Retraite : ils connaissaient LA solution

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Gérard Maudrux, pour France-Soir
Publié le 12 mai 2023 - 10:00
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Photo de Daniele Franchi sur unsplash.com
"Ni la IVe ni la Ve République n'ont depuis ouvert de débat démocratique sur la protection sociale."
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TRIBUNE/ANALYSE - "LA" solution existait pour satisfaire tout le monde et équilibrer les comptes sans mettre personne dans la rue. Alors qu’en 2012-2013 on voulait imposer 67 ans aux professions libérales pour la retraite à taux plein, le 18 juillet 2013, je me suis rendu au Ministère des Affaires sociales, bureau 3C chargé des retraites, pour expliquer qu’une autre voie était possible.

Alors Président de la Caisse "Autonome" de Retraite des Médecins de France (CARMF, 200 000 affiliés), j’étais allé présenter une alternative à l’allongement de la durée de cotisation que j’avais élaborée, reposant sur le libre choix de la date de départ.

J’avais démontré que l’on obtenait le même équilibre qu’avec une réforme portant le taux plein à 67 ans. J’avais également ajouté que cette réforme pouvait être appliquée pour tous les régimes, et que "cela éviterait de mettre à nouveau tout le monde dans la rue à la prochaine réforme". Les actuaires (statisticiens de la retraite) du ministère étaient présents, ils avaient vérifié mes projections et confirmé qu’il n’y avait pas d’erreur. Cette réforme sera bloquée pendant 4 ans, le décret sortira en décembre 2016, et depuis, CELA FONCTIONNE.

"La bonne réforme, c’est vous qui l’avez". À Paris, tout le monde sait que cela existe, sait que cela marche, mais ils n’en veulent pas. Pourquoi ?

Cette solution, ils la connaissent tous. La personne que j’ai vue en 2013 a piloté la réforme des retraites pour Jean-Paul Delevoye. Son supérieur hiérarchique, avec qui j’avais pris le rendez-vous en 2013 et qui bloquera ma réforme jusqu’à la veille de son départ, était le directeur de la Sécurité Sociale, Thomas Fatome, passé en 2017 directeur adjoint au cabinet d’Édouard Philippe, a également piloté la première réforme Macron avortée.

En octobre 2022, lors d’un colloque, le Président du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) glissait en aparté à mon successeur à la Caisse de Retraite des Médecins : "La bonne réforme, c’est vous qui l’avez". À Paris, tout le monde sait que cela existe, sait que cela marche, mais ils n’en veulent pas. Pourquoi ? Nous sommes dans une société administrée, avec des administrateurs qui veulent tout planifier, contrôler vos choix, quels qu’ils soient. Ils haïssent la liberté, incompatible avec leurs ambitions. Si vous décidez vous-mêmes, ils perdent une partie du pouvoir divin qu’ils se sont attribué. Liberté ne fait pas partie du vocabulaire de l’ENA, car non planifiable.

Historique de la réforme à la carte

En 2012, il y avait une forte pression des autorités pour que les professions libérales reculent l’âge du taux plein de 65 à 67 ans, la plupart s’y sont précipités. Quand je demandais à mon collègue président des dentistes pourquoi il l’avait fait, il me répondit "parce que cela m’arrange". Peut-être que cela arrangeait ses comptes, je ne suis pas sûr que cela arrangeait ses affiliés.

J’ai donc cherché une autre voie que celle de l’éternel allongement de la durée de cotisation, en repartant d’une feuille blanche. Le taux plein chez les médecins et professions libérales était obtenu à 65 ans, mais on pouvait partir entre 60 et 65 ans avec une pénalité de 5% par an. Ainsi, si vous liquidiez à 60 ans, votre retraite était diminuée de 25%. Par contre, en partant après 65 ans, c’était toujours le même montant, vous n’étiez pas récompensés, malgré plus de cotisations et une retraite moins longue. Le gouvernement a fait passer ces limites dans le régime de base de 65 ans (60 avec décote) à 67 ans (62 avec décote), et nous poussait à faire de même dans nos régimes complémentaires.

Avantages : plus d’âge de départ imposé, libre à partir de 62 ans. Retraite à la carte définitive, plus besoin d’y retoucher. Les bons points remplacent le bâton (...).

Je me suis demandé ce que cela pouvait donner en ramenant le taux plein de 65 (ou 67 ans) à 62 ans, au "tarif" existant minoré, et que l’on bonifie chaque année de plus, pour retomber sur nos pattes à 65 ou 67 ans. Résultat, les projections donnaient les mêmes équilibres sur le long terme (20 à 30 ans, ce que nous projetons toujours) que de passer à 67 ans avec l’ancien système.

J’ai donc proposé un départ à taux plein à 62 ans (pour aligner sur le régime de base imposé, sinon 60 ans était possible), avec retraite identique à l’ancienne, compte tenu de la décote de 15%. Chaque année travaillée en plus donnait une retraite majorée de 5% par an jusqu’à 65 ans, puis 3% par an jusqu’à 70 ans. Précisons qu’à ces 5%, s’ajoutent les points acquis par les cotisations, soit environ 8% d’augmentation au total par année, 25% pour 3 ans.

Avantages : plus d’âge de départ imposé, libre à partir de 62 ans. Retraite à la carte définitive, plus besoin d’y retoucher. Les bons points remplacent le bâton : finies les sanctions quand on veut arrêter plus tôt (pour raison de santé entre autres), remplacées par des récompenses financières pour ceux qui travaillent plus longtemps. Les décisions individuelles de départ plus tôt ou plus tard, n’entraînent aucun coût pour l’intéressé, ni pour le régime, c’est-à-dire les autres affiliés. Explications.

L'allongement de la durée de cotisations

Pourquoi depuis des décennies, chaque réforme ne concerne que l’allongement de la durée de cotisation pour avoir le taux plein, sans jamais de réformes structurelles ? Parce que c’est une solution de facilité qui rapporte au régime, sans toucher à la cotisation ni à la retraite.

Démonstration avec des chiffres simples arrondis :

Je travaille 40 ans, et je vis à la retraite pendant 20 ans (moyenne pour la population). Si on m’oblige à faire 1 an de plus, je cotise 41 ans, soit + 2,5% de recettes pour le régime (1/40), et je vivrai à la retraite 19 ans au lieu de 20, soit 5% (1/20) de dépenses en moins pour le régime. Total, le régime gagne 2,5% en recettes, et 5% de dépenses en mois, soit au total 7,5%, sans augmenter la cotisation et à retraite égale.

Ainsi le principe de la réforme chez les médecins donne cela : si vous écourtez votre durée de retraite de 1 an sur 20 (5% en durée), je vous donne 5% de plus pour qu’au total vous touchiez la même somme totale, et si à l’inverse vous allongez votre durée de retraite en partant plus tôt, je diminue le montant annuel, soit un peu moins mais plus longtemps, pour qu’au total, vous touchiez toujours la même somme. Ce coefficient de 5% sur 20 ans est qualifié de neutre actuariellement (adverbe qui se réfère à la manière dont un actuaire procède dans son travail. Il s'agit d'évaluer et de gérer les risques financiers, calculé pour ne rien coûter ni au régime, ni à l’intéressé, ndlr).

Voici pour le principe, la réalité n’est pas très loin, car en pratique le vrai coefficient de neutralité n’est pas très loin de ces 5%. Certains pays comme la Suède calculent la retraite en fonction de l’espérance de vie au départ, ce qui est un peu le même principe.

Un système par points

Pour passer dans ce système à la carte, il faut abandonner les annuités et passer à un système par points, où chaque euro cotisé donne un certain nombre de points.

Les syndicats n’y sont pas favorables, car le système actuel permet de cacher toutes les inégalités, alors qu’un système par points est un système qui applique le principe que j’ai toujours défendu dans la gestion de la caisse : "à revenu égal, cotisation égale, et à cotisation égale, retraite égale".

De plus c’est la transparence totale, chacun de mes affiliés peut calculer au jour le jour sa future retraite en fonction de sa date de départ choisie, en connaissant son portefeuille de points et la valeur du point.

Ce système est très facile à mettre en place, et instantanément, en transformant les droits acquis en points. Je l’ai fait en 2005 pour le régime de base des professions libérales. Nous n’étions pas en annuités mais en trimestres, et lors d’une énième proposition de réforme, j’ai démontré les avantages de ce système. Alors que certaines professions libérales touchaient pour la même cotisation 4 fois plus que d’autres, aujourd’hui tout le monde est au même niveau. Ce système n’empêche pas la solidarité, j’avais instauré 2 tranches de cotisations, au-dessus du plafond de la Sécurité sociale, les points sont achetés plus cher.

Un métier pénible doit être rémunéré à la hauteur de la pénibilité quand on l’exerce, pas à la retraite.

Avec le système actuel, on ne voit pas que certaines professions, comme les fonctionnaires (et il y a pire), touchent 4 fois plus que les salariés à cotisation égale, ce qui fait que les seconds payent 2 fois pour la retraite : une première fois pour leur propre retraite que leurs cotisations financent en totalité, et une seconde fois pour payer la retraite des premiers, financée par les impôts et taxes. Dans un système par points, tout le monde est égal.

Un système à la carte et par points peut régler beaucoup de problèmes. Prenons par exemple la pénibilité. Ce n’est pas à la retraite de la financer, d’autant plus que cela repose sur des promesses qui ne seront pas tenues quand celui qui démarre aujourd’hui prendra sa retraite. Un métier pénible doit être rémunéré à la hauteur de la pénibilité quand on l’exerce, pas à la retraite. Qui dit meilleure rémunération dit possibilité de partir plus tôt ayant acquis plus de points, ou de partir plus tard avec une meilleure retraite, au choix de l’intéressé.

Liberté, Égalité, Fraternité

Vous aurez compris que le système actuel est totalement contraire à la devise de la France. Il n’y a que contraintes, inégalités et aucun soutien entre différentes catégories, alors qu’un système de retraite à la carte et à points, c’est la Liberté, l’Égalité et la Fraternité, et… personne dans la rue.

Les bases du système actuel n'ont jamais été remises en cause quels que soient les gouvernements qui se sont succédé depuis 80 ans, alors que le monde, lui, a évolué. Notre système social a été institué par les fameuses Ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945. Les Ordonnances sont des Lois édictées par le gouvernement sans discussion au Parlement. Ni la IVe ni la Ve République n'ont depuis ouvert de débat démocratique sur la protection sociale. Les seules modifications qui ont été apportées au système ne touchent pas à ses bases fondamentales. Les gouvernements suivants ont court-circuité le débat parlementaire, que ce soit avec les Ordonnances de 1967, les Ordonnances Juppé de 1996, et en 2023 le 49.3 et le 47.1.

Les réformes passées, actuelles et futures ne règlent aucun problème de fond. Elles en créent, sachant qu’au-delà de l’aspect comptable, il y a des femmes et des hommes. Allonger la durée de cotisations, c’est supprimer la retraite de ceux qui sont moins gâtés par la nature. Certains naissent avec des handicaps, d’autres sont plus fragiles et développent des affections (cardiaques, cancers, obèses, etc) qui font que leur espérance de vie n’est pas la même. Ces derniers vont cotiser toute leur vie pour une retraite qu’ils n’auront pas, et c’est faire financer la retraite des bien portants par les moins bien portants.

Quand les intérêts personnels passent avant l’intérêt général, il n’y a plus de démocratie, place à la dictature administrative.

Pour tout le monde, il y a également deux phases dans la retraite : la première, où l’on peut encore profiter pleinement de la vie, faire tout ce qu’on n’a pas pu faire quand on était en activité, et une seconde phase, où l’on commence à être diminué physiquement et intellectuellement, phase où l’on peut moins parler de "profiter" de la retraite. Reculer l’âge de départ supprime une partie de la première phase, la meilleure, alors que l’allongement de l’espérance de vie, que l’on met en avant pour justifier ce recul de l’âge de départ, ne concerne que la seconde phase.

Des coûts de plus en plus élevés, des contraintes de plus en plus restrictives, tout cela pour de moins en moins de retraite, c’est le résultat d’une gestion administrée. Ce bilan, nous le constatons dans tous les domaines, depuis que le pays est dirigé par des administrateurs, et non plus par les citoyens, qui ne sont ni écoutés, ni entendus. Quant aux élus, la France a bien changé depuis que la politique est devenue un métier, et n’est plus une vocation désintéressée. Quand les intérêts personnels passent avant l’intérêt général, il n’y a plus de démocratie, place à la dictature administrative.

  • Gérard Maudrux est médecin, chirurgien retraité, ex-président de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF).

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