Economiser sur les dépenses publiques de santé : une approche trop comptable ?

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François Ecalle, édité par la rédaction
Publié le 13 mars 2019 - 17:30
Mis à jour le 14 mars 2019 - 18:11
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Une association dénonce le non remboursement de soins des enfants handicapés
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© FRED DUFOUR / AFP
La réduction des dépenses de santé à court terme risque de masquer les efforts vraiment importants à long terme.
© FRED DUFOUR / AFP

Pour contenir les déficits de l'assurance maladie, la tentation de l'austérité comptable est permanente dans un pays où certaines dépenses n'apportent pas de contreparties suffisantes en termes de gain pour le système de santé. Mais cette approche reste peu efficace sur le long terme, occultant en outre des problèmes de fond. L'analyse pour France-Soir de François Ecalle, ancien rapporteur général de la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques et président de l'association "Finances publiques et économie" (Fipeco).

Pour redresser les comptes de l’assurance maladie, il arrive que les gouvernements mettent en œuvre, en suivant une logique purement comptable, des mesures d’économie à court terme (fermeture d’établissements de soins, déremboursement de médicaments…) qui limitent l’accès des malades aux soins nécessaires et qui ont des effets négatifs à long terme sur la santé de la population et donc sur les dépenses publiques d’assurance maladie.

Il n’y a cependant pas d’incompatibilité a priori entre le redressement comptable de l’assurance maladie à court terme et la santé à long terme. Par exemple, augmenter les taxes sur les tabacs et alcools affectées à la sécurité sociale permet d’améliorer ses comptes et incite les Français à modérer leur consommation de produits nuisibles pour leur santé à long terme.

S’agissant des dépenses publiques de santé, les comparaisons internationales montrent qu’elles pourraient être inférieures en France sans dégrader l’état de santé de la population. Il est en effet possible d’améliorer l’efficience du système de santé, de supprimer le remboursement de soins peu efficaces, d’augmenter globalement la participation financière des ménages aux dépenses de santé tout en la rendant plus juste et enfin de réduire les coûts de gestion de l’assurance maladie. Ces économies devraient être en partie mobilisées pour accroître les mesures de prévention, insuffisantes en France, mais ces réformes peuvent être contraires à l’intérêt de certaines personnes ou entreprises et il faut alors surmonter leur opposition.

> Les comparaisons internationales montrent que des dépenses publiques plus faibles sont compatibles avec le même état de santé de la population

La France est le troisième pays de l’OCDE pour le poids des dépenses de santé financées par des régimes publics ou obligatoires en pourcentage du PIB en 2017 (9,5 %). Or, les pays où ces dépenses sont les plus importantes ne sont pas toujours ceux où l’espérance de vie est la plus élevée. Parmi les grands pays, les dépenses publiques de santé au Japon et en Espagne sont plus faibles qu’en France, mais l’espérance de vie y est plus forte.

L’espérance de vie est certes une mesure partielle de l’état de santé d’une population, bien qu’elle soit fréquemment retenue, mais la même observation peut être faite en retenant d’autres critères. Si la France est parmi les meilleurs pays pour certains indicateurs, comme le taux de mortalité par maladie cardio-vasculaire, elle se distingue également par des taux élevés de mortalité périnatale et par suicide ou encore par une forte fréquence des maladies liées à la consommation de tabac ou d’alcool. Ce dernier exemple rappelle que l’Etat de santé de la population résulte de bien d’autres facteurs que les soins disponibles. En outre, l’espérance de vie en bonne santé situe la France seulement dans la moyenne européenne.

> Il est possible d’améliorer l’efficience du système de santé sans dégrader la qualité des soins

Les exemples de mauvaise coordination des soins entre les secteurs hospitalier et ambulatoire et à l’intérieur de chacun d’eux sont nombreux: les mêmes examens sont refaits plusieurs fois, faute d’un dossier médical personnel; les urgences hospitalières sont saturées par des recours qui devraient relever de la médecine de ville; il y a trop de lits pour les hospitalisations conventionnelles et pas assez de places de chirurgie ambulatoire etc. Renforcer cette coordination permettrait à la fois d’améliorer la qualité des soins et de réduire les dépenses.

Les nouvelles technologies permettent de réduire les coûts et d’améliorer la qualité de nombreux traitements. Les gains de productivité dans des activités telles que la biologie et l’imagerie médicale doivent permettre à la sécurité sociale d’obtenir des prix inférieurs pour les mêmes services.

Tant que les médicaments sont protégés par des brevets, les industriels sont en position de force face à l’assurance maladie et peuvent obtenir des prix élevés, ce qui est normal car ils doivent pouvoir financer leurs dépenses de recherche et développement. Lorsque les brevets sont tombés dans le domaine public, l’intérêt de l’assurance maladie est de stimuler la concurrence, notamment celle des génériques, pour faire baisser les prix. La place des génériques est toutefois encore trop faible en France par rapport aux grands pays voisins comme l’Allemagne et le Royaume-Uni.

> Il existe des produits insuffisamment efficaces qui pourraient ne pas être remboursés

L’expression "panier des soins remboursables" désigne l’ensemble des biens et services de santé qui donnent lieu à remboursement par la sécurité sociale. Cette liste devrait être régulièrement révisée car des produits anciens peuvent être remplacés par de nouveaux produits plus efficaces.

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Seuls devraient s’y trouver les médicaments dont la valeur ajoutée thérapeutique est suffisante, ce qui n’est pas toujours le cas. Le remboursement des cures thermales pourrait aussi être supprimé car le rapport entre leur utilité médicale et leur coût est particulièrement faible.

Enfin certains produits efficaces dans certaines situations peuvent être contre-productifs lorsqu’ils sont consommés à mauvais escients. C’est notamment le cas des antibiotiques que les Français consomment encore en quantités excessivement élevées.

> La participation financière des ménages pourrait être relevée en protégeant les plus modestes

La France est le pays de l’Union européenne où la part des ménages dans le financement des dépenses de santé est la plus faible. Ces dépenses étant très concentrées sur une petite partie de la population, augmenter les tickets modérateurs, forfaits et franchises pourrait néanmoins laisser à la charge de certains ménages des montants incompatibles avec leurs revenus.

Pour que les contraintes financières ne constituent pas un obstacle trop important à l’accès aux soins, des dispositifs d’exonération des tickets modérateurs et franchises, d’une grande complexité, ont été mis en place depuis très longtemps, comme celui qui concerne les affections de longue durée. Le "reste à charge" laissé aux ménages par la sécurité sociale, rapporté à leur revenu, reste néanmoins d’autant plus élevé que leur revenu est faible. Les assurances complémentaires amplifient cette inégalité d’accès aux soins car les primes sont indépendantes des revenus et, au total, les renoncements aux soins pour raison financière sont plus fréquents en France que dans les autres pays.

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Un "bouclier sanitaire" consisterait à garantir à chaque ménage que le reste à charge annuel laissé par la sécurité sociale ne dépasse pas un pourcentage supportable de son revenu, les dépenses de santé remboursables étant remboursées à 100 % au-delà. Les simulations réalisées par l’administration montrent que le plafond des restes à charge pourrait être de l’ordre de 4% du revenu en maintenant inchangé le montant des dépenses de la sécurité sociale. Ce serait plus juste, plus simple et moins coûteux à gérer que le système actuel.

> Les coûts de gestion de l’assurance maladie pourraient être réduits

Les frais de gestion de l’assurance maladie sont de 7,2 milliards d'euros pour la sécurité sociale et de 6,2 milliards d'euros pour les assurances complémentaires. Cette duplication des coûts de gestion, alors que la sécurité sociale et les complémentaires remboursent les mêmes frais, est inutile et inédite en Europe. Si un bouclier sanitaire était mis en place, les ménages auraient beaucoup moins intérêt à souscrire à une assurance complémentaire, ce qui obligerait ce secteur à se restructurer profondément et à réduire ses coûts.

> Les efforts de prévention devraient être augmentés

Dans son dernier panorama international des systèmes de santé, l’OCDE conclut que, si la population française bénéficie d’un état de santé meilleur que la moyenne des pays de cette organisation, certains facteurs de risque pour la santé restent particulièrement élevés. C’est notamment le cas de la consommation de tabac et d’alcool ou encore de la fréquence du surpoids chez les enfants. L’OCDE observe aussi que les taux de vaccination des enfants en France sont parfois parmi les plus faibles. Une partie des économies réalisées sur les autres dépenses pourrait donc être mobilisée pour renforcer les mesures de prévention.

> Les réformes nécessaires sont contraires aux intérêts de certaines personnes dont il faut surmonter l’opposition

Certains établissements de santé sont en sous-effectif manifeste, notamment dans les zones urbaines, alors que d’autres, plutôt en zone rurale, ont une activité insuffisante pour maintenir une qualité de soins minimale. Les restructurations hospitalières se heurtent cependant à deux principaux obstacles: la faible mobilité des agents publics et l’opposition des élus et de la population locale aux fermetures.

La répartition territoriale des médecins et des professions médicales est également déséquilibrée. Les pouvoirs publics ont toujours hésité entre les aides financières à l’installation dans les zones peu attractives, mais elles accroissent les dépenses publiques, et la limitation réglementaire des installations dans les zones plus attractives, mais elle se heurte à l’opposition de ces professions, en utilisant finalement assez peu ces deux instruments.

Le contrôle des prescriptions médicales par la sécurité sociale a souvent rencontré une opposition des médecins, rétifs aux contrôles, et les aides financières aux "bonnes pratiques" médicales sont souvent accordées en fonction d’objectifs trop faciles à atteindre.

Des considérations de politique de l’emploi et de politique industrielle ont souvent conduit à maintenir des produits dont l’utilité médicale est faible, mais qui sont fabriqués par des laboratoires français, sur la liste des médicaments remboursables. Les villes d’eaux ont toujours su éviter le déremboursement des cures thermales en mettant en avant la défense de l’emploi.

Enfin, la mise en place d’un "bouclier sanitaire" rendrait la souscription d’une assurance complémentaire moins intéressante et s’est toujours heurtée à l’opposition des mutuelles.

Retrouvez les analyses de François Ecalle sur le site de l'association "Finances publiques et économie" (FIPECO)

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