Allégations d’ingérence française dans les élections roumaines : l'AUR demande le contrôle parlementaire des services de renseignements

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France-Soir
Publié le 23 mai 2025 - 18:00
Mis à jour le 24 mai 2025 - 12:40
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Le parti de George Simion accuse depuis plusieurs jours l'ingérence étrangère (Inquam Photos/Codrin Unici)
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Allégations d’ingérence française dans les élections roumaines : l'AUR demande le contrôle parlementaire des services de renseignements
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Depuis plusieurs mois, la Roumanie traverse une crise politique sans précédent, marquée par l’annulation de l’élection présidentielle de novembre 2024 pour des soupçons d’ingérence russe non prouvés et la tenue d’un nouveau scrutin en mai 2025. Pour George Simion, le candidat souverainiste battu dans les urnes ce dimanche 18 mai 2025, c’est « un coup d'État ». Interrogé, le Service Exterieur de l’Union européenne sur d'éventuelles ingérences russes ou chinoises dans les élections n’a pas été en mesure de trouver des documents étayant les soupçons d’ingérence : « aucun document ne correspond à votre requête ».

Dans ce contexte tendu, des accusations d’ingérence étrangère, notamment française, ont émergé, relayées par le journaliste roumain Marius Tuca. Ces allégations, s’appuyant sur des sources internationales telles que Reuters et Politico, ainsi que sur des informations locales, impliquent Nicolas Lerner, chef de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française, et soulèvent des questions sur l’influence de la France dans le processus électoral roumain.  

L'Alliance pour l'Unité des Roumains a demandé, par l'intermédiaire de ses représentants dans les deux commissions parlementaires de contrôle des activités du SIE (Service de renseignements extérieurs) et du SRI (renseignements intérieurs), l'enquête sur l'implication d'ingérences étrangères dans le processus électoral en Roumanie. L'initiative a été lancée après les révélations selon lesquelles Nicolas Lerner, s'était rendu à Bucarest juste avant le second tour des élections présidentielles. Les principaux éléments de cette controverse ont-ils eu un impact dans les élections ?

La Roumanie, un enjeu stratégique pour les pro-européistes

Pour les pro-européistes, la Roumanie représente un enjeu stratégique majeur dans le projet d’intégration européenne. Située à l’est de l’UE, elle constitue un rempart géopolitique face à la Russie et un point d’ancrage pour étendre l’influence européenne vers la mer Noire et la Moldavie. Son rôle dans la défense européenne, avec des bases de l’OTAN et le bouclier antimissile de Deveselu, en fait un acteur clé pour une politique de sécurité commune. Économiquement, ses ressources (pétrole, gaz, agriculture) et son marché de 19 millions d’habitants renforcent son importance pour le marché unique. Sujette à des tensions internes, la Roumanie reste aujourd’hui divisée. Le scepticisme à l’égard du projet fédéraliste européen y progresse largement, comme dans d’autres régions comme la Hongrie, la Pologne, le Portugal, ou la France (60 % des Français plébiscitent une Europe des Nations contre 15 % pour une Europe fédérale).

Les accusations de Pavel Durov contre la France

Le cœur des allégations repose sur les déclarations de Pavel Durov, fondateur de Telegram, relayées par Reuters le 18 mai 2025. Durov a affirmé qu’un « pays occidental », identifié le lendemain comme la France (Reuters, 19 mai 2025), lui aurait demandé de censurer des voix conservatrices roumaines sur Telegram avant les élections. Selon Durov, cette demande aurait été formulée par Nicolas Lerner lors d’une rencontre au printemps 2025 au Salon des Batailles de l’Hôtel de Crillon à Paris. Durov dit avoir refusé, arguant que Telegram n’avait jamais bloqué de contenus contestataires, même en Russie ou en Iran.

Ces révélations, reprises par mariustuca.ro, ont amplifié les soupçons d’ingérence française en Roumanie.

Dans un communiqué du 19 mai 2025, le ministère français des Affaires étrangères et la DGSE ont démenti ces accusations, les qualifiant de « totalement infondées ». La DGSE a précisé que ses contacts passés avec Durov portaient uniquement sur la lutte contre le terrorisme et la pédopornographie, et non sur des questions électorales. Malgré ces démentis, les propos de Durov ont été largement repris dans les médias s’interrogeant sur la controverse et sur les réseaux sociaux pour dénoncer une ingérence étrangère.

Une interdiction de voyage pour Durov ?

Le 20 mai 2025, Politico rapporte que la France aurait interdit à Pavel Durov de se rendre aux États-Unis pour des raisons professionnelles. Cette mesure, perçue comme une possible tentative de limiter son influence ou de le punir pour ses accusations contre Lerner, a renforcé les spéculations sur les motivations françaises. Bien que les détails de cette interdiction restent aussi flous, elle s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes entre Durov et les autorités françaises.

La réaction des souverainistes français et roumains

Les accusations de Durov ont trouvé un écho auprès de figures politiques nationalistes. Le 21 mai 2025, mariustuca.ro rapporte que Jordan Bardella, chef du Rassemblement national, a exigé une enquête sur l’ingérence présumée de la France dans les élections roumaines, dénonçant une atteinte à la souveraineté nationale. En Roumanie, George Simion, leader de l’AUR et candidat au second tour, a saisi la Cour constitutionnelle le 20 mai 2025 pour demander l’annulation du scrutin, invoquant des ingérences étrangères, notamment françaises, sur la base des révélations de Durov. Ce recours a été rejeté le 22 mai par la Cour sur fond de polarisation croissante dans le pays.

Une visite controversée de Nicolas Lerner en Roumanie ?

Marius Tuca rapporte, dans un article daté du 23 mai 2025, que Nicolas Lerner, directeur de la DGSE, aurait effectué une visite en Roumanie le 14 mai 2025, en pleine campagne électorale pour l’élection présidentielle. Contacté par France-Soir, Marius Tuca confirme que cette information provient « de sources au sein des services de renseignement roumains », bien que les détails de la visite restent opaques. Et, il ajoute : « cette visite a continué en Moldavie d'où sont venus une majorité des voix pour le candidat pro-UE ». Cette présence, survenue dans un contexte politique sensible, a alimenté les spéculations sur une possible tentative d’influence française sur le scrutin, sans que des preuves concrètes ne soient publiées. Le service de presse du ministère des Armées contacté par France-Soir n’a pas répondu. 

Marius Tuca

Un contexte politique explosif

Les accusations s’inscrivent dans un climat politique roumain tendu. L’élection de 2024, initialement remportée par Călin Georgescu, a été annulée pour des irrégularités et des soupçons d’ingérence russe via les réseaux sociaux, notamment TikTok. Georgescu, exclu du scrutin de 2025, a cédé la place à Geroge Simion, qui a affronté Nicușor Dan, maire pro-fédéraliste européen de Bucarest, lors du second tour du 18 mai 2025. Dan l’a emporté avec 53,6 % des voix, mais les accusations d’ingérence, amplifiées par les révélations de Durov et relayées par Tuca, continuent de diviser la société roumaine. La victoire surprise de Dan fournit donc un répit aux pro-fédéralistes, devant la montée en puissance des souverainistes.  Une véritable illustration de l'enjeu représenté par la Roumanie, où les pro-fédéralistes tentent à tout prix de museler les autres visions pour l’Europe - celle de M.E.G.A. (Make Europe Great Again), projet porté par George Simion et les conservateurs européens voulant un retour à une Europe des Nations, en alternative au projet fédéraliste de von der Leyen.

Une crédibilité mise en doute

Malgré leur retentissement, les informations relayées par Tuca, s’appuyant sur Reuters, Politico et des sources locales, sont sujettes à caution. Un article de TF1 Info du 19 mai 2025 souligne des incohérences dans le récit de Durov, notamment le délai de plusieurs mois avant qu’il ne rende publique la prétendue rencontre avec Lerner sans apporter plus de preuves. De plus, le général François Chauvancy cité par Le Figaro, estime que les accusations d’ingérence servent souvent à alimenter une guerre de l’information sur les réseaux sociaux, où Telegram joue un rôle central. Des déclarations habituelles de parties qui se renvoient des accusations réciproques de désinformation. Quand on cherche des preuves et des faits avérés, notamment au niveau de l’Union européenne, il n’y a aucun document qui porte à croire qu’il y ait eu une quelconque influence russe ou chinoise.

Demande au service extérieur de l'UE

Une crise de confiance

Marius Tuca, relayant les déclarations de Pavel Durov, a confirmé à France-Soir l’information sur la visite de Nicolas Lerner en Roumanie, alimentent un débat crucial sur la transparence des processus électoraux. Et, à ce titre, ce 24 mai, Durov s'interroge sur ce que Lerner est venu faire en Roumanie quelques jours après la promesse de Macron annoncée le 10 mai : « nous ferons tout ce que nous pouvons sur le terrain pour assurer que le prochain président de la Roumanie est pro-européen ». 

Si les preuves d’une ingérence française directe restent limitées, ces révélations ont exacerbé les tensions dans une Roumanie fragilisée par les crises politiques et les influences extérieures, russes comme occidentales. 

Respect

La victoire de Nicușor Dan fournit un répit à l’agenda pro-fédéraliste européen, mais les recours judiciaires et les accusations croisées risquent de prolonger l’instabilité. Une enquête indépendante pourrait clarifier ces allégations et restaurer la confiance dans la démocratie roumaine et le respect des roumains. C'est dans ce contexte que l'AUR demande le contrôle parlementaire des services de renseignements et, selon nos sources « envisage de déposer une plainte ». 

« Respect » était le slogan de campagne de George Simion. Affaire à suivre.

Respect

 

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