Chèque énergie : pourquoi le nouveau dispositif sera une usine à gaz

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 10 janvier 2018 - 15:54
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© PHILIPPE HUGUEN / AFP/Archives
Le chèque énergie risque d'être un dispositif complexe, et peu rémunérateur pour les intéressés.
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Le chèque énergie vient remplacer les anciens tarifs "sociaux" de l'énergie. Si le nouveau dispositif aura l'intérêt de cibler toutes les sources possibles, du fioul au bois de chauffage, il s'annonce à la fois complexe à mettre en oeuvre et pour un versement relativement modéré pour le public qui en aurait le plus besoin. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décortique pour "France-Soir" les failles du chèque énergie.

Dans la pyramide des besoins de Maslow chère aux économistes, l'accès à l'énergie (qui permet de disposer de la lumière électrique et du chauffage) est qualifié de primaire voire de vital. Ce point d'évidence doit être croisé avec une information capitale: entre 2003 et 2016 l'électricité a augmenté de près de 40% (source Eurostat sur le prix du kWh) du fait des taxes mais surtout du fait de la hausse des coûts de production de l'électricité d'origine nucléaire.

Or cette hausse ne va pas se ralentir avec les besoins financiers auxquels EDF doit faire face pour prolonger une partie de son parc (révision de grand carénage et augmentation de la durée de vie des centrales), pour financer sa diversification vers le solaire ou pour commencer le lourd financement (60 milliards a minima) du démantèlement des centrales placées en fin de vie. Pour adoucir l'impact de cette hausse des prix de l'énergie, il avait été instauré des tarifs sociaux sur le gaz (TSS: tarif spécial de solidarité) et l'électricité (TPN: tarif de première nécessité) qui concernaient 2,7 millions de ménages mais dont le montant restait assez modeste: 114 euros en moyenne.

Les deux tarifs sociaux précités étaient versés de façon forfaitaire en déduction partielle de la facture annuelle. Ils présentaient l'inconvénient de n'être ciblés que sur deux types d'énergie. A l'inverse, le chèque énergie –et c'est là sa première innovation– concernera tous types d'énergie de chauffage dont le fioul ou le bois. En revanche, rien n'est prévu pour moduler le montant du chèque énergie en fonction de l'efficacité thermique des logements. Que vous habitiez ce que l'on nomme "une passoire thermique" ou un logement correctement isolé ne sera pas pris en compte ce qui est incontestablement une limite du nouveau dispositif.

Lire: Chèque énergie en 2018: barème, plafond, montant, ce qu'il faut savoir

Concrètement, le chèque énergie sera attribué aux ménages modestes suivant un calcul assez complexe qui lie le revenu fiscal de référence (RFR) à la notion d'unité de consommation qui est fonction du nombre de personnes composant le foyer considéré. La première personne compte pour une unité, la deuxième pour une demie unité et la troisième pour 0,3 et ainsi de suite.

Pour fixer les ordres de grandeur, cela signifie que le chèque énergie sera attribué à un célibataire présentant un RFR inférieur à 7.700 euros, à un couple sans enfant ayant un RFR de moins de 11.550 euros et à un couple avec un enfant dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 13.860 euros. On touche ici une autre limite de ce dispositif qui n'est pas dégressif. En-dessous de 7.700 euros, on est éligible. A dix euros près au-dessus du seuil, on ne l'est plus… Financièrement, le chèque énergie va être d'un montant ajusté à la configuration du foyer et à sa situation fiscale: il pourra varier de 48 à 227 euros. Les projections réalisées par l'Etat indiquent que 69% des ménages éligibles percevront au moins 144 euros.

Prenant en considération le fait que les ménages dédient –en moyenne- pour les dépenses énergétiques de leur logement près de 1.700 euros par an, l'Etat a prévu de revaloriser le chèque énergie de 50 euros en 2019. Trois foyers éligibles sur quatre bénéficieraient alors d'un chèque de 200 euros en moyenne. Le ministère de la Transition écologique et solidaire a indiqué que "pour le recevoir, il faut donc faire sa déclaration de revenus même si on ne paye pas d'impôt". On imagine le télescopage entre cette obligation et le futur prélèvement à la source qui fait croire –bien à tort– à certains de nos concitoyens qu'il n'y aura plus de déclaration annuelle des revenus à établir.

Sur ce sujet: Prélèvement à la source: fiscalité "indolore" et fin de l’imposition par ménage, les vrais objectifs de la réforme

D'autre part, les remontées terrain des services sociaux rapportent que les plus démunis sont généralement mal armés pour effectuer l'exercice de la déclaration fiscale. Faute d'accompagnement décentralisé ponctuel, le chèque énergie pourrait manquer, ici ou là, sa cible. De plus, le chèque énergie adressé en principe au début du mois d'avril pourra permettre de financer (modestement) des travaux de rénovation à condition que ceux-ci soient réalisés par un artisan certifié RGE (Reconnu garant de l'environnement) et que les travaux relèvent effectivement d'une liste limitative.

Dernier point non négligeable en ces temps de disette budgétaire: le coût? Lors du débat portant sur le PLF 2018 (Projet de loi de finances), le député Julien Aubert (en sa qualité de rapporteur spécial à l'Assemblée nationale ) a souligné que 2,7 millions de foyers ont été bénéficiaires des tarifs sociaux. Chiffre à mettre en perspective avec les 4,7 millions d'ayants droit potentiels. Autrement dit, un coût de 800 millions d'euros est attaché aux projections du chèque énergie soit une enveloppe budgétaire bien supérieure aux coûts cumulés des anciens tarifs sociaux. L'Etat a donc, en perspective de recettes accrues sur la grande masse des clients notamment d'EDF, lâché du lest quitte à alourdir le coût d'une prestation à vocation sociale.

Sauf erreur, les tarifs spéciaux venaient en déduction de la facture de l'opérateur par décision publique alors que le chèque énergie s'impute sur le budget de l'Etat… ce qui ne représente pas le même type de responsabilité au quotidien.

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