Un peu de tenue !

Auteur(s)
Rorik Dupuis Valder pour France-Soir
Publié le 22 avril 2025 - 09:09
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Avec la mondialisation débridée, son déferlement de camelote chinoise et sa culture de la malbouffe à l’américaine, les gens semblent s’être habitués à consommer ce qu’on appelle communément, en bon français, « de la merde ». De la merde qui plus est toxique. Le consommateur lambda, dans l’immédiat, croit faire affaire en achetant un produit bon marché qui à terme l’empoisonne et lui est inutile. Il n’y a qu’à voir l’allure défaitiste des passants dans la rue, avec leurs ensembles pyjamesques tout en synthétique et leurs écouteurs cancérigènes vissés aux oreilles, voir les monceaux de cochonneries industrielles et d’aliments ultratransformés dans les caddies de supermarché, pour comprendre ce qu’est la déculturation. Précisons ici quand même, pour ne pas basculer dans l’obésophobie la plus vile, qu’il convient de distinguer la bonne graisse, celle du terroir, de la mauvaise graisse, produit de la junk food pathologique (tout étant question d’éclat) ! La France, pays du style et de la gastronomie, aura elle aussi cédé au règne du plastique et du tout-jetable au nom du sacro-saint Profit.

Alors que nous assistons à des bouleversements géopolitiques inédits avec la montée des courants souverainistes à travers le monde, la question qui se pose à nous, Français de cœur et de tradition, est la suivante : voulons-nous réellement de cette merde qui nous déshonore ? Les démagogues pseudo-rationalistes vous diront certainement que la merde est une question de point de vue, qu’il en faut pour tous les goûts et toutes les bourses, justifiant plus ou moins malgré eux les superprofits des multinationales par des pirouettes théoriques et des croyances d’étudiant en économie… mais la réalité est qu’un peu de volonté politique suffirait à mettre fin à ce système aussi absurde qu’injuste. En faisant le choix du protectionnisme et de la production locale, la France disposerait évidemment de tous les moyens, de la main-d’œuvre et du savoir-faire nécessaires pour se passer de cette merde qu’on nous impose comme une fatalité conjoncturelle.

Nous évoquions la question du prêt-à-porter et de la production textile. Comment expliquer qu’un citoyen français de la classe moyenne, avec des revenus modestes et un minimum d’exigence vestimentaire comme le veut son héritage culturel, doive se contenter d’une garde-robe intégralement made in China ? Personnellement, le made in China a tendance à m’angoisser : je ne peux m’empêcher de penser à des bataillons d’ouvriers surexploités en train de se refiler toutes sortes de maladies inconnues au fond de hangars insalubres. Au fabuleux pays du crédit social et de la reconnaissance faciale généralisée, où les gens sont tenus de vivre dans des clapiers à deux cents mètres du sol pour satisfaire à la tyrannie techno-collectiviste ; un smartphone greffé à la main et un passe sanitaire au cou, baignant dans un concentré d’ondes électromagnétiques et de particules fines… Très peu pour moi, merci.

Bref, pour illustrer mon propos quant à l’absurde et aux dérives morbides du libre-échangisme, je partirai ici d’une modeste expérience personnelle. Parmi mes nombreuses activités socio-éducatives, j’ai été amené à travailler bénévolement comme entraîneur dans un club d’athlétisme au Maroc, au cœur d’une région jadis réputée pour son industrie textile (la plupart des usines étant aujourd’hui à l’abandon, du fait notamment de l’import massif du made in Turkey…). Comme j’avais fait faire sur place, après une petite étude de marché, des tenues pour mes jeunes athlètes, j’avais été enchanté par le savoir-faire et la réactivité des artisans sollicités, autant que par la qualité et le coût des produits finis. Naïvement, je m’étais alors demandé pourquoi l’on ne trouvait pas plus en France de vêtements fabriqués au Maroc, compte tenu de la proximité géographique et des liens — historiques, culturels et économiques — privilégiés entre les deux pays. J’attends toujours des explications valables.

Si l’on parle de mondialisation, il me semble tout de même plus sensé qu’un Français porte un T-shirt fabriqué au Maroc plutôt qu’en Chine, non ? Car voilà ce que nous recherchons avant tout : du sens, bon sang ! J’avoue ne pas être très versé en commerce international, mais je constate tout de même, comme n’importe quel clampin doté d’un cerveau en état de marche et de facultés d’observation plutôt fiables, que tout cela pue. Ça pue le non-sens, entretenu par une mouvance de prédateurs technocrates et de fanatiques globalistes, qu’il s’agirait de remettre (gentiment) à leur place au nom d’une indispensable « réhumanisation » des échanges.

Le Maroc aussi, par exemple, dispose de toutes les ressources nécessaires pour participer à la grande compétition commerciale ! À condition, bien entendu, qu’il respecte les règles du jeu et de la transparence… Pour élucider en partie ces points de suspension lourds de sous-entendus, voici une autre anecdote, assez révélatrice du mal marocain, en rapport avec mon expérience d’entraîneur. Lors d’une compétition nationale organisée par la fédération, l’un de mes jeunes athlètes, Abdellah, participe à une épreuve de sprint, que j’ai la bonne idée de filmer. À l’arrivée, les cinq juges présents, qui sont par ailleurs en lien avec les deux gros clubs locaux, notent Abdellah à la quatrième place, derrière des participants licenciés dans lesdits gros clubs. Abdellah proteste timidement et m’assure qu’il est arrivé deuxième. Nous visionnons la vidéo — Abdellah franchit effectivement la ligne en deuxième, avec une avance évidente sur les coureurs suivants — et la montrons comme preuve aux cinq (!) juges, qui se voient alors obligés, non sans une certaine aigreur, de modifier le classement en rétablissant l’ordre exact d’arrivée.

La chose s’est reproduite plus tard avec au moins un autre de mes athlètes, qui, comme Abdellah, avait le malheur de ne pas être licencié dans un gros club et de témoigner d’une condition sociale dont on estimait qu’elle ne lui permettait pas de remporter quelque médaille… Un accent, une dégaine ou un phénotype suffisent parfois à vous éliminer. Et je ne parle pas ici, quant au milieu sportif et associatif, de la tradition de détournement de subventions par les multiples « responsables » parasites, du matériel qui disparaît ou n’arrive jamais, des décisions administratives arbitraires, des irrégularités et illogismes en tous genres. Non, trop long.

Enfin voilà, c’est aussi ça, le Maroc. L’usage de la triche à tous les étages. L’inégalité des chances assumée. Le favoritisme et la corruption communément admis. Les jalousies et les coups bas habillés de sourires et de bondieuseries. Le racisme latent ou décomplexé. Comme partout ailleurs, le vice étant universel, et toujours plus facile que la vertu… Mais il y a évidemment, avant tout, le Maroc volontaire, talentueux et épris de justice. C’est celui-là que je retiens. Ce Maroc-là pour lequel je me suis toujours engagé.

D’ailleurs, en me promenant l’autre jour dans les rues de Rabat, alors que je me rends au centre culturel français — l’un des rares lieux de rencontres à proposer concerts et activités artistiques diverses aux citadins de la classe moyenne —, mon regard est attiré par la vitrine d’une librairie où est religieusement disposée toute une série de livres en anglais à la gloire de… Xi Jinping. Aïe. Nous parlions de « déculturation », euh… comment dire ? Je savais que l’esprit français n’avait plus tellement la cote en Afrique (nous ne remercierons jamais assez notre cher Président et ses deux prédécesseurs de nous avoir royalement foutu la honte à l’international), mais je ne m’attendais pas à une telle percée du made in China sur les terres ancestrales du zellige et de la marqueterie. Faut-il s’en inquiéter ? Aux Marocains de le déterminer.

Pour ma part, j’ai constaté que ces choses de piètre facture qui inondent nos magasins — du textile au mobilier en passant par l’électroménager avec ses lois de l’obsolescence programmée — ne conviennent définitivement pas à ma physiologie : j’ignore si cela est dû à mon grand gabarit ou à ma nature un peu nerveuse, mais elles ont tendance à me péter entre les mains. Aussi je préfère faire le choix du durable. Et du style, autant que possible. Avant d’être sociale ou écologique il s’agit là au fond d’une question philosophique : qualité ou quantité (ou les deux ou aucune des deux) ?

Non, rien à faire, je crois bien que je suis désespérément français… « Liberté, Égalité, Fraternité », on peut s’en moquer, en douter, mais politiquement, moralement, ça a quand même une certaine allure. Et je ne sais pas trop ce que propose de son côté, idéalement, la République populaire de Chine, il faudrait vérifier…

Au centre culturel, j’ai un échange passionnant avec une collègue camerounaise qui m’explique qu’il y a au Cameroun autant de dialectes que d’ethnies, c’est-à-dire au moins 200, et que la langue française est celle qui permet à tout le monde de s’accorder… En convenant de l’artificialité du découpage des frontières de l’Afrique, qui fondamentalement est une terre de tribus plutôt que de nations — largement victime de l’impérialisme occidental ces deux derniers siècles —, nous nous disons que si en 2025 le français peut au moins servir à fédérer les gens, autour de valeurs et de mots d’esprit, eh bien c’est toujours ça de gagné pour la paix !

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