Beauvau de la sécurité : policiers et politiciens n'ont pas les mêmes priorités

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Laurence Beneux et Axel Neuville, pour FranceSoir
Publié le 30 septembre 2021 - 18:28
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F.Froger / Z9, pour FranceSoir
Attachez vos ceintures !
F.Froger / Z9, pour FranceSoir

Le 14 septembre dernier, Emmanuel Macron annonçait à Roubaix les prochaines mesures concernant nos anciens gardiens de la paix. Voici ce qu'on peut en retenir :

Une question demeure : était-ce ce qui était attendu ? Par les citoyens ? Par les policiers et les gendarmes eux-mêmes ? Les sujets du suicide dans la police ou encore du trop lent fonctionnement de la justice, pour n'en citer que deux, n'ont aucunement été mentionnés. En revanche, la question du maintien de l'ordre semble être un point d'orgue. Mais à quel prix ?

À l'instar des nouveaux uniformes promis par le chef des armées, ces annonces ne servent-elles pas seulement à ripoliner le constant dévoiement de la fonction policière, et sa déprofessionnalisation ? Pour en parler, nous avons recueilli plusieurs témoignages :

« Tout ça pour ça… »

L’expression résume assez bien le sentiment des policiers de terrain après les annonces du président lors de la clôture du Beauvau de la sécurité.

Même si beaucoup s’empressent de préciser qu’ils n’en attendaient de toute façon rien, qu’ils ne sont pas surpris, on sent quand même une déception teintée de colère chez nombre d’entre eux. L’amertume, même, pointe le bout de son nez : « j’aimerais bien savoir combien elle a coûté la blague ! Ils avaient l’air très beaux les tapis siglés "Beauvau de la sécurité" ! ». 

Il est certain que, quand on appartient à une profession où les heures supplémentaires atteignent des montants stratosphériques, payées au compte-gouttes pour des raisons budgétaires, la question des dépenses est sensible.

Le sentiment général est fort bien résumé par Aurélie Laroussie, présidente de l’association « Femmes des Forces de l’Ordre en Colère » (FFOC) : « Sept mois pour arriver à ça, c’est ridicule ! Ça a justifié leurs salaires et ceux des grands dirigeants des syndicats, mais sur le terrain, ça ne va strictement rien changer ! » D’ailleurs, parlant des associations, aucune n’a été auditionnée : « les policiers de terrain doivent certainement trop sentir la voiture brûlée pour avoir l’honneur des beaux palais de la République » commente Cédric Vladimir, porte parole du collectif « Hors Service », rassemblant et accompagnant des policiers ayant vécu des situations particulièrement traumatisantes.

Aucune, à l’exception de l’association "Peps-SOS policiers en détresse", qui lutte elle aussi contre le suicide dans la police. Or justement, le problème du suicide dans la police est l’absent remarqué du discours du président de la République ! C’est simple, tous les policiers et représentants associatifs à qui nous avons demandé de réagir sur le bilan du Beauvau de la sécurité nous en ont parlé au premier chef : « il n’y a rien pour prévenir le suicide dans la police » ; « pas un mot sur le suicide dans la police »...

Pour Christophe Girard, vice président de "Peps-Sos policiers en détresse", la déception est d’autant plus grande que l’association avait obtenu de haute lutte d’être reçue à la fin de la phase des auditions du Beauvau. « On s’est dit que, comme on avait soulevé le problème au Beauvau, ils ne pourraient pas l’ignorer, explique-t-il. Eh bien si ! Il y a 41 % de suicides en plus dans la police que dans la population générale, et le futur candidat Emmanuel Macron a choisi de l’ignorer ! Parce qu’entre nous, ça ressemblait vraiment à un discours de campagne ! On espérait au moins qu’il dise quelque chose, comme "on a pris en compte le malaise, on a entendu, et on va y réfléchir". Au moins une petite phrase, une petite note d’espoir, mais même ça il ne l’a pas fait. Il n’a rien dit. Il y avait eu une table ronde autour de la prévention du suicide, et tout le monde semblait d’accord sur le fait qu’il fallait agir. Comme Marlène Schiappa y assistait, dès le soir du discours du président, on lui a envoyé un mail pour demander si cette table allait servir à quelque chose. Nous n’avons pas eu de réponse. Rien. »

"Peps SOS-policiers en détresse" nourrissait d’autant plus d’espoir que l’association pense avoir une écoute sincère, constructive et impliquée, du directeur général de la police nationale (le DGPN), Frédéric Veaux. L’association souligne d'ailleurs le contraste entre le travail effectué en coopération avec les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, et l’indifférence des politiques. « On ne sait pas si cette coopération aboutira à des mesures concrètes, mais on veut y croire, affirme Christophe Girard. Nous voulons rester un bon partenaire. Et un bon partenaire, ce n’est pas quelqu’un qui dit "oui" à tout, mais quelqu’un qui permet aussi à son interlocuteur de progresser. Le service du DGPN nous a demandé des suggestions, et nous avons rendu un rapport de six pages. On verra bien ».

Après l’absence remarquée du problème du suicide dans la police, dans le discours d’Emmanuel Macron, c’est une annonce qui déchaîne les remarques ironiques des policiers et de leur défenseurs. Le président de la République a annoncé que les policiers allaient se voir doté d’un nouvel uniforme, fabriqué en France et élaboré au printemps 2021, « après un appel aux écoles de mode et de design ». Le chef de l’État a présenté cette nouvelle tenue comme un élément "de la considération que nous vous devons"...

Aurélie Laroussie de FFOC tempête : « Il ne dit strictement rien sur la prévention du suicide dans la police, rien qui va changer le cadre légal. On aurait aimé qu’on aborde la question d’une réorganisation du management, qui est toujours un gros problème dans la police, qu’on parle de cette p... de politique du chiffre qui déshumanise complètement le métier, ou d’augmentation de salaires et de tas de choses importantes propres au boulot. Évidemment, pas un mot sur les familles des policiers, et notamment, d’un point de vue social, pour les familles de policiers qui se seraient suicidés. Mais super ! Les flics vont avoir de nouveaux polos ! »

« On n’a jamais demandé ça, et on veut savoir combien ça va coûter », proteste Cédric Vladimir, tandis que, plus prosaïquement, Christophe Girard pronostique que « ça va coûter une blinde, avec deux vêtements froids, deux vêtements chauds et deux vêtements mi-saison, bas et haut », et se désole du fait que cet argent aurait pu être mieux employé.

Plus généralement, les policiers interrogés choisissent d’en sourire, sans pour autant masquer leur agacement. Ils pensent à l’unanimité que l’annonce d’une réforme en profondeur du code de procédure pénale est une promesse à visée électorale, purement théorique « parce qu’il est absolument impossible qu’Eric Dupont-Moretti » tienne cette promesse en quelques mois.

Ils prennent avec circonspection les promesses de recrutement des policiers (10 000 en un an et le doublement des effectifs sur dix ans), parce que « c’est bien joli de promettre à huit mois des élections alors qu’on n’a quasiment rien fait pendant plus de quatre ans, mais on n’est pas dupes, et dans huit mois de toute façon, on changera de gouvernement ».

Concernant le désir de « voir plus de bleus dans les rues », les policiers pronostiquent une décharge de l’État sur les collectivité locales, à travers les polices municipales « parce que comme ça ce sont les mairies qui paieront », alors qu'« il faudrait mieux une bonne police nationale, bien formée, et que ce soit pareil sur tout le territoire. Les "municipales", il y en a qui sont très bien, et qui parfois pourraient même servir d’exemple, mais ça dépend des maires ».

Concernant la formation justement, « rajouter quatre mois c’est très bien, mais il faudrait résoudre les problèmes profonds, parce qu’il y a beaucoup de départs, d’arrêts maladie, de demandes de mutation pour quitter la voie publique, et peu de candidats. Du coup, ils sont obligés de prendre à peu près tout le monde. Les niveaux de recrutement sont très bas. »

Beaucoup de policiers expérimentés s’alarment du niveau des jeunes recrues : « Beaucoup des nouveaux que je vois arriver me font peur » commente l’un d’eux. « C’est sûr qu’ils obéissent comme des moutons et que c’est pas eux qui vont s’opposer aux hiérarchies, mais les plaintes auprès de l’IGPN vont augmenter, s’inquiète un autre. Beaucoup sont des chiens fous, en grand nombre dans certains services désertés par les "anciens", et avec peu de policiers expérimentés pour les encadrer ».

« On nous parle d’exemplarité, commente Cédric Vladimir, mais moi, je veux être exemplaire. Je veux que tous les flics soient exemplaires. Mais il faut nous donner les moyens de l’être ! Et pour ça, il faut des formations adéquates et des recrutements de qualité, "élitistes". Or, c’est tout le contraire qui se passe ! ».

On fait faire n’importe quoi à n’importe qui : « On demande à des policiers formés à la violence urbaine de faire du maintien de l’ordre. Or, ce n’est pas la même culture. En V.U (violences urbaines), on doit réagir vite, alors que les CRS formés au maintien de l’ordre ne bougeront pas sans un ordre » nous explique-t-on. On parle aussi de la perte de sens de la profession. Beaucoup s’agacent quant au contrôle du passe sanitaire. « On n’est pas rentré dans la police pour ça » est un leitmotiv. « Au Beauvau, ils ont mis en avant la nécessité d’un rapprochement entre la police et la population, mais on n’arrête pas de nous faire faire des choses qui ont l’effet inverse. On nous a fait contrôler le père de famille qui promenait son chien pour contrôler s’il s’était bien autorisé lui-même à le faire. Maintenant on nous force à contrôler des gens parce qu’ils boivent un café en terrasse. Et vous croyez qu’ils pensent quoi alors, quand il y a des trafics de drogue en bas de chez eux ou des rodéos qui leur pourrissent la vie, et qu’on ne nous donne pas les moyens de les arrêter ?! Et ça va bientôt faire deux ans que ça dure ! ». « Ca a commencé avec les Gilets jaunes, quand on nous a demandé d’empêcher les manifestations de smicards qui n’arrivaient pas à boucler leurs fins de mois » déplore un policier.

Concernant la création d'un centre de formation au maintien de l’ordre, Christophe Girard y voit un désir « d’éviter qu’il y ait des blessés durant les manifestations ». Mais il pointe aussi les limites d’un « tout pour le maintien de l’ordre », qui semble être la principale préoccupation de ce gouvernement, car cela enlève des fonctionnaires chargés des enquêtes. « C’est bien joli de renforcer le maintien de l’ordre. Mais cela implique plus d’arrestations, de dossiers et d’enquêtes. Et les collègues en police judiciaire par exemple, me disent qu’ils sont débordés. Ils ont tous 200 ou 300 dossiers en cours ! Si on augmente les dossiers de 30 %, il faut aussi augmenter les effectifs chargés des enquêtes de 30 % ! »

Concernant le contrôle de la police, la création d’une instance parlementaire est vécue comme une dévalorisation de la profession, la négation de sa technicité, de la nécessité de qualification et de savoir faire. « Les policiers se disent qu’ils vont être contrôlés par des gens qui ne connaissent rien à la profession, explique Aurélie Laroussie comme si monsieur et madame Tout-le-monde étaient capables d’évaluer le travail d’un policier ». Seul bon côté reconnu à la mesure : battre en brèche le fantasme que la police n’est pas réellement sanctionnée en cas de dérapage, parce que contrôlée par des pairs.

Mais d’après la présidente des FFOC, la bonne solution serait une meilleure communication sur les mécanismes de contrôles et de sanctions. Pas de renforcer les contrôles de la profession la plus surveillée de la fonction publique. Surtout, c’est l’annonce de « transparence » des enquêtes en cours de l’IGPN qui inquiète. « Que veut-on dire par "transparence", interroge Christophe Girard. Va-t-elle aller jusqu’à donner les noms et prénoms ? Les collègues s‘inquiètent parce qu’on ne voit pas trop en quoi pourrait consister la transparence sur une enquête en cours ! »

Quant à la rallonge budgétaire, évidemment, tous les policiers l’approuvent, mais en émettant certaines réserves : « C’est une bonne chose, mais encore faut-il voir ce que l’on va en faire. On nous parle du renouvellement du parc automobile. Ça a commencé et c’est très bien. Mais parle-t-on de tout le parc automobile, ou seulement des voitures siglées parce qu’elles se voient ? Les collègues en civil, et je ne parle pas des BAC qui ont un traitement spécifique parce qu’ils bénéficient du budget anti terrorisme, travaillent aussi, et pour l’instant, ils se déplacent dans leurs veilles trapanelles ! Ce n’est pas avec quelques voitures neuves et une rénovation des commissariats qu’on va régler les problèmes. Certes il faut le faire, mais ce n’est pas grand chose, le problème est bien plus profond que ça ! »

En somme, la capellade du président a fait l'effet d'un pétard mouillé. On se demande quelles sont vraiment les priorités.

Le projet de loi "RPSI" prend le relais de la "sécurité globale"

En procédure accélérée depuis le 19 juillet, le projet de loi "responsabilité pénale et sécurité intérieure" a été adopté par l'Assemblée nationale le 23 septembre dernier, grâce aux votes de 34 députés seulement. Ce texte vient en partie prendre le relais de l'explosive loi "sécurité globale", notamment sur le sujet des captures d'images par les forces de l'ordre. Aussi, il est d'ores et déjà décrié, entre autres par les internautes et par l'association Amnesty International.

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