"Que les jeunes deviennent des architectes de leur vie" : entretien exclusif avec Karim Bouamrane, nouveau maire de Saint-Ouen

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Sandra Franrenet, journaliste pour FranceSoir
Publié le 07 décembre 2020 - 19:06
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Karim Bouamrane
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Karim Bouamrane, élu maire de Saint-Ouen le 28 juin dernier.
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Karim Bouamrane, 47 ans, est le nouveau maire de Saint-Ouen (93) et le vice-président de la Métropole du Grand-Paris. Le parcours de cet élu PS, issu d’une famille d’ouvriers, illustre l’ascenseur social que la France peine aujourd'hui à dégripper.

Karim Bouamrane, à quoi attribuez-vous votre victoire aux dernières municipales ?

Saint-Ouen est une des seules villes de plus de 50 000 habitants à avoir été prise par une équipe PS/EELV/citoyenne “100% du cru”, sans avoir bénéficié d’un mandat précédent. Nous devons notre victoire à notre esprit rassembleur.  Nous avons réussi à réunir tout le monde, des nouveaux arrivants jusqu’aux Audoniens (habitants de St Ouen, ndlr) vivant dans les cités depuis des années, à travers les valeurs qui font la singularité de notre commune : bienveillance, solidarité, fraternité, générosité et attachement au territoire.

A Saint-Ouen, le prix du mètre carré est en train d’exploser, comme partout en banlieue limitrophe. Quel regard portez-vous sur la "gentrification" de votre commune ?

Dès le début, nous avons exclu de notre vocabulaire le mot “bobo” car les Parisiens qui emménagent à Saint-Ouen ont tous un lien direct ou indirect avec la réussite républicaine que nous défendons. Les cadres dans la banque, les architectes,... qui arrivent sur notre territoire sont généralement issus des classes populaires.

Cet attachement à la réussite républicaine n’empêche pas la hausse des prix ! Saint-Ouen est-elle en train de devenir le nouveau Montreuil ?

Le prix du mètre carré s’est davantage nivelé qu’il n’a augmenté. La précédente municipalité pratiquait une politique de préemption qui consistait à faire croire que le prix du Mmètre carré était plafonné. Alors bien sûr, on ne peut pas nier une augmentation, car il y a eu plus de demande que d’offre, avec l’arrivée des Parisiens ; mais Saint-Ouen garde son identité : celle d’une commune mitoyenne avec cinq portes de Paris et le 92, où passe  la Seine, et qui se situe à 15 minutes de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Les Jeux Olympiques vont avoir lieu chez nous, la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure ) va bientôt emménager, de même qu’un grand hôpital. C’est une ville unique ! Nous avons gagné avec la vision de la ville du progrès partagé.

La configuration de Saint-Ouen est donc vouée à changer ?

Oui bien sûr. C’est une ville qui va rayonner par son activité sportive, culturelle, intellectuelle. Mais nous avons à cœur de démocratiser l’excellence et d’offrir à tous les habitants de Saint-Ouen un sentiment de sécurité. Nous visons en outre le même niveau de qualité de vie pour ceux qui viennent des quartiers populaires et ceux qui viennent d’acheter. Cela passe bien sûr par la rénovation de la ville.

Quelles seront vos actions pour que les “petits budgets” puissent continuer de se loger ?

Il existe plusieurs leviers. Concernant les habitants des quartiers populaires dont les immeubles font l’objet de rénovation, nous veillons à ce qu’ils soient relogés dans la même zone, afin qu’ils ne soient pas chassés. Concernant les constructions, nous sommes en train de travailler sur une "charte promoteur" qui stipulera que “x%” des logements neufs seront réservés aux jeunes Audoniens qui travaillent, à un prix inférieur à celui du marché. Nous allons par ailleurs développer l’accès à la propriété via une partie de notre parc social.

Revenons sur la sécurité. Depuis votre élection, vous avez été confronté à deux règlements de compte sanglants liés à des trafics de drogue. Comment remédier à ces problèmes qui pourrissent la vie des habitants des quartiers populaires ?

Au fil des années, le trafic de drogue s’est enkysté dans les quartiers caractérisés par la pauvreté, la désertification des services publics, le délabrement des logements et la proximité avec Paris. Saint-Ouen en soi n’a pas de problème de sécurité mais il existe un sentiment d’insécurité dû à la prégnance du "business" et à l’appropriation de l’espace public par les dealers. Lorsqu’on fait face à des crises systémiques pour des guerres de territoire, il y a des morts… Pour endiguer ce fléau, il faut miser sur l’humain avec la présence de la police nationale et municipale. Nous avons en outre lancé la brigade du respect et du civisme. Il s’agit d’agents qui véhiculent des messages dans les quartiers populaires pour que les habitants arrêtent par exemple de se garer en double file ou de balancer leurs ordures n’importe où. Nous misons aussi sur la prévention afin d’éviter à toute une génération de sortir du radar. Il existe des signaux qui doivent nous alerter : explosion de la famille, incarcération, violences conjugales,... Nous travaillons donc en réseau : les familles, l’école, les associations,... Nous voulons que nos jeunes aient de vrais modèles, qu’ils deviennent des architectes de leur vie. Cela suppose de l’excellence.

Vous êtes l’un des rares maires d’origine maghrébine , autrement dit issu de la “diversité”. Vous avez en outre grandi dans une cité de Saint-Ouen. Êtes-vous un modèle pour les jeunes des quartiers populaires ?

Je ne sais pas si je suis un modèle et je ne me positionne pas comme tel. Je souhaite juste montrer qu’il est possible de briser le plafond de verre ; on peut venir des cités comme c’était mon cas, et devenir maire d’une commune de 55.000 habitants. Mon père était ouvrier, je suis un pur produit de l’école républicaine. J’ai pu gravir les échelons de l’échelle sociale grâce à ce que m’a donné la République. C’est cela que j’ai envie de transmettre.

Souhaitez-vous développer la discrimination positive pour relancer l’ascenceur social en panne depuis trop d’années ?

Je n’aime pas cet oxymore ! Je souhaite juste démocratiser l’excellence en mettant en place des passerelles avec les grandes écoles, ou encore en globalisant les stages pour les élèves de 3ème. J’ai envie que les mômes puissent se projeter ! Faire un stage dans un kebab, ce n’est pas la même chose que de le faire chez Alstom...

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