Trump : 6 semaines de coups de pieds dans la fourmilière – International : des ruptures en vue, mais que de bruit et d’agitation !


Dès l’inauguration de Trump sont annoncés les retraits des accords de Paris sur le climat ainsi que de l’OMS.
Des droits de douane sont annoncés dès fin janvier pour le Mexique et le Canada (25 %) ainsi que la Chine (10 %). Au nom d’un manque de lutte contre l’immigration illégale et l’import de fentanyl, ainsi qu’un rééquilibre des échanges bilatéraux. Ils sont mis en place début mars, sauf sur le périmètre régi par un traité États-Unis-Canada-Mexique conclu sous Trump « 1 », et portés à 20 % pour la Chine. Cette action ‘commerciale’ ne convainc pas grand monde, et son ‘vrai’ but n’est pas clair, si ce n’est de remplir une promesse électorale et (peut-être) de lancer sous pression des négociations monétaires selon le schéma dit « accord de Mar-al-Lago » promu par Miran, le Conseiller économique désigné par Trump.
Trump annonce aussi fin janvier qu’il verrait bien le Canada, le Groenland, voire le Mexique, rejoindre son pays, et le canal du Panama être contrôlé par lui. Ces annonces non anticipées et à l’emporte-pièce suscitent un rejet général. Mais le Danemark a accepté peu après que des travaux de réhabilitation du gazoduc NordStream soient étudiés par des investisseurs américains. Et un groupe de Hong-Kong revend ses intérêts portuaires au Panama à l'américain Blackrock. Un renforcement du pré carré US pourrait être cohérent avec la vision multipolaire du monde annoncée par le secrétaire d'État Rubio lors de son audition de confirmation au Sénat : une vraie rupture avec le discours suprématiste traditionnel des USA. Qui pourrait signifier l’abandon à terme de tout ou partie de l’empire militaire (750 bases dans 80 pays) pour permettre la réduction des déficits.
La suspension des aides externes pour 90 jours (USAID, NED…) met en danger les vraies dépenses d’aide humanitaire ; mais aussi toutes sortes de financements de la presse internationale, et d’institutions et ONG ‘soutenant la démocratie’ qui relèvent de l’influence, voire de l’ingérence. Cela inclut les opérations de ‘regime change’ constatées chaque année dans le monde, réussies (Syrie, Bengladesh, …), ratées (Géorgie, Slovaquie), ou en cours (Roumanie, Serbie, Bosnie, Iran…)
La suspension principale concerne l’Ukraine, car Trump veut voir cette guerre finir vite. Il en a une vision claire : elle n’aurait jamais dû démarrer, et l’Occident l’a provoquée par le reniement de sa promesse de non-expansion de l’OTAN vers l’est. Le démantèlement de la Russie visé dans les années 90 n’a plus de vraisemblance. Trump semble viser un nouveau partenariat, y compris économique et commercial, avec la Russie. Dans ce cadre, il comprend les exigences de sécurité de la Russie et envisage un retrait de l’OTAN des pays de l’Est. Les deux pays, après un échange de prisonniers, préparent une reprise de relations diplomatiques normales, et les USA une première levée partielle des sanctions imposées à la Russie. La rupture avec la politique Biden est totale.
C’est avec la Russie seule que Trump explore un accord sur l’Ukraine, au grand dam des dirigeants européens et ukrainiens. Il annonce aussi viser une récupération des $350 milliards d’aide civile et militaire apportée selon lui à l’Ukraine (200 milliards de plus que l’Union Européenne) via un accord sur les ressources minérales locales. Un chiffre fou, $2 700 milliards, est évoqué pour leur valeur ; il comprend la part, majoritaire, du Donbass, situé maintenant en Russie. Ces ressources seraient au cœur de l’accord de défense entre la GB et l’Ukraine, conclu mi-janvier pour cent ans, quelques jours avant l’entrée en fonction de Trump. Les brits auraient conclu un accord exclusif, selon l’analyste Alex Krainer, en espérant ainsi sauver leur monnaie !
Echaudé par une attaque ukrainienne mi-février sur un pipeline en Russie détenu en partie par des pétroliers US, Trump veut "sa" part dans ces ressources minérales ; ce serait la seule garantie de sécurité US à l’Ukraine. L’échec en direct le 28 février de la signature d’un accord-cadre USA-Ukraine est suivi par l’arrêt complet des aides américaines à l’Ukraine ; ce tant que dure son hostilité à un accord de paix avec la Russie. Suit la suggestion que l’Europe assume seule sa défense, et le soutien à l’Ukraine. Les États-Unis annoncent début mars la suspension de toute cyber-attaque contre la Russie, et de la fourniture à l’Ukraine des renseignements permettant de guider des missiles en Russie. Après l’accord de principe sur un cessez-le-feu, donné le 11 mars aux États-Unis par l’Ukraine, la Russie va-t-elle entrer dans ce schéma d’une trêve d’un mois sans accord sur les principes généraux qu’elle a énoncés pour une sortie de crise ? Cela semble peu probable.
L’Europe, responsable pour Trump avec l’administration Biden de la guerre en Ukraine, est placée devant ses contradictions : discours "anti paix immédiate" en Ukraine, mais aucun des moyens pour mener une guerre : ni armée, ni industrie d’armement, ni renseignement, ni stocks, ni moyens financiers. Et pas de leaders respectables. C’est un mépris qui est manifesté par l’administration Trump pour l’Europe, sa vassalité, sa servitude, mais aussi le manque d’importance accordé à la liberté d’expression et au respect des vœux des populations. En "complément", des droits de douane de 25 % sont apposés le 11 mars sur les produits métalliques. Le fossé va-t-il devenir infranchissable ?
La Chine est toujours désignée comme l’adversaire principal : Trump rêve sans doute d’en « écarter » la Russie. Outre les droits de douane, une rigueur accrue dans la protection des technologies américaines est annoncée, mais en est-il encore bien temps ? Selon l’institut australien ASPI, la Chine est déjà devant les États-Unis dans la grande majorité des technologies d’avenir, un renversement complet en une décennie. Le lancement d’un plan US de centaines de milliards dans l’IA est précédé de quelques heures par le lancement international de DeepSeek, un système chinois de performance équivalente aux systèmes US, pour un cout inférieur de plus de 90 %. Clin d’œil chinois : leur système serait issu du rachat à vil prix d’une technologie ukrainienne de l’ère soviétique.
Les États-Unis vont-ils poursuivre leur politique d’encerclement de la Chine avec leurs alliés dans la région ? Trump annonce que Taïwan devra payer une plus grande part de sa défense ; satisfaction : TSMP, leader taïwanais et mondial des semi-conducteurs, décide $100 milliards d’investissements aux États-Unis. Trump n’a pas encore annoncé sa posture quant au sujet politique n° 1 pour la Chine : l’appartenance de Taïwan au pays, reconnue par les États-Unis lors de l’établissement par Nixon de relations diplomatiques avec la Chine. Les États-Unis ont donné sous Biden l’impression de revenir sur leur signature avec des garanties de sécurité à Taïwan, voire un support à son indépendance. Les tarifs douaniers augmentés début mars de 20 % obèrent la relation ; la Chine répond, y compris par des limitations des exportations technologiques vers des entreprises étatsuniennes. La Chine se déclare non intéressée – à la différence de la Russie - par l’idée de Trump que les 3 grandes puissances baissent leurs budgets militaires de 50 %., notamment sur le nucléaire, L’administration Trump a-t-elle compris que la Chine ne pourra qu’être la plus grande économie du monde, et que la séparation de Taïwan est la dernière marque de son ‘siècle de honte’ (1842-1949) ?
Au Proche-Orient, Trump maintient un appui sans faille à Israël, politique et militaire, cohérent avec le financement électoral reçu du lobby israélien. Il avait pourtant publié début janvier sur son réseau Truth social une vidéo de Jeffrey Sachs critique de la politique d’Israël depuis des décennies et de l’alignement de la politique étrangère des États-Unis sur les intérêts d’Israël. Il appuie les négociations entre Israël et le Hamas, notamment pour la libération des captifs israéliens, en menaçant le Hamas ; il fait circuler une vidéo faite par IA d’un Gaza, vidé des palestiniens, devenu une riviera qu’il rêverait d’aménager.
L’Iran demeure une cible de haute priorité d’Israël et de l’administration Trump : pas question que l’Iran puisse disposer de "la bombe" – Ce, alors qu’Israël en dispose sans être partie au traité de non-prolifération. Et que le guide suprême iranien a déclaré les armes nucléaires non conformes au Coran. Et que la CIA a indiqué en septembre 2024 que l’Iran ne fabrique pas d’arme nucléaire. Trump, qui avait torpillé en 2018 l’accord de Vienne, intervenu sous l’administration Obama, qui soumettait le programme iranien à des limitations sévères et une surveillance étroite de l’Agence Internationale de l'Énergie Atomique, relance l’affaire : il demande le 6 mars au guide suprême iranien une négociation bilatérale sur son programme nucléaire, refusée le 8 par Khameini. Trump précise alors que l’alternative à un deal, c’est la force (y compris de nouvelles "sanctions"), et évoque des actions militaires contre le trafic d’exportation iraniennes d’hydrocarbures. Ce que vise Trump est peu clair ; et l’Iran pourrait être un morceau coriace compte tenu du traité avec la Russie signé mi-janvier, et de l’importance pour la Chine de ses hydrocarbures. Chine, Iran et Russie mènent d’ailleurs des manœuvres navales communes dans le golfe Persique. Israël va-t-il réussir à entraîner les États-Unis dans un conflit avec l’Iran et ses deux partenaires ? Au moment où Trump parait décidé à faire un deal avec la Russie, aller avec l’Iran au-delà d’une gesticulation (incluant une interdiction à l’Irak d’utiliser le gaz iranien pour sa génération électrique) semble peu cohérent.
Mais au final, sur la relation avec Israël, source de guerres aussi destructrices pour les pays concernés (Irak, Afghanistan, Libye, Liban, Syrie…) que coûteuses, voire ruineuses, pour les États-Unis, Trump ne semble pas avoir commencé à bouger un tant soit peu. Est-ce le signe que les deux États méprisants de la loi internationale (le respect de la Charte de l’ONU et de ses décisions exécutoires, ainsi que des traités signés) et "exceptionnalistes" souhaitent rester des ‘hors la loi’ ? En tout cas, Trump n’a pas le multilatéralisme en priorité : une sortie de l’ONU et de la Banque Mondiale est évoquée, de même pour le G7, le G20, et l’OTAN.
À ce stade, beaucoup d’initiatives américaines actuelles semblent mal conçues et menées de façon éloignée des canons diplomatiques, voire demeurer dans le domaine du bruit et de l’agitation. La mieux engagée est la normalisation initiée avec la Russie et la résolution du conflit ukrainien, mais le succès est loin d’être acquis et comme l’a dit Todd, il s’agit d’acter la défaite des États-Unis. La séparation d’avec l’Europe semble bien partie, y compris grâce aux leaders européens en place. Sur les autres fronts, la "grande Amérique", les droits de douane (qui touchent aussi l’Australie, le Canada et la Grande-Bretagne, cette dernière étant seule - en bon ‘fayot’ - à ne pas rétorquer), la Chine, Gaza, l’Iran, Israël, la feuille de route est encore à clarifier et structurer.
Documentation :
Alex Krainer: How Far Has Europe Deceived Itself? - notamment sur le volet ressources naturelles de l'accord militaire de cent ans Grande-Bretagne-Ukraine et les motivations monétaires des brits
L'agonie de « l'Occident politique », par Thierry Meyssan
ASPI : Comparing China and US Critical Future Technology Development, by Hua Bin - The Unz Review
Vidéo de Jeffray Sachs particulièrement critique d’Israël diffusée par Trump sur son réseau social
«Le job de Trump va être de gérer la défaite américaine face aux Russes», cingle Emmanuel Todd
Eventualité d’un accord monétaire international « Mar-a-Lago » :
- 2024 - L’idée de Stephen Miran, conseiller économique désigné de la Maison Blanche 638199_A_Users_Guide_to_Restructuring_the_Global_Trading_System.pdf
- Fevrier 2025 – What Is the Mar-a-Lago Accord? Jim Bianco Explains Rumored Plan for USD - Bloomberg
- Mars 2025 - Commentaire du FT : What a Mar-a-Lago accord could look like
- Mars 2025-Commentaire Thierry Meyssan : Donald Trump gère-t-il le possible effondrement de « l'empire américain » ?, par Thierry Meyssan
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