Dans quels cas les laboratoires sont-ils tenus responsables des effets indésirables ?

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Olivier Frot, pour FranceSoir
Publié le 03 février 2022 - 10:45
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Le siège social de Pfizer France, à Paris (14e), le 5 novembre 2021
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F. Froger / Z9, pour FranceSoir
Les clauses contractuelles des contrats d’achats de vaccins par la Commission européenne, exonèrent clairement les laboratoires et reportent la responsabilité des indemnisations sur les seuls États membres, sauf dans des cas très particuliers.
F. Froger / Z9, pour FranceSoir

TRIBUNE — Le journal Le Monde a publié un article de « décodage » pour infirmer des déclarations de Mme Le Pen et du site internet Reinfo-Covid mettant en avant l’irresponsabilité supposée des laboratoires en regard des effets secondaires de leurs vaccins anti-Covid-19.

Cet article est signé par Mme Assma Maad, journaliste très éclectique qui n’est pas juriste, mais couvre des sujets très divers, de la science aux relations internationales, en passant par la politique et ici, le droit.

Cet article des « Décodeurs », qui prétend rétablir la vérité concernant l’exonération de responsabilité des laboratoires en cas d’effets secondaires liés aux vaccins anti-Covid-19, conclut que : « Plusieurs publications en ligne affirment que les fabricants de vaccins contre le Covid-19 n’auraient aucun compte à rendre en cas d’effets secondaires. C’est inexact. »

Ce « décodage » se contente de dérouler des généralités alors qu’il s’agit ici de données précises et de contrats très particuliers et inédits, dont la complexité ne doit pas se satisfaire d’approximations et d’affirmations. Ce discours simpliste vise certainement à rassurer la population. Le point de vue du juriste connaissant le dossier est que la situation, loin d’être simple, reste très inquiétante pour l’indemnisation des personnes victimes de graves effets secondaires, et aussi pour le contribuable s’il doit, in fine, prendre en charge les indemnisations.

Or, les Décodeurs du Monde sont restés à un niveau superficiel et n’ont pas cherché à avoir accès aux clauses des contrats passés par la Commission européenne. Par conséquent, leurs conclusions, fondées sur les seules déclarations de la Commission ou de Mme Pagnier-Runachier et sur une analyse juridique sommaire, ne sont pas recevables en regard de leurs prétentions.

En effet, contrairement aux affirmations des Décodeurs, les clauses contractuelles des contrats d’achats de vaccins par la Commission européenne, exonèrent clairement les laboratoires et reportent la responsabilité des indemnisations sur les seuls États membres, sauf dans des cas très particuliers.

En revanche, l’article développe de manière succincte, mais pertinente, des arguments que nous entendons et qui, contrairement à ce qui est dit, n’entrainent pas automatiquement la responsabilité des laboratoires, mais mettent en doute la légalité des clauses contractuelles d’exonération figurant dans les contrats négociés par la Commission.

L’article est factuellement incomplet et se fonde sur des déclarations générales sans avoir pris le soin de vérifier les documents dont il est question. Il présente quelques raccourcis : non, la responsabilité n’incombe pas toujours à l’entreprise.

Son argumentaire se fonde sur trois points :

1.    Des garanties financières, mais une responsabilité qui « incombe toujours à l’entreprise »
2.    Une législation européenne guidée par une directive de 1985
3.    Un fonds d’indemnisation en France, le cas échéant

La rédactrice rappelle que c’est « l’Union européenne  » qui a contracté avec les laboratoires. Comme elle l’affirme, il y a bien eu six contrats négociés (AstraZeneca, Pfizer-BioNtech, Moderna, Sanofi GSK, Johnson&Johnson, Curevac). En revanche, c’est une ellipse d’affirmer que seuls deux (Pfizer et Moderna) ont obtenu le « feu vert des autorités sanitaires pour être prescrits en Europe », même si aujourd’hui seules ces deux marques restent distribuées, au détriment des autres. Nous n’insisterons pas sur ce point qui n’est pas le sujet.

Il est avéré que les négociations avec les laboratoires n’ont pas été rendues publiques. Mais, il aurait été utile de rappeler qu’une ONG belge [1] a demandé des informations sur ce point et que la Commission, malgré l’intervention de l’Ombudsman européen, a mis six mois à répondre avec des documents inexploitables, car totalement censurés.

[1] Requêtes de Oliver Hoedman, en qualité de représentant de l’ONG Observatoire de l’Europe des entreprise, demandes d’accès aux documents GESTDEM 2020/5436 et GESTDEM 2021/0559s.

Assma Maad concède qu’il est « impossible de connaître le détail des accords conclus ». Avec un peu de recherches, un journaliste d’investigation aurait essayé de retrouver les contrats fuités par la RAI à l’été 2021, à défaut de les avoir trouvés en clair sur le site de la Commission européenne, où ils n'ont été présents que quelques jours, probablement par erreur, fin août 2021. La rédactrice semble s’en satisfaire pour se contenter de reprendre les communiqués de la Commission, rappelant « que les contrats sont conclus conformément aux règles de l’UE, qui "exigent que cette responsabilité incombe toujours à l’entreprise" : si un produit est défectueux, c’est bien le laboratoire qui est responsable », et « les CAA [contrats d’achat anticipé] prévoient que les États membres indemnisent le fabricant pour les éventuelles responsabilités encourues uniquement dans les conditions spécifiques définies dans les CAA. » Une telle réponse reste très générale et imprécise et ne saurait être satisfaisante pour des « décodeurs » dont l’ambition est de dénoncer les « fake news » et rétablir les faits.

Or, après consultation des contrats Pfizer-BioNtech, Moderna et AstraZeneca, nous pouvons affirmer que les clauses d’exonération de responsabilité existent bel et bien dans les contrats. On en trouvera les références dans le tableau suivant :  

Pour aller davantage dans le détail, prenons par exemple, quelques extraits du contrat Pfizer-BioNtech :

Dans l’annexe au contrat, « Vaccine Order Form » qui est le formulaire établi par chaque État membre pour passer commande, il est spécifié à l’article I, §3-b « Par la signature de ce formulaire de commande des vaccins, le soussigné État membre garantit le contractant que :
[…]
c.    Il indemnisera les personnes indemnisées en accord avec l’article I. 12 (Indemnisation) de l’APA ; »

Cet article I. 12 du contrat signé par la Commission, auquel il est renvoyé, stipule notamment que l’administration des vaccins se fera sous la seule responsabilité des États membres participants qui doivent « indemniser et dégager de toute responsabilité le contractant, […] de et contre tout et tous les passifs encourus […] découlant de ou liées à l'utilisation et au déploiement des Vaccins dans la juridiction de l'État membre participant concerné. »

Les seules possibilités d’engager la responsabilité du laboratoire sont décrites au §I. 12.3 :

« (i) « Inconduite intentionnelle » [2] désigne : tout acte illicite, commis volontairement et en toute connaissance de cause, dans l'intention de causer des effets préjudiciables ;
(ii) « Défaut de qualité » a le sens défini dans le volume 4 des règles de l'UE régissant les produits médicinaux — Directives de l'UE relatives aux bonnes pratiques de fabrication des médicaments à usage humain et vétérinaire. »

[2] Terme original du contrat en anglais : « wilful misconduct ».

Contrairement à ce qu’affirme l’article du journal Le Monde, il existe donc bien une exonération contractuelle de responsabilité du laboratoire.

L’article donne ensuite la parole à la ministre déléguée Mme Pagnier-Runachier, qui présente des affirmations non sourcées, qui ne sont que l’expression de son opinion ou de ses souhaits. Ces déclarations de la ministre font fi des clauses contractuelles qu’elle ne saurait ignorer, un fonctionnaire français ayant été intégré aux équipes de négociation. Si la ministre souligne, à juste titre, que toute négligence prouvée d’un laboratoire pharmaceutique « serait évidemment devant les tribunaux avec une indemnisation à la charge du laboratoire pharmaceutique », elle se garde d’évoquer le processus de contrôle des produits livrés qu'aurait opéré le gouvernement, selon les dispositions du contrat qui l’autorise à rejeter les commandes défectueuses. Contrairement à d’autres pays, la France n’a jamais relevé de défauts de qualité dans les doses livrées par les laboratoires.

Oui, la directive de 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, citée par l’article des Décodeurs, devrait s’appliquer. Tout le développement relatif à ce point est exact, non pas pour souligner l’absence d’exonération de responsabilité des laboratoires, mais au contraire, pour contester la validité de la clause contractuelle qui les exonère.

Oui, l’indemnisation par l’ONIAM, relevée par les Décodeurs, est une réalité, mais l’exposé reste théorique : le principe d’indemnisation en l’espèce, s’appuie sur le Code de la santé publique, qui garantit la réparation intégrale par l’ONIAM [3], et en l’espèce, ne concerne pas uniquement les conséquences d’une vaccination obligatoire.

[3] Prévue aux articles L3131-3 et L3131-4 du même code, pour des « préjudices imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins », réalisées sur le fondement des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, cela en application des articles L3131-15 à L3131-17 qui ont en effet permis le déploiement de la campagne vaccinale.

Mais, le budget actuel de l’ONIAM, pour ce que l’on en connait, ne semble pas à la hauteur des enjeux [4] et doit nécessiter une mise en jeu de la responsabilité des fabricants ou, le cas échéant, de leurs assureurs, ce qui va à l’encontre des stipulations contractuelles négociées par la Commission européenne, exonérant les fabricants de toute responsabilité du fait des effets de leurs produits. Du reste, la Cour des comptes a récemment constaté que l’ONIAM n'était pas très diligent pour recouvrer les sommes dues par les laboratoires condamnés par la justice, ce qui n’est pas rassurant pour les finances publiques.

[4] Aucune évaluation n’existe à ce jour mais le nombre anormalement élevé des effets secondaires reconnus (Eudravigilance, ANSM) peut laisser prévoir une submersion rapide de l’ONIAM devant le nombre de demandes et les montants réclamés. Le seul budget connu est le montant de 15 millions d’Euros de subventions de l’État accordées par la loi de finances initiale de 2022.

Le risque réel est que, si les laboratoires étaient condamnés à indemniser leurs victimes par les nombreux recours qui ne manqueront pas d’être déposés, ils se retournent ensuite contre les États membres pour se faire rembourser, en s’appuyant sur les clauses contractuelles négociées par la Commission européenne.

Olivier Frot est docteur en droit.

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