Etats-Unis : une défiance politique plus que scientifique ? Le conflit au cœur du NIH

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Le Collectif Citoyen, France-Soir
Publié le 10 juin 2025 - 06:30
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Etats-Unis : une défiance politique plus que scientifique ? Le conflit au cœur du NIH
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Le 9 juin 2025, le National Institutes of Health (NIH) est secoué par une crise majeure : plus de 300 employés publient la « Déclaration de Bethesda », dénonçant une politisation de la science sous l’administration Trump, tandis que le Dr Jay Bhattacharya, directeur du NIH, défend des réformes pour restaurer transparence et santé publique. Selon un article de l’Associated Press (AP) publié ce jour-là, des "dizaines de chercheurs et de membres du personnel des National Institutes of Health ont envoyé à leur directeur nommé par Trump une déclaration critiquant les coupes budgétaires importantes de Trump dans la recherche en santé publique». Alignées sur le mouvement « Make America Healthy Again »(MAHA), ces réformes promettent une science rigoureuse, mais suscitent des accusations de mainmise idéologique. S’agit-il d’une défiance politique plus que scientifique ? Les deux camps, exploitant une crise de confiance, seraient-ils les deux faces d’une même pièce luttant pour l’avenir de la recherche biomédicale ?
 
La déclaration de Bethesda : une rébellion interne

La « Déclaration de Bethesda » porte le nom du siège du NIH à Bethesda, Maryland. Signée par plus de 300 employés, dont près de 100 osent apposer leur nom malgré des craintes de représailles, elle dénonce les politiques de l’administration Trump, accusées de compromettre la mission du NIH : « rechercher des connaissances fondamentales sur la nature et le comportement des systèmes vivants pour améliorer la santé, prolonger la vie et réduire les maladies. » 

Declaration de Bethseda

 

Les griefs sont précis : la résiliation abrupte de 2 100 subventions de recherche, soit 9,5 milliards de dollars, depuis le 20 janvier 2025, une proposition de couper le budget du NIH de 40 % (de 48 milliards de dollars annuels à une somme bien moindre), et un taux forfaitaire de 15 % pour les coûts indirects, menaçant le financement des laboratoires, des équipements et des études sur le COVID-19, le changement climatique ou les disparités en santé.

S’inspirant de la « Déclaration de Great Barrington » de 2020, co-rédigée par Bhattacharya avec les Drs Martin Kulldorff et Sunetra Gupta, les employés ironisent : « Nous espérons que vous accueillerez favorablement ce dissentiment, que nous avons modelé sur votre Déclaration. » Ce texte de 2020 prônait une « protection focalisée » face à la pandémie, protégeant les vulnérables tout en laissant les autres reprendre une vie normale pour atteindre l’immunité collective. Critiqué comme « immorale » par le directeur de l’OMS, il avait valu à Bhattacharya des accusations de censure par les agences scientifiques. Les signataires rappellent à Bhattacharya sa promesse, lors de son audience de confirmation en mars 2025, de défendre le dissentiment, « l’essence même de la science », et exigent un retour à un processus d’attribution des subventions par des experts via un examen par les pairs.

Maryanne Demasi, journaliste scientifique, souligne l’ampleur de la fronde : des employés, dans des courriels internes, décrivent un « climat de peur et d’anxiété » au NIH, où la liberté de parole est étouffée. Certains craignent des licenciements ou des pressions pour se conformer aux nouvelles priorités. Une seconde lettre, signée par des dizaines de scientifiques extérieurs, dont plus de 12 lauréats du Nobel, appuie la Déclaration, dénonçant une « érosion de la mission scientifique » et un risque pour la position des États-Unis comme leader en recherche biomédicale.

 
La réponse de Bhattacharya et les réformes de l’administration

Le Dr Jay Bhattacharya, nommé directeur du NIH par Trump, répond le 9 juin 2025. Il qualifie la Déclaration de Bethesda de « malentendu » sur les réformes, affirmant : « Le dissentiment respectueux en science est productif. Nous voulons tous que le NIH réussisse. » Il insiste sur la collaboration internationale et la nécessité de recentrer la recherche sur des priorités « impactantes ». Un porte-parole du Département de la Santé et des Services sociaux (HHS) défend les coupes, visant à « éliminer l’influence idéologique » et à promouvoir une science « rigoureuse ».

Voici les grandes lignes de sa position : 

  • Bhattacharya reconnaît le droit au dissentiment tout en contestant les interprétations des employés. : « nous voulons tous que le @NIH réussisse et je crois que le dissentiment en science est productif. Cependant, la Déclaration de Bethesda repose sur des malentendus fondamentaux concernant les orientations politiques récentes du NIH. »
  • Il défend les coupes comme un moyen d’éliminer les biais idéologiques : « nous travaillons à éliminer l’influence idéologique de la science. Le financement du NIH doit se baser sur des hypothèses prouvables et testables, pas sur des narrations idéologiques. Les projets qui ne répondent pas à ce critère sont arrêtés pour nous concentrer sur une recherche rigoureuse et impactante. »
  • Il justifie les restrictions sur les collaborations internationales par des considérations de transparence. : « le NIH n’a pas stoppé les collaborations internationales légitimes. Nous veillons simplement à assurer une responsabilité, un devoir de base lorsque l’on dépense l’argent des contribuables avec sagesse. Nous devons savoir qui fait la recherche. »
  • Il nie une atteinte à l’examen par les pairs, promettant plus de transparence : « les affirmations selon lesquelles le NIH compromet l’examen par les pairs sont mal comprises. Nous élargissons l’accès à la publication tout en renforçant la transparence, la rigueur et la reproductibilité dans la recherche financée par le NIH. »
  • Il annonce des révisions et des réintégrations, tout en insistant sur une gestion prudente : « enfin, nous examinons chaque cas de résiliation avec soin et certains individus ont déjà été réintégrés. À mesure que les priorités du NIH évoluent, notre personnel doit s’adapter pour rester focalisé sur la mission et gérer les fonds publics de manière responsable ».

Ces posts reflètent une tentative de désamorcer les critiques, mais n’ont pas apaisé les tensions. En mai 2025, des employés quittent une réunion interne en protestation, dénonçant un climat de peur. Des vigiles hebdomadaires à Bethesda commémorent « les vies et les connaissances perdues ». Demasi rapporte des propos anonymes : « Nous nous sentons trahis. Il prêche la liberté académique, mais nos voix sont réduites au silence. »

Les décrets de Trump, rapportés par France-Soir comme « une nouvelle ère pour la science américaine », s’alignent sur le MAHA, promu par des figures comme Robert F. Kennedy Jr. Le décret pour « restaurer le gold standard en science » priorise les maladies chroniques, la transparence, la reproductibilité et l’innovation. La FDA, quant à elle, adopte une « nouvelle approche réglementaire » pour les vaccins, visant la sécurité et l’efficacité pour restaurer la confiance. Le rapport du sénateur Ron Johnson, dénonçant l’opacité et la corruption dans la gestion de la pandémie, renforce ces réformes, faisant écho aux critiques de Bhattacharya sur la censure passée.

 
Une lutte pour la transparence ou une politisation ?
L’administration Trump et le MAHA revendiquent une science libérée des influences corporatives ou progressistes pour « rendre l’Amérique en bonne santé ». Bhattacharya, sur X, insiste sur l’élimination des biais idéologiques et la gestion responsable des fonds publics. Mais les employés y voient une politisation inverse : les coupes, la nomination de Bhattacharya (co-auteur de Great Barrington), et l’abandon de recherches sur le climat ou les inégalités semblent refléter un agenda conservateur. Demasi interroge : « Comment Bhattacharya concilie-t-il son plaidoyer pour le dissentiment avec la répression perçue ? » Les employés craignent que les subventions ne soient attribuées par des « individus anonymes extérieurs », sans expertise.
 
S’agit-il du même côté d’une même pièce ? Les deux camps exploitent une crise de confiance : l’administration dénonce des dérives "woke" ou corporatives, tandis que les employés, soutenus par des lauréats du Nobel, exigent l’indépendance scientifique. Demasi avertit : « Si le NIH perd sa crédibilité, les retombées pour la santé publique mondiale pourraient être catastrophiques. »
 
Une réponse à la décision de Kennedy ?
La Déclaration de Bethesda et les réponses de Bhattacharya cristallisent un conflit profond : une défiance politique plus que scientifique ? Les décrets de Trump et du MAHA, en promettant transparence et santé, répondent à des préoccupations réelles, mais les coupes massives et le climat de peur au NIH alimentent les soupçons d’une politisation. Fait notable, le 9 juin 2025, le secrétaire du HHS, Robert F. Kennedy Jr., annonce une refonte totale de l’Advisory Committee for Immunization Practices (ACIP) pour restaurer la confiance dans les vaccins, remplaçant les 17 membres actuels par de nouveaux experts.
 
Cette décision, prise le même jour que la Déclaration de Bethseda, pourrait-elle avoir motivé les employés de NIH et autres politiques opposés à la réforme MAHA qui auraient eu vent de cette décision ? La réponse rapide de Bhattacharya s'inscrit dans une justification claire des réformes du NIH dans un contexte plus large de refonte des agences de santé.
La refonte d’un système avec des problèmes systémiques – conflits d’intérêts, opacité, méfiance publique – ne se ferait jamais sans heurts. Ces tensions, bien que douloureuses, pourraient être le prix à payer pour un renouveau. Mais si la science devient un champ de bataille politique, au lieu d’un espace de rigueur et de découverte, le risque est grand de perdre ce qui fait sa force. L’avenir du NIH, scruté lors du témoignage de Bhattacharya devant le Sénat aujourd’hui, 10 juin 2025, dépendra de sa capacité à concilier ces visions opposées. 
 
Cette bataille sauvera-t-elle la science ou la divisera-t-elle davantage ? Voilà un avant-gout des barrières à franchir si un telle réforme venait à se matérialiser en Europe et plus particulièrement en France afin de restaurer l'intégrité scientifique dans l'intérêt des citoyens et des patients. Est-ce le prix à payer d'années, voire de décennies de politisation de la science sous forme de croyances qui culmine avec son instrumentalisation durant la période covid ?

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