Face aux manifestations indépendantistes, les nouvelles "reculades" du gouvernement français

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FranceSoir
Publié le 16 mars 2022 - 21:47
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Gérald Darmanin, Gilles Simeoni et Marie-Antoinette Maupertuis
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PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP
Gérald Darmanin en visite en Corse
PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Le 2 mars dernier, le militant nationaliste Yvan Colonna était agressé par un codétenu écroué pour terrorisme. Depuis, la Corse fait face à de violents affrontements dans plusieurs grandes villes. 

Condamné à perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude Érignac, Yvan Colonna était détenu à la prison d’Arles (Bouches-du-Rhône).

Depuis son incarcération, il demandait à être placé dans un centre pénitentiaire corse. Une demande qui lui a toujours été refusée en raison de son statut de détenu particulièrement signalé (registre DPS) et des risques spécifiques que comporte l’incarcération dans l’île de ce détenu condamné pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste ».

Depuis son agression qui a ravivé le ressentiment des indépendantistes corses, l’Ile de beauté est en proie à une grande violence des militants nationalistes qui accusent l’État français de ne pas avoir su protéger le prisonnier.

Des tensions qui profitent aux nationalistes

Des manifestations ont lieu jour et nuit en Corse depuis deux semaines. Si elles se déroulent sans trop de heurts pendant la journée, les tensions sont toutefois plus palpables depuis que les lycéens se sont joints aux cortèges des manifestants pour dénoncer la responsabilité de l’État français dans la tentative d’assassinat d’Yvan Colonna.

Le 8 mars, les lycéens ont tenu un point presse devant le lycée Lætitia-Bonaparte pour faire connaître leurs revendications :

« Après la mobilisation initiée la semaine dernière par l’ensemble de la famille nationaliste, les syndicats étudiants et l’ensemble du peuple corse, nous ne pouvions pas, nous lycées corse, ne pas apporter notre soutien fraternel à Yvan Colonna, prisonnier politique incarcéré depuis 2003, et à sa famille » a déclaré l’un des six lycéens qui a pris la parole.

« La responsabilité de l'État est totale pour l'avoir laissé seul avec un radicalisé. Les surveillants n'ont pas regardé les caméras tout au long de sa tentative d'assassinat. De plus, l'État n'a fait aucune communication pour s'expliquer sur certains faits et envoie des centaines de militaires réprimer les Corses avec des armes de guerre utilisées à Corte, notamment des bombes assourdissantes qui ont déjà tuées à Notre-Dame-des-Landes » a dénoncé l’un des porte-parole des lycéens, appelant à la démission du ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti, ancien avocat d’Yvan Colonna.

D’après le rectorat, 23 des 47 lycées et collèges sont bloqués et la branche du syndicat « Éducation » du syndicat des travailleurs corses a appelé à la grève jusqu’au 31 mars.

À la nuit tombée, les affrontements se font plus violents entre les forces de l’ordre et les manifestants. Des résidences secondaires et des bâtiments publics sont incendiés par des manifestants qui n’hésitent plus à lancer des projectiles et des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre.

L’État français en passe de céder aux indépendantistes afin d’apaiser les tensions.

Face à cette situation pré-insurrectionnelle, Gilles Simeoni, président du conseil exécutif corse, loin d’appeler à l’apaisement, a au contraire encouragé la mobilisation.

Le 11 mars, dans un entretien accordé au Figaro, Gilles Simeoni n’a pas hésité à poser ses conditions.

« L’apaisement ne peut procéder que de gestes politiques forts, publics et rapides. Un processus politique doit être ouvert au plus haut niveau de l’État » a-t-il encore déclaré.

Face à ces revendications, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé lundi 13 mars qu’il se rendrait en Corse pour « ouvrir » un « cycle de discussion » avec « l’ensemble des élus et des forces vives de l’île ».

Le 15 mars, dans un entretien exclusif donné à Corse Matin, le locataire de Beauvau déclarait : « Nous sommes prêts à aller jusqu’à l’autonomie », sans préciser pour autant tout ce que ce terme d’autonomie pouvait recouvrir. Un processus serait « logiquement engagé pendant le second mandat d’Emmanuel Macron », à condition que le président soit réélu. 

Voir aussi : Corse: Darmanin "prêt à aller jusqu'à l'autonomie" de l'île

Des annonces qui n’ont pas satisfait tout le monde puisque l’ancien président de l’assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni a déjà prévenu que « Darmanin ne doit pas venir avec l’idée de calmer les Corses le temps de la présidentielle ».

Le ministre de l'Intérieur doit également rencontrer les forces de l’ordre qui, malgré leur droit de réserve, n’ont pas hésité à faire connaître leur désaccord avec l’État. N’hésitant pas à parler de « reculade », les policiers ont dénoncé l’ultimatum du Syndicat des travailleurs corses, qui le 4 mars dernier a empêché un bateau chargé de matériel destiné aux forces de l’ordre d’accoster à Ajaccio.

Un gouvernement sous le feu des critiques 

Les promesses du ministre de l’Intérieur ont suscité de vives réactions au sein de la classe politique, notamment de la part des candidats à l’élection présidentielle. De Valérie Pécresse à Yannick Jadot en passant par Marine Le Pen, tous ont critiqué le gouvernement et le président pour sa gestion du dossier corse.

Interviewée par Léa Salamé sur France Inter, Valérie Pécresse dénonce un président « aux abois » et estime qu’il faut « ramener l’ordre en Corse avant d’entamer les négociations ». Favorable à l’autonomie, la candidate LR a cependant mis en garde contre le « démantèlement de la République » appelant à obtenir « un donnant-donnant de la part de la Corse, l’autonomie contre des résultats », notamment en matière de création d’emplois.

De son côté Yannick Jadot s’est prononcé pour « une autonomie de plein droit » pour l’île de Beauté, regrettant qu’il faille attendre un drame pour trouver des solutions.

Opposée à l’autonomie de la Corse, Marine Le Pen a vivement critiqué les initiatives de l'exécutif : « Passer de l'assassinat d'un préfet à la promesse d'autonomie, peut-il exister un message plus catastrophique ? Je refuse que le clientélisme cynique d'Emmanuel Macron brise l'intégrité du territoire français : la Corse doit rester française ».

Dans un entretien donné au Monde en 2018, Jean-Pierre Chevènement n’avait pas hésité à dénoncer « quatre décennies de reculade de la droite et de la gauche » tandis que les gouvernements successifs n’avaient pas su contrer les demandes toujours plus grandes des indépendantistes corses, cédant à toutes les "tendances sécessionnistes" des minorités nationalistes. 

Dans la droite ligne de ses prédécesseurs, loin de dénoncer l'essor du mouvement autonomiste, le gouvernement français semble une nouvelle fois céder aux injonctions des indépendantistes. Si la voix vers l'autonomie était engagée, ce sont les fondements de l'ordre républicain, tel qu'ils ont été bâtis depuis plus de deux siècles, qui pourraient se trouver ébranlés. 

Loin de s'inquiéter de cet engagement vers l'autonomie de la Corse, Michel Maffesoli, dans une tribune publiée dans le Figaro, voit les manifestations nocturnes sur l'île de Beauté le signe d'une révolte "contre la verticalité d'un pouvoir surplombant". Guère surpris de ces soulèvements qui viennent immédiatement après "une crise sanitaire interdisant tout rassemblement" dans une région où "les solidarités familiales" sont très importantes, le sociologue constate la fin "d'un État central qui impose sa norme à tous les citoyens".

Voir aussi :
"Une époque s'achève, une autre est en gestation" Michel Maffesoli
En Corse, Darmanin tente l'apaisement avec la carte de l'autonomie

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