Propositions de loi contre la chasse à courre : quelles avancées ?

Auteur(s)
Marion Renson-Bourgine, édité par la rédaction.
Publié le 14 février 2018 - 13:28
Mis à jour le 15 février 2018 - 17:43
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Des chasseurs avec leurs chiens.
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©Alain Jocard/AFP
Une proposition de loi relative à l'interdiction de la chasse à courre a été déposée le 6 février dernier, deux mois après celle de Laurence Rossignol.
©Alain Jocard/AFP
Le 6 février dernier, une proposition de loi relative à l'interdiction de la chasse à courre a été déposée à l'initiative de l'Insoumis Bastien Lachaud, un texte co-signé par de nombreux députés des groupes LR, PCF, LFI, LREM et MoDem. Pour "France-Soir", Marion Renson-Bourgine, juriste spécialisée dans le droit animalier, revient sur les avancées de ces dernières années pour interdire une pratique jugée "barbare".

"La chasse à courre, à cor et à cri est une pratique nobiliaire, oligarchique et barbare, digne d’un autre âge. Elle doit être interdite dans notre pays, comme la Grande Révolution de 1789 l’avait déjà fait"[1]: tels sont les premiers mots de l’exposé des motifs de la proposition de loi relative à l’interdiction de la chasse à courre rédigée par Bastien Lachaud, député de la France insoumise. Co-signée par de nombreux députés des groupes LR, PCF, LFI, LREM et MoDem, elle est la seconde proposition de loi qui vient d’être déposée à l’Assemblée nationale, deux mois après celle de Laurence Rossignol[2].

Elles marquent la réelle volonté d’une partie de la classe politique de mettre fin à cette pratique qualifiée de "cruelle", "barbare" ou "sauvage"[3]. Si à l’issue du processus législatif auquel sont soumises ces propositions, aucune n’aboutit, cela laisserait dans l’incompréhension une partie de la population et soulèverait des interrogations et critiques. D’autant plus qu'elles ont pu être précédées, il y a quelques années, par d’autres: une déposée en 2005 par quinze députés de l’UMP et une autre en 2013 par les députés du groupe écologiste.

Le combat contre cette pratique est même plus ancien mais a des difficultés à aboutir[4]. Certains Etats voisins ont procédé à l’interdiction de la chasse à courre comme l'Allemagne il y a environ 50 ans, la Belgique en 1995, l'Ecosse en 2002, l'Angleterre[5] et le Pays de Galles en 2005[6]. Nicolas Hulot parle de "pratique d’une autre époque", la France étant l'un des derniers bastions européens autorisant la chasse à courre[7].

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En outre, depuis l’amendement Glavany[8], un pas supplémentaire et marquant vers la protection des animaux a été fait en reconnaissant ces derniers d’êtres vivants doués de sensibilité[9] dans le code civil[10]. Par conséquent, l’interdiction de la chasse à courre présente toute la légitimité à être consacrée au sein du code de l’environnement, comme le prévoient les propositions récentes.

En effet, lesdites propositions suggèrent des modifications textuelles au sein du code de l’environnement et précisément à l’article L.424-4[11] en invoquant tout d’abord la suppression des mots: "soit à courre, à cor et à cri", énoncés à l’alinéa premier. Ensuite, un nouvel alinéa serait ajouté: "A compter du 1er juin 2018, il n'est plus délivré aucune attestation de meute destinée à l'exercice de la chasse à courre, à cor et à cri". Enfin, en cas de non-respect de ces dispositions, la pratique de la chasse à courre, à cor et à cri serait punie d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende. Les deux propositions s’accordent sur ces points.

A la lecture des motifs, il convient de relever les deux points essentiels justifiant cette interdiction: la protection de l’ordre public et la protection des animaux. L’actualité est chaque année de plus en plus dense révélant l’atrocité de cette pratique à laquelle la population reste de moins en moins insensible. La proposition "Rossignol" démarre en soulignant ces conflits: "Chaque année, la pratique de la chasse à courre donne lieu à des conflits d'usage et à des tensions avec les riverains chez lesquels les grands animaux viennent se réfugier"[12].

De plus, l’absence d’utilité sociale a pu être soulignée qualifiant la pratique de "barbare" qui consiste à "poursuivre à cheval l’animal jusqu’à ce qu’il s’épuise afin de l’achever à l’arme blanche, si les chiens ne l’ont pas déjà déchiqueté"[13]. Ces animaux chassés souffrent de façon injustifiée: "Les examens biochimiques effectués sur des échantillons de muscle et de sang de cerfs victimes sont caractéristiques d’un grand stress et de souffrances spécifiques"[14].

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D’autres éléments ont pu être soulignés comme le rejet de l’argument fondé sur la régulation des espèces. En effet, cette pratique "porte atteinte aux populations de cervidés, car la recherche du beau trophée conduit à chasser les meilleurs reproducteurs potentiels". "Elle est de surcroît particulièrement néfaste au moment du brame (cri de rut du cerf et du daim, NDLR) et perturbe gravement l'équilibre de la forêt: sonneries de trompes, allées et venues des équipages, des chiens, des véhicules"[15]. Aucune justification légitimant cette pratique ne peut être valable, la nécessité écologique ne pouvant donc être accueillie.

Le combat pour l’interdiction de la chasse à courre est bien engagé. Il convient à ce propos de souligner le rôle accru et important de l’association AVA. Cette dernière est à l’origine des vidéos[16] circulant sur les réseaux sociaux dénonçant les souffrances infligées aux cervidés touchés, comme le cerf noyé dans l’Aisne, ou celui abattu dans un jardin à la Croix Saint-Ouen (pour n’en citer que certains), et qualifiant cette pratique de "vénerie"[17] . Encore récemment, le 3 février dernier, un cerf s’est réfugié en ville à Pont-Sainte-Maxence et toute une équipe (AVA, riverains, maire, pompiers, gendarmes, vétérinaire, etc.) s’est mobilisée pour le sauver[18]. Le maire Arnaud Dumontier envisage d'ailleurs de porter plainte. Désormais, la fréquence de ces accidents n'est plus passée sous silence. La souffrance de ces cervidés a révélé la brutalité de la chasse à courre que nul ne peut ignorer, y compris le droit.

La cruauté de cette pratique a été mise en cause par Montaigne, au XVIe siècle: "De moi, je n’ai su voir seulement sans déplaisir poursuivre et tuer une bête innocente qui est sans défense et de qui nous ne recevons aucune offense, et comme il advient communément que le cerf, se sentant hors d’haleine et de force, n’ayant plus aucun remède, se rejette et se rend à nous-même qui le poursuivons, nous demandant merci, par ses larmes, ce m’a toujours semblé un spectacle très déplaisant" (De la cruauté, Essais, II, 11). Ces mots raisonneront-ils dans l’esprit du législateur?


[3]V. par ex. Marc CLUET, Histoire des cultures et des civilisations, "Goethe et la chasse", Revue Semestrielle de Droit Animalier 1/2015, p. 271 et s.,http://www.unilim.fr/omij/files/2016/01/RSDA-1-2015.pdf

[4]Elisabeth HARDOUIN-FUGIER, "Evaluer l’impact des messages animalistes ou jeter une Bouteille à la mer", Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2013, p. 323 et s., http://www.unilim.fr/omij/files/2014/03/RSDA-2-2013.pdf

[5]V. Allison FIORENTINO, Droits étrangers, "La chasse en droit britannique et américain: approche historique et droit positif", Revue Semestrielle de Droit Animalier 1/2015, p. 403 et s.,http://www.unilim.fr/omij/files/2016/01/RSDA-1-2015.pdf

[6]Pour une comparaison saisissante entre ces Etats et la France: V. Jean-Pierre MARGUÉNAUD, "Chassé-croisé européen à propos de l’abolition de la chasse à courre en Grande-Bretagne et de l’instauration d’une contravention l’obstruction à un acte de chasse en France", Revue Semestrielle de Droit Animalier 1/2010, p. 31 et s.,http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/60_RSDA_1-2010.pdf

[7]Patricia HENNION-JACQUET, "La nécessité de tuer un animal: une notion polysémique au service de l’homme", Revue Semestrielle de Droit Animalier 1/2011, p. 24, http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/96_RSDA_1-20111.pdf

[9]Jean-Pierre MARGUÉNAUD, "L'entrée en vigueur de l'amendement Glavany: un grand pas de plus vers la personnalité juridique des animaux", Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2014, p. 15 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2015/04/RSDA-2-2014.pdf

[14]Repris des deux propositions de loi (Rossignol et Lachaud).

[17]La vénerie se définit comme un mode de chasse ancestral qui consiste à poursuivre un animal sauvage (traditionnellement cerf, sanglier, chevreuil, renard ou lièvre) avec une meute de chiens, servis par des veneurs se déplaçant soit à pied, soit à cheval. Elle comprend, d’une part, la chasse à courre, à cor et à cri, et, d’autre part, la chasse sous terre qui consiste à capturer par déterrage un animal acculé dans son terrier par les chiens qui y ont été introduits ou à l’y faire capturer par les chiens eux-mêmes. (V. Arrêté du 17 février 2014 modifiant l'arrêté du 18 mars 1982 relatif à l'exercice de la vénerie (JORF n°43 du 20 février 2014 page 2978) //http://ava-picardie.org/

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