Trump, 4 mois d’action hors USA : clarifications et confirmations

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Daniel Godet pour France-Soir
Publié le 22 mai 2025 - 17:15
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Trump
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JIM WATSON AFP
JIM WATSON AFP

Au vu des premières semaines, j’avais titré : « des ruptures en vue, mais que de bruit et d’agitation ». Au bout de 4 mois, l’action de l’Administration Trump se poursuit sous sa forme chaotique, et se clarifie, même si beaucoup reste à concrétiser. Voici pour moi les très grandes lignes :

Expansion de la base des États-Unis sur le continent nord-américain : pas de grand avancement : le Canada, le Danemark et les autorités locales du Groenland (dont 25 % des résidents sont déjà des militaires américains stationnés) ont refusé à ce stade les offres de Trump. La vente à BlackRock par le holding de Hong Kong, Hutchinson, de ses intérêts dans les principaux ports du Panama est suspendue à une validation par la Chine.

L’offensive des droits de douane est-elle autre chose qu’une action peu réfléchie, tant les US sont dépendants des importations ? En tout cas, elle a confirmé sa nature d’entrée en matière de type ‘western – cow boy’ pour des négociations commerciales visant à rééquilibrer les échanges et fournir à l’État fédéral de nouvelles ressources. Dans la vision de Trump, l’État fédéral pourrait limiter ses recettes aux droits de douane et supprimer les impôts sur les revenus. Les relèvements de droits annoncés initialement ont été vite suspendus le temps de multiples négociations bilatérales qui vont prendre des mois et inclure les questions d’investissement aux USA. Avec la Chine, la bouffée des droits US s’est montée à 145 % ; la Chine a répondu, portant ses droits à 125 %, en y ajoutant un arrêt des exportations de terres rares indispensables à la high tech et à la défense US : cet arrêt est-il supportable par les États-Unis au-delà de quelques semaines ? Les deux parties ont commencé à négocier, avec des droits ramenés provisoirement à 35 % et 10 % respectivement.

En toute hypothèse, la réindustrialisation des USA ne peut être qu’une œuvre de longue haleine, bien au-delà des horizons usuels des entreprises et du gouvernement, et les droits de douane n’y suffiront pas : il faut en effet remaîtriser les technologies et processus de fabrication, bâtir les usines et les supply chains, identifier et former la main d’œuvre ad hoc. Le succès n’est pas garanti ! D’ailleurs, faute de main d’œuvre, ni Cooke (Apple) ni Gates ne voient comment rapatrier les productions de biens high tech assurées par la Chine.

Concernant l’Ukraine, Trump a obtenu la signature par le gouvernement d’Ukraine d’un accord-cadre sur une priorité US pour l’exploitation de nouvelles ressources minérales. Entre l’exigence du parlement national de valider les protocoles, non encore communiqués, précisant l’accord-cadre, l’articulation avec un accord similaire qui aurait accompagné le traité de défense signé en janvier par l’Ukraine avec le Royaume-Uni, le contrôle par la Russie d’au moins la moitié des gisements ainsi que l’incertitude sur la substance et l’exploitabilité des gisements qui à ce jour n’existent que sur des cartes géologiques de l’ère soviétique, la portée de cet accord-cadre demeure une inconnue !

Trump poursuit sa recherche d’une fin du conflit, en dépit de l’animosité belliqueuse de l’Europe : l’UE - Allemagne, France, Pologne et pays baltes, ainsi que UK, se sont mis – selon l’expression de Jacques Sapir - en posture de ‘forteresse assiégée’. Au-delà de la responsabilité des États-Unis sur le déclenchement des hostilités, déjà reconnu par Trump, leur rôle premier dans la conception et la conduite des hostilités armées avec la Russie – et leur échec complet - a été détaillé le 29 mars 2025 par le New York Times. Comme le souligne Olivier Todd, Trump est ainsi celui qui doit faire reconnaître à tout le clan occidental sa défaite totale, et la nécessité d’accepter les conditions du vainqueur : sa pédagogie vis-à-vis des leaders européens et ukrainiens prend plus de temps qu’il ne pensait ! Il comprend les conditions ‘non négociables’ posées par Poutine (pas de simple cessez-le-feu sans accord sur les principes d’une paix durable) même s’il rêverait que son interlocuteur accepte de les assouplir. Il soutient la tenue des négociations bilatérales entamées sous l’égide de la Turquie. Sans doute souhaite-t-il éviter un scénario ‘à la Vietnam’, 4 ans de négociations avant la conclusion d’un accord. Il a des moyens d’obliger l’Ukraine à signer un accord, car il peut couper à l’armée ukrainienne, dont les stocks de munition pourraient s’épuiser d’ici à l’été, StarLink et le flux de renseignement. La question essentielle pour la Russie, selon Todd, serait de renoncer, ou non, à Odessa, largement russophone, dont le contrôle supprimerait pour elle un risque objectif d’insécurité en Mer Noire. Suite à échange avec Poutine, Trump refuse à date d’imposer de nouvelles sanctions.

Au-delà, Trump entend bien que les européens prennent en charge leur défense, y consacrent 5 % de leur PIB (plus du double du niveau d'aujourd’hui), tout en continuant à se fournir aux 2/3 auprès des États-Unis (qui conserveraient leur contrôle à distance des armes fournies). Les premiers retraits militaires US du territoire de l’OTAN sont annoncés par le Pentagone fin 2025.

Au Moyen-Orient, l’action de l’administration Trump a pris un spectaculaire nouveau tour, notamment vis-à-vis du gouvernement d’Israël : un fossé qui se creuse avec Netanyahou. D’abord, Trump annonce son refus d’annexion de Gaza par Israël, puis la nécessité d’y faire cesser la famine organisée par Israël. Il évoque divers scénarios pour cela hors occupation israélienne. Puis il obtient du Hamas la libération d’un binational détenu depuis le 7 octobre 2023, Edan Alexander. Au Yémen, les USA passent un accord avec Ansar Allah (les « Houthis »), échangeant l’arrêt de leurs attaques des seuls navires US contre la fin de l’offensive aérienne US, reconnaissant ainsi son échec malgré un coût dépassant semble-t-il un milliard de dollars. Il engage des négociations avec l’Iran, avec la perspective d’échanger la confirmation par l’Iran de son renoncement à l’arme nucléaire (déjà affirmé depuis longtemps par la hiérarchie religieuse) contre un arrêt des sanctions et une reprise de relations économiques et commerciales ; il limoge d’ailleurs le 1er mai son conseiller national à la sécurité, Waltz, qui aurait commencé à planifier avec les israéliens une attaque préemptive contre l’Iran (bombardiers B52 et B2 prépositionnés sur l’ile de Diego Garcia). Enfin, il retire les sanctions sur la Syrie, tandis que les kurdes proches des US annoncent déposer les armes. Dans les cinq cas, Trump agit sans concertation avec Netanyahou, tout en prenant toutes les précautions possibles vis-à-vis du lobby juif/israélien US, qui représente 50 % des milliardaires et « contrôle » le Congress (comme le montrent ses invitations périodiques de Netanyahou, avec multiples standing ovations, et le témoignage du représentant Thomas Messie). Un exercice d’équilibriste qui semble avoir ses chances de succès, car le lobby israélien aux US semble loin de supporter l’option ‘sioniste-révisionniste’ du gouvernement Netanyahou : un très grand Israël par tous moyens, y compris les pires.

En parallèle, Trump – en bon ‘jacksonien’ - a engagé une offensive économique et commerciale dans le Golfe, son voyage sur place permettant de concrétiser avec l’Arabie et le Qatar de très gros contrats commerciaux (armements, avions civils) et des promesses d’investissements aux USA par centaines de milliards : il tient alors à Ryad le 13 mai – comme le soulignent Arnaud Bertrand et Philip Gilardi - un discours exceptionnel sur la nécessité pour l’Ouest d’arrêter de donner des leçons aux autres, et de reconnaitre les différences, notamment culturelles, entre pays.

Promotion de la démocratie et de la liberté de parole : L’administration Trump a maintenu l’abandon de la politique de support au ‘nation-building’ via USAID et le National Endowment for Democracy…Mais elle suit, notamment via le vice-président Vance, les agissements en la matière de l’Union Européenne, notamment en Roumanie et Allemagne. Elle critique les interventions UE en Roumanie (annulation du 1er tour de novembre 2024, refus candidature Georgescu pour le scrutin de mai 25). Sa réaction au résultat du second tour de la présidentielle roumaine demeure attendue.

Elle réagit quand le contre-espionnage allemand décide le 2 mai, sur la base d’un rapport de 1100 pages, de classer l’AfD, devenue en 2025 le 2e parti du pays, comme une organisation confirmée d’extrême droite, ennemie de la constitution, ce qui autoriserait une surveillance renforcée de ses animateurs et membres : un arrêt du partage de renseignement avec l’Allemagne est évoqué. Le 9 mai, la décision a été suspendue.

L’action extérieure de l’administration Trump va demeurer intense ces prochaines semaines !

 

Documentation :

Panama : China blocks $23 billion sale of Panama Canal, other ports worldwide to BlackRock-owned group - Businessday NG

Les droits de douane suffisent-ils à réindustrialiser ?

Conflit ukrainien

Trump - Israël et Moyen-Orient

Allemagne

German security service unexpectedly suspends ‘extremist’ classification of AfD - Brussels Signal

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