Grand remplacement et Kosovo : le fantasme de Zemmour et Marion Maréchal

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Maxime Macé
Publié le 19 juin 2019 - 18:04
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Eric Zemmour lors d'un débat sur l'Europe à Paris, le 25 avril 2019
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© Lionel BONAVENTURE / AFP/Archives
Les Serbes du Kosovo, bien que discriminés, n'ont pas été victime d'un Grand remplacement contrairement à ce qu'affirme Eric Zemmour.
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C'est une petite musique qui a commencé à être jouée au début du mois du juin: la France ne doit pas devenir le Kosovo. Eric Zemmour et Marion Maréchal, notamment, ont pris en exemple ce pays pour illustrer le remplacement de population dans un Etat, phénomène qui menacerait selon eux la France. La réalité est toutefois bien différente. 

C'est la nouvelle marotte de l'extrême droite: comparer la situation du Kosovo avec celle de la France pour mettre en garde contre les dangers du "Grand remplacement". Soit, la prétendue substitution des populations blanches européennes et chrétiennes par des immigrés de couleur, majoritairement musulmans. 

Et pour porter cette comparaison bancale, rien de moins que les deux poids lourds de l'extrême droite hors Rassemblement national du moment: Eric Zemmour et Marion Maréchal.

Invité sur LCI pour un débat avec Michel Szafran le 3 juin dernier, l'écrivain identitaire Eric Zemmour a comparé la situation du Kosovo à celle de la Seine-Saint-Denis pour démontrer ainsi le Grand remplacement qui serait prétenduement à l'œuvre dans ce département français. "En 1900, il y avait 90% des Serbes et 10% de musulmans au Kosovo. En 1990, il y avait 90% de musulmans et 10% de Serbes, il y a eu la guerre et l'indépendance du Kosovo", a expliqué Eric Zemmour, attisant la peur d'un affrontement armé au sein même du territoire français.

Le 17 juin dernier, c'est au tour de Marion Maréchal, sur TV Liberté (web-télévision d'extrême droite), de reprendre à son compte l'exemple du Kosovo. "Gérard Collomb a annoncé lors de son départ (du ministère de l'Intérieur, NDLR), avec des mots choisis, l'arrivée de la guerre civile (…). Je ne veux pas que ma France devienne le Kosovo", a expliqué la directrice de l'ISSEP. Et d'ajouter: "c'est vrai qu'aujourd'hui l'accumulation des phénomènes, et particulièrement le phénomène démographique, nous menace et voit cette menace apparaitre de plus en plus clairement".

La France serait donc en voie de voir sa population remplacée par des personnes de confession musulmane comme ce fut le cas au Kosovo? Pour Loïc Trégourès, chargé d'enseignement en science politique à l'institut catholique de Paris, si la comparaison ne tient pas c'est d'abord parce que la théorie du Grand remplacement est un fantasme.

"Ce n'est pas un hasard si les deux figures de proue (Eric Zemmour et Marion Maréchal, NDLR) du mouvement politico-intellectuel fondé sur la guerre des civilisations et le Grand remplacement viennent parler du Kosovo", explique ainsi Loïc Trégourès. En effet, la problématique kosovare comme elle est pensée par l'extrême droite regroupe des thématiques qui lui sont chères: le conflit de civilisation basé sur la religion, le remplacement fantasmé de la population.

"Sur le temps long, les populations migrent. La thèse même du Grand remplacement présuppose un moment zéro de «pureté de la race» dans un pays donné. Sur le plan historique et géographique c'est une hérésie", souligne ce spécialiste des Balkans.

 

D'autant que les chiffres avancés par Eric Zemmour sont farfelus. Ainsi dans Kosovo, année zéro, Jean-Arnault Dérens précise que le processus d'islamisation du Kosovo a véritablement débuté au 18e siècle après les grands mouvements de populations serbes au cours du siècle précédant dus aux conflits austro-ottomans (notamment la grande Migration serbe de 1690). Par ailleurs, on apprend dans cet ouvrage que les Albanais sont déjà majoritaires au Kosovo au début du 20e siècle.

"C'est vrai que sur le temps long, la population a évolué au Kosovo. Si vous vous placez du côté de l'historiographie albanaise, on va vous dire que les Slaves sont arrivés au 7e siècle alors que les Albanais sont les descendants des Illyriens qui étaient déjà sur place", souligne Loïc Trégourès. Et d'ajouter: "Dans le même temps, il y a effectivement des églises orthodoxes qui datent du 14 sièclee au Kosovo et la toponymie des villages dans la région est clairement slave. Personne n'a jamais mis ça en doute".

"Le problème du Grand remplacement c'est d'envisager qu'il y a eu un plan sciemment établi, étalé sur plus de trois siècles pour coloniser un espace qui était à l'origine chrétien orthodoxe serbe. C'est intenable", conclut le chercheur. Il souligne toutefois qu'il ne faut en aucun cas minimiser les souffrances des Serbes du Kosovo et notamment ceux qui vivent dans les enclaves, mais simplement préciser que ceux-ci n'ont pas été "remplacés". 

La "passion" pour l'ex-Yougoslavie des membres de la droite radicale française n'est pas nouvelle et s'inscrit parfaitement dans le concept du conflit de civilisation, vu à travers le prisme de la religion. "Le narratif des Serbes durant les conflits des années 90 a été de dire «nous faisons la guerre en Bosnie pour éviter que le pays devienne un hub islamiste en Europe». Il y a eu effectivement des combattants djihadistes qui sont partis se battre en Bosnie mais on en exagère la portée", explique Loïc Trégourès. C'est justement ce narratif qui est repris par Eric Zemmour et Marion Maréchal quand ils dénoncent "l'islamisation" de la Seine-Saint-Denis, qui serait un poste avancée de l'islam radicale en France. Par ailleurs, les Albanais du Kosovo ne pratiquent pas "le même islam qu'en Arabie saoudite ou encore au Maghreb, ni même celui qui est pratiqué dans nos banlieues". 

Enfin, le Kosovo est également un reflet de la politique étrangère de Vladimir Poutine, leader cher aux identitaires en France comme en Europe. "Le Kosovo est revenu dans le narratif russe après l'invasion de la Crimée. Certes la Russie avait assez mal digéré l'indépendance du Kosovo mais la société s'était éloignée de la question jusqu'au conflit ukrainien. Globalement l'argument russe est dire aux Occidentaux: «vous nous reprochez le conflit en Géorgie et l'annexion de la Crimée mais c'est vous qui avez commencé avec le Kosovo. Vous avez rompu l'équilibre des institutions internationales en premier»", explique Loïc Trégourès. Dénoncer le changement de population au Kosovo et en faire une des causes supposés du conflit et de l'indépendance comme le fait Zemmour revient à dénoncer la politique américaine, notamment celle de Bill Clinton, et à adopter une posture anti-impérialiste tout en flattant Moscou (ce qui n'est d'ailleurs pas l'apanage de l'extrême droite).

Enfin, fustiger la population albanaise du Kovoso, au prétexte de prendre la défense de la minorité serbe sur place, permet également à ces leaders d'extrême droite de jeter des regards enamourés vers Belgrade et plus généralement l'Europe de l'Est. "Les membres de l'extrême droite française regardent toujours à l'Est de l'Europe car la nation y est arrivée avant l'Etat. Le nationalisme est un nationalisme ethnique, alors qu'en France il est civique. Citoyenneté et nationalité sont deux notions qui sont découplés à l'Est de l'Europe, pour les personnalités d'extrême droite c'est cette vision-là qui compte", analyse Loïc Trégourès.

Eric Zemmour et Marion Maréchal sont tous deux pressentis pour se présenter à l'élection présidentielle. Le parallèle fait avec le Kosovo, vu comme un état corrompu, sous-développé et ségrégant les non-musulmans, s'inscrit parfaitement dans une ligne identitaire et islamophobe que pourrait porter l'un des deux en 2022.

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