos des éléments.
L’esprit, c’est autre chose. C’est le jeu. Le partage, le sens de la camaraderie. L’art de l’improvisation. C’est trouver le moyen de renverser des situations par l’association de mots et d’idées. C’est sublimer les choses ordinaires, sans lourdeur ni prétention.
Tout le monde est plus ou moins doté d’esprit : il s’agit de le cultiver, d’en faire un outil au quotidien, une arme de raison et de fantaisie.
L’esprit est ce qui lie intimement les hommes à travers leur histoire commune. C’est ce qui détermine les actes, les comportements, chez les êtres volontaires. Il n’a rien de sacral, rien d’obligatoire, mais son pouvoir de paix est infini.
Quant à la morale, elle n’est pas dans les « textes sacrés » mais dans nos cerveaux. La morale est organique. Faire le bien, cela relève avant tout d’une nécessité anthropologique. Faire le mal, d’un conditionnement pathologique.
L’homme est un animal conscient, que sa sociabilité a doté de raison et d’empathie. Son premier besoin d’homme est le besoin de compréhension.
L’homme est animé de désirs, de conquête et de copulation, et ce sont ces désirs-là qui, par un processus de transformation culturelle, le poussent à créer, à se dépasser.
Dans le mensonge élaboré de la religion, la « transcendance » n’est au fond que la volonté romantique de s’extraire de sa condition de bête.
Ces gens qui militent pour la spiritualité comme on louerait les vertus éducatives des jeux vidéo se voient en grands opposants au « matérialisme », qui serait la perdition assurée de l’âme…
Mais le matérialisme, bon sang, est absolument nécessaire dans le progrès de l’humanité. Résoudre un problème, c’est d’abord et avant tout le matérialiser : en identifier, formuler et traiter les causes.
A-t-on déjà vu de simples pensées, aussi riches soient-elles, changer le monde ? A-t-on déjà vu des croyances contribuer à la résolution de problèmes ?
Exemple : le monde est à feu et à sang. L’être « spirituel » ira prier, seul ou en compagnie de ses coreligionnaires, pour se donner plus ou moins bonne conscience ; tandis que l’être « matérialiste » se permettra de donner quelques coups de pied au cul salutaires, bien ciblés, pour faire avancer la logique de paix.
Évidemment, la spiritualité n’empêche pas le matérialisme, et vice versa, mais si la première est fondamentalement passive, le second aura au moins toujours le mérite d’être actif.
La spiritualité est à la réflexion ce que le yoga est au sport (avec tout mon respect pour les yoguistes). Elle désarme les hommes devant l’injustice pour en faire des spéculateurs patients. Elle tend à leur ôter leur radicalité critique, leur instinct paysan.
En temps de crise, la spiritualité encombre : c’est un anesthésiant, un frein à l’action.
Il y a urgence : des millions de gens se font voler, agresser et discriminer par leurs dirigeants. Ces gens ont besoin de solutions concrètes. D’encouragements à la révolte.
Oui, je crois que nous avons besoin d’un peu plus d’Iggy, de reliefs, d’engagement charnel.
Car c’est cela qui fait bouger les corps, les foules, c’est cela qui ébranle les systèmes : the fire of life !
Finissons avec Dirt, ballade protopunk des Stooges, ici en une version live de 1977, garantie sans IA…, avec les frères Sales à la section rythmique et l’ami Bowie aux claviers !
À LIRE AUSSI

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.